Selon un cadre supérieur de l'Université Memorial, à Terre-Neuve, les universités et les collèges canadiens situés dans les régions perdent du terrain par rapport aux autres établissements d'enseignement à cause de la manière dont le fédéral répartit les crédits à la recherche.
Comparaissant aux audiences publiques sur l'avenir de l'enseignement postsecondaire organisées par l'ACPPU à St. John's le mois dernier, Chris Loomis, vice-recteur à la recherche et aux relations internationales à l'Université Memorial, a déclaré que les mesures récentes du gouvernement fédéral pour accroître le financement de la recherche ont eu comme conséquence d'accorder davantage et d'une manière disproportionnée aux plus grosses provinces et à leurs universités les plus importantes les fonds destinés à la recherche.
M. Loomis a soutenu que les divers programmes de partenariat mis en œuvre par le gouvernement fédéral, notamment la Fondation canadienne pour l'innovation qui exige une participation à 60 p. 100 du secteur privé ou d'autres sources locales pour tous les programmes, attirent davantage de projets de recherche dans les régions où les subventions de contrepartie sont plus facilement disponibles.
" Au contraire de bien d'autres provinces profitant de programmes de contrepartie de la FCI stables et réservés à la recherche, les chercheurs de Terre-Neuve et du Labrador doivent souvent trouver eux-mêmes la contrepartie de 60 p. 100 au complet, un défi décourageant dans une région aux prises avec des restrictions budgétaires considérables et possédant peu de partenaires industriels ", a précisé M. Loomis.
Il a ajouté que l'attribution des chaires de recherche du Canada a empiré la disparité en matière de financement de la recherche.
" La décision d'utiliser une formule pour l'attribution des chaires a déterminé à l'avance leur répartition et ce résultat était prévisible. Tandis que l'Université Memorial a eu droit à 22 chaires étalées sur cinq ans, l'Université de Toronto, par exemple, a obtenu plus de 270 chaires ", a-t-il conclu.
Le renouvellement du corps professoral
Pendant les audiences de St. John's, présidées par Philip Warren, ancien ministre provincial de l'éducation et actuel président du conseil consultatif sur le développement social du premier ministre, l'assistance a pu entendre des témoignages sur le renouvellement de l'effectif, l'un des plus difficiles défis de la province.
William Schipper, président de la Memorial University of Newfoundland Faculty Association, a déclaré que le quart des postes de professeur à temps plein à l'université a disparu depuis les dix dernières années.
" Pour les disciplines d'une importance publique capitale, l'université peut à peine offrir la formation nécessaire ", a poursuivi M. Schipper. " À titre d'exemple, dans une province où la contamination de l'eau potable pose de difficiles problèmes, la formation en épidémiologie dépend maintenant d'un seul professeur, à la retraite, qui continue d'enseigner, un cours à la fois. "
Il a ajouté que, au cours des dix prochaines années, presque la moitié du corps professoral actuel de l'Université Memorial prendra sa retraite.
" Il n'est pas facile d'attirer de nouveaux professeurs à l'Université Memorial. Les salaires des professeurs ont augmenté d'environ 22 p. 100 avec le contrat actuel mais les postes ne sont pas plus attirants malgré les hausses salariales des professeurs permanents ", a-t-il déclaré. " Les salaires moyens sont toujours sous les moyennes nationales pour les rangs équivalents et les grandes universités des provinces continentales devront aussi renouveler leurs effectifs. Dans un tel marché, l'Université Memorial ne peut rivaliser facilement. "
À l'instar d'autres universités, Memorial dépend énormément des universitaires contractuels et à temps partiel pour palier la pénurie de professeurs à temps plein.
Michael Long, chargé de cours à Memorial, a dit que les contractuels touchaient des salaires étonnement modestes en dépit d'une lourde charge de travail.
" Je donne, en moyenne, trois cours d'introduction à la littérature anglaise, chacun étant suivi par 42 étudiants environ. Chaque étudiant rédigera quatre dissertations pendant la session et fera un examen final. Après un calcul rapide, pendant deux semestres, je lis, révise, corrige, commente et évalue cinq mille quarante pages de textes écrits par des étudiants ", a signalé M. Long.
