Le nouveau recteur de l'Université du Nouveau-Brunswick s'est dit frustré du peu d'attention accordé aux universités de la région de l'Atlantique par Ottawa et les provinces les plus riches du pays.
Le mois dernier, à Fredericton, à la quatrième d'une série d'audiences pancanadiennes organisées par l'ACPPU, John McLaughlin a rappelé que si le gouvernement fédéral ne renouvelait pas son engagement à l'égard de l'éducation postsecondaire, l'avenir de son établissement pourrait être compromis.
Notre province est prise dans des dilemmes incroyables ", a-t-il dit. " Le niveau de financement de l'éducation universitaire dans notre région est actuellement le plus faible au pays. Les frais de scolarité y sont remarquablement élevés et les étudiants ne peuvent tout simplement pas les payer. Nous nous débattons avec tellement de défis pour continuer d'essayer d'être une université nationale, un pion sur l'échiquier national. "
M. McLaughlin s'est déclaré inquiet de voir que si peu d'organismes insistent sur l'importance d'avoir dans toutes les régions du pays un système d'éducation de haute qualité, financé de façon égale.
" Quelques organismes, comme l'Association des universités et collèges du Canada, commencent à se morceler depuis que certaines personnes se sont mises à souscrire à la thèse de l'Université de Toronto, cette idée obscène de ce que devrait être la faculté de droit ", a déclaré M. McLaughlin à l'assistance. " Je veux savoir s'il reste encore des gens voulant rapprocher tous les Canadiens et Canadiennes ayant une vision commune de ce que nous pourrions être. "
Poursuivant son intervention, il a dit ceci : " En réfléchissant à notre grande solitude, je me suis mis à penser que l'ACPPU pourrait être un des porte-parole les plus influents et les plus puissants que nous pourrions avoir en tant que communauté. "
" On peut rejeter sur le gouvernement fédéral une grande partie de la responsabilité des malheurs qui hantent des établissements comme l'Université du Nouveau-Brunswick et l'Université St. Thomas ", a-t-il continué.
" Depuis les quatre ou cinq dernières années, on entend régulièrement Paul Martin, ministre fédéral des Finances, et d'autres intéressés, répéter que pour être productif le Canada doit aligner sa politique d'investissement sur celle d'autres parties du monde comme l'Europe de l'Ouest, les pays nordiques et les États-Unis. Une logique qu'ils appliquent au pays globalement, sans tenir compte des régions. En fait, le programme préconisé par M. Martin et consorts va à l'encontre de l'optique qui devrait nous inclure dans ce plan national ", a affirmé M. McLaughlin.
Gregory Kealey, vice-recteur à la recherche à l'Université du Nouveau-Brunswick, partage son avis et souligne que les nouveaux fonds débloqués par le fédéral pour la recherche ne sont pas également répartis sur tout le territoire.
" En effet, a-t-il précisé, si l'argent consacré à la recherche et à l'innovation a considérablement augmenté, il semble être octroyé principalement à des établissements comme McGill, l'Université de Montréal, l'Université de Toronto, l'Université de la Colombie-Britannique et l'Université de l'Alberta. "
Les établissements du Canada Atlantique, quant à eux, se démènent non seulement contre ces inéquités dans le financement de la recherche, mais affrontent aussi la " grave situation " qu'entraîne le sous-financement des étudiants des deuxième et troisième cycles, a expliqué Gwen Davies, doyen des études supérieures à l'Université du Nouveau-Brunswick.
" À l'encontre du Québec, de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, nous n'avons ni programme provincial ni programme régional de bourses pour ces étudiants. Nous n'avons aucune arme pour soutenir la concurrence avec quelque chose comme les bourses pour étudiants des deuxième et troisième cycles de l'Ontario. Donc, nous sommes en train de perdre cette catégorie d'étudiants au profit d'autres régions du pays ", a dit Mme Davies qui a ajouté que les problèmes confrontant les établissements de la région de l'Atlantique qui essaient d'attirer et de garder des étudiants des deuxième et troisième cycles contribuent davantage à affaiblir leur position dans la course pour engager de nouveaux professeurs.
