Dans un geste sans précédent, l'University of South Florida demande aux tribunaux de décider de la constitutionnalité d'un projet controversé visant à congédier un professeur accusé d'avoir des liens avec des organisations terroristes.
Le conseil d'administration de l'université, qui a voté en décembre dernier à 12 contre un en faveur de la recommandation de congédiement du professeur Sami Al-Arian, prétend que ce dernier est lié à des organisations terroristes et qu'il représente une menace pour les étudiants et ses collègues.
" Afin d'assurer un climat propice à la liberté universitaire, nous devons pouvoir garantir à nos étudiants, nos professeurs, notre personnel et nos visiteurs que l'USF est un endroit sûr pour la quête d'idées et la libre expression ". À la défense de la décision du conseil d'administration, la rectrice de l'USF, Judy Genshaft, a déclaré que la " liberté universitaire existe pour promouvoir la quête de la connaissance et de la compréhension des étudiants et des professeurs et qu'elle ne sert pas à protéger des activités illégales ou inconvenantes ".
Les procureurs fédéraux américains ont enquêté sur le professeur Al-Arian l'année dernière, mais n'ont déposé aucune accusation contre lui.
La décision de la rectrice Genshaft de poursuivre le professeur Al-Arian devant un tribunal de l'État dans le but d'obtenir un jugement sur la constitutionnalité du congédiement du professeur et de savoir s'il viole ses droits constitutionnels a surpris la plupart des membres du corps professoral.
" Nous sommes déconcertés par les efforts constants de la rectrice Genshaft pour éviter la procédure équitable normale, surtout dans cette affaire délicate sur le plan politique ", a déclaré Mme Burgan, secrétaire générale de l'American Association of University Professors. Faisant remarquer que l'université dispose de ressources juridiques qui dépassent de loin les moyens d'un professeur, elle a soutenu qu'une poursuite préliminaire de professeurs dans le cadre d'une stratégie visant à les congédier est une tactique extrêmement rare qui a l'effet d'une douche froide et qui n'annonce rien de bon pour la liberté universitaire.
En février 2002, l'AAUP a mis sur pied un comité pour enquêter sur les enjeux de la menace de congédiement de M. Al-Arian. Dans son rapport provisoire, le comité a affirmé que les déclarations du professeur Al-Arian entraient dans les paramètres de la liberté universitaire et que les accusations en instance contre lui avaient trop peu de fondement pour être considérées comme un motif suffisant de congédiement.
Les accusations contre M. Al-Arian ont commencé lorsqu'il a prononcé un discours en arabe il y a plus de dix ans. Il a déclaré : " Le Jihad est notre voie. Victoire pour l'Islam. Mort à Israël. Révolution. La révolution jusqu'à la victoire. En marche vers Jérusalem. " Une vidéo de ce discours a été rediffusée à la télévision à la suite de l'attentat terroriste du 11 septembre.
M. Al-Arian maintient que ses commentaires doivent être placés dans le contexte de la révolte des Palestiniens à cette époque et que la mort d'Israël signifiait, pour lui, la mort de l'occupation par Israël et non pas la mort des Juifs. Il souligne qu'aucun membre de l'administration de l'USF ne l'a accusé d'avoir fait ces déclarations dans ses cours ou sur le campus. D'ailleurs, après le 11 septembre, il a pris la parole devant un certain nombre de groupes chrétiens et juifs à titre d'imam de sa mosquée, et a condamné les attaques terroristes et tous les actes de violence.
Néanmoins, le professeur Al-Arian a été l'objet d'intenses critiques après la diffusion de son discours. L'université a été inondée d'appels et de courriels réclamant son congédiement. Des organismes subventionnaires se sont même interrogés sur sa présence à l'université.
Dans sa poursuite contre M. Al-Arian, l'université invoque, au nombre de ses motifs pour mettre fin à son emploi, le soutien de l'entrée de terroristes aux États-Unis, une campagne de financement d'une organisation terroriste et des activités d'incitation à des actions imminentes