Les frais de scolarité
Des groupes d'étudiants ont également pris part aux audiences et ont fait état des problèmes auxquels ils sont confrontés dans la foulée des hausses de frais de scolarité.
Liam Walsh, président de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (Terre-Neuve et Labrador) a déclaré que les dettes d'études avaient augmenté radicalement dans la province au cours des dernières années.
" À l'obtention du baccalauréat, après quatre années d'études en moyenne, l'étudiant est endetté d'environ 26 000 $, une augmentation par rapport à 8000 $ en 1994 ", a déclaré M. Walsh. " Notre taux d'endettement est l'un des plus élevés au pays, ce qui n'est pas surprenant étant donné que le revenu familial est si faible ici. "
Il a ajouté que des programmes récents du gouvernement fédéral, entre autres les bourses d'études du millénaire, n'ont pas beaucoup aidé les étudiants de la province.
" Le gros problème des bourses d'études du millénaire est que leur attribution aux provinces est fondée sur la population et non sur les besoins ", a-t-il signalé. " Dans cette province, nous avons doublé les besoins de la Nouvelle-Écosse mais nous ne recevons, pourtant, que la moitié des fonds. "
Ally Ayoob, du centre des étudiants étrangers de l'Université Memorial a défendu le besoin d'offrir plus de services aux étudiants étrangers.
" La contribution des étudiants étrangers à l'Université Memorial est précieuse. Nous estimons pourtant qu'elle n'est pas souvent reconnue ", a déclaré M. Ayoob " Nos frais de scolarité sont plus élevés mais les services que nous trouvons, à notre arrivée, sont peu nombreux et peu de soutien nous est offert. "
" Nous payons de l'impôt et contribuons à l'économie régionale mais on nous impose quand même des frais de scolarité très élevés. Nous servons de vache à lait et c'est injuste. "
Plusieurs personnes de la classe politique ont également témoigné aux audiences publiques de St. John's.
Loyola Hearn, député conservateur de la circonscription fédérale de St. John's ouest, a demandé que le gouvernement fédéral joue un rôle de premier plan pour régler les problèmes de l'enseignement postsecondaire du Canada.
" L'enseignement postsecondaire est un droit fondamental pour les Canadiennes et les Canadiens. En raison de la profonde influence de l'enseignement postsecondaire, le gouvernement fédéral devrait prendre l'initiative et mettre sur pied un système d'enseignement postsecondaire pancanadien qui profite à tous les Canadiens et Canadiennes, " a déclaré M. Hearn.
" L'une des mesures que le gouvernement du Canada devrait envisager serait de rédiger une loi sur l'enseignement postsecondaire, semblable à la Loi canadienne sur la santé, qui énonce des principes pouvant s'appliquer aux établissements d'enseignement postsecondaire, aux provinces et au gouvernement fédéral. "
Jack Harris, chef du Nouveau parti démocratique de Terre-Neuve et du Labrador, a prévenu que les lourdes dettes d'études font fuir les jeune hors de la province.
" La province qui peut le moins se permettre de perdre des citoyens instruits les voit partir vers les provinces plus prospères ", a déclaré M. Harris. " Ils sont tellement endettés qu'ils ne peuvent rester ici parce qu'ils doivent aller là où ils peuvent gagner beaucoup d'argent. "
Elaine Price, présidente de la Newfoundland and Labrador Federation of Labour, a laissé entendre qu'en ouvrant davantage l'accès à l'enseignement postsecondaire, on aiderait la province à relever certains des défis auxquels elle fait face.
" Notre main-d'œuvre vieillit. Dans l'ensemble, la population diminue. Nombre de nos travailleurs instruits et très spécialisés quittent la province pour trouver un emploi plus satisfaisant dans les autres provinces ou à l'étranger ", a dit Mme Price.
" Pour compliquer les choses encore plus, la main-d'œuvre qui reste est moins instruite par rapport à nos concurrents. L'éducation publique et la formation ont certainement un rôle clé à jouer dans notre essor social et économique. "
" Quelqu'un a dit plus tôt que l'enseignement postsecondaire dans cette province et dans ce pays était à la croisée des chemins ", a conclu M. Warren. " Je pense que ce que nous avons entendu aujourd'hui le prouve amplement. Nous vivons une grave situation et nous devons poursuivre le dialogue si nous voulons trouver de véritables solutions. "