" À une époque où le Canada sera devant une pénurie de professeurs d'université, on décourage les étudiantes et les étudiants de notre région de poursuivre des études supérieures, puisqu'ils ne peuvent tout bonnement pas rembourser les dettes massives qui accompagnent une telle entreprise ", a précisé Mme Davies.
De son côté, Mme Suzanne Prior, vice-présidente de l'association des professeurs syndiqués de l'Université St.Thomas, a également souligné les obstacles considérables qui se dressent devant les établissements du Nouveau- Brunswick en matière de recrutement de professeurs.
" Pour engager et retenir des professeurs, il nous faut leur offrir des salaires concurrentiels de même qu'un milieu de travail favorisant l'enseignement et la recherche ", a fait remarquer Mme Prior. " Ici, le taux d'encadrement des étudiants et les effectifs des classes ne cessant de progresser, on a confié un nombre croissant de classes à des instructeurs à temps partiel exagérément sous-rémunérés. "
Mme Prior a par ailleurs fait remarquer que la hausse des frais de scolarité et des dettes contractées par les étudiants va contribuer davantage à réduire la marge de manoeuvre des universités comme la sienne pour engager les nouveaux professeurs dont elles ont besoin.
" Les diplômés du troisième cycle sont de plus en plus endettés. Or, ce sont eux qui seront appelés à être les professeurs de demain. Pour payer leurs dettes, ils seront obligés d'accepter des postes aux universités proposant les salaires les plus alléchants ", a soutenu Mme Prior.
Esam Hussein, président de l'association des professeurs de l'Université du Nouveau-Brunswick, a lui aussi exprimé ses inquiétudes au sujet de la question de l'engagement et du maintien de l'effectif. Selon lui, en l'absence d'une infrastructure d'appui à l'enseignement et à la recherche, les universités seront dans l'impossibilité d'intéresser de nouveaux professeurs.
" Notre infrastructure, a-t-il confié, se trouve dans un état si piteux qu'il se révèle très difficile de prendre en charge les fonds supplémentaires consentis par le gouvernement fédéral pour la recherche. Le matériel d'un de mes collègues, acheté à l'aide d'une subvention de la Fondation canadienne pour l'innovation, gisait dans le stationnement de l'université par manque de place. "
Desmond Morley, directeur général de la Fédération des associations de professeures et professeurs du Nouveau-Brunswick, soutient que ces derniers doivent aussi faire face à l'état lamentable des installations de recherche, notamment les bibliothèques.
" Celles-ci laissent terriblement à désirer. Si l'on veut attirer des chercheurs ou les retenir, on ne peut pas les envoyer dans des bibliothèques dont les rayons ne comportent que des livres de James Bond, parce que c'est tout ce qu'on peut se permettre ", a commenté M. Morley qui a aussi fait observer que le budget d'acquisition de son université a augmenté de 13 p. 100 au cours des 12 dernières années, alors que pendant la même période, le coût des périodiques a progressé de 142 p. 100.
" En 1990-1991, la bibliothèque a acheté 12 000 livres; l'année dernière, elle s'en est procurée 6 000 ", a-t-il rapporté.
Lors des audiences tenues à Fredericton, on s'est aussi penché sur la situation difficile que connaît le personnel universitaire à temps partiel et à contrat.
Moira McLaughlin, chargée de cours à l'Université St.Thomas, a indiqué qu'à son établissement, on fait un tel usage de cette catégorie d'employés qu'au cours de chacune des cinq dernières années leur nombre était ou égal ou supérieur à celui des professeurs à plein temps.
Elle a déclaré qu'en dépit du rôle crucial qu'ils jouent dans l'enseignement, les compensations et les avantages qu'on leur accorde restent dérisoires. " Ils ne bénéficient d'aucune couverture médicale, et seuls les professeurs établis à temps partiel participent au régime de retraite. La disposition des espaces de bureau ne permet pas d'avoir d'entretiens privés avec les étudiants. En plus, les fonds de recherche ne sont pas accessibles. "
À ses yeux, ce sont les étudiants qui souffrent le plus de ce recours incessant aux instructeurs à temps partiel et à contrat. " Si les universités continuent à exploiter les membres de leur corps professoral en n'engageant pas les professeurs à temps plein dont ils ont besoin et en vidant l'apport du personnel à temps partiel de son contenu professionnel, les étudiants en seront encore les principales victimes. Ils ne recevront pas l'intégralité de l'éducation qu'ils ont payée si cher. "
Patricia Ann Post, chargée de cours à l'Université du Nouveau-Brunswick, a aussi fait remarquer que les instructeurs à temps partiel ont souvent le sentiment d'être isolés de la communauté universitaire et que leur travail est peu reconnu.
" Dernièrement, on m'a révélé que j'avais obtenu deux fois de suite un prix pour l'enseignement, mais comme je travaille à temps partiel, il a été attribué au deuxième finaliste. Il n'est pas aisé d'être professionnel lorsque l'on n'est pas reconnu par ses collègues ", a dit Mme Post.
D'après elle, l'insécurité d'emploi restreint la capacité des professeurs à temps partiel de jouir de leur liberté universitaire.
" Notre situation à l'université est précaire. Nous n'utilisons ni à la légère ni très souvent le terme de liberté universitaire, car, sans préavis et en un clin d'oeil, on peut se voir rayer du milieu ", a-t-elle confié.
Les représentantes et les représentants des étudiants ont eux aussi exprimé leurs inquiétudes au sujet de la situation qui prévaut dans l'enseignement postsecondaire au Canada. Ils ont répété que les frais de scolarité montent de façon effrayante, alors que la qualité de l'éducation se détériore.
" Chaque automne, les étudiants paient davantage et ils ont le sentiment d'obtenir moins pour leur argent ", a dit Kate Whitfield, vice-présidente de l'association des étudiantes et des étudiants de l'Université du Nouveau-Brunswick.
Theresa Sabourin, de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, a affirmé que les gouvernements ne prennent pas les bonnes décisions en tentant d'augmenter les prêts accordés aux étudiants afin de les aider à assumer des frais de scolarité en perpétuelle croissance.
" Leurs stratégies ne tiennent pas. Le Canada est l'un des deux pays au monde n'ayant toujours pas de système national de bourses axées sur les besoins. Ses étudiants croulent sous le poids de dettes attribuables à des frais de scolarité exorbitants. Son système d'aide financière sous forme de prêts aux étudiants n'a pas atteint l'objectif visé : garantir l'accès à l'éducation à tous ", a indiqué Mme Sabourin.
Tristis Ward, directeur de la station de radio CHSR-FM à l'Université du Nouveau-Brunswick et à St.Thomas, convient que ce système est inefficace. " Les étudiants qui viennent à ma station me racontent des histoires d'horreur sur leurs prêts et leurs dettes. Ils sont complètement à la merci des banques. Notre système d'éducation ne devrait pas nous entraîner dans des dettes. Et pourtant, c'est le cas des étudiants au revenu faible ou moyen. "
Allan Sharp, doyen de la faculté des sciences à l'Université du Nouveau-Brunswick, a présidé les audiences tenues à Fredericton. En clôturant les activités de la journée, il a exprimé en ces termes son point de vue sur l'importance que revêt l'éducation postsecondaire :
" Je suis moi-même issu d'une famille très modeste. Deux choses militaient en ma faveur : je voulais avoir une très bonne éducation et j'avais la chance d'y avoir accès. Aujourd'hui, le niveau de revenus de ma famille est, d'après ce que je comprends, parmi les plus élevés. Et ceci, grâce à un excellent programme social qui a mené un enfant de la classe ouvrière à la catégorie de revenus le plus élevé. Si notre pays ne s'arrange pas pour que cette histoire se répète à l'infini, il aura raté le train, comme on dit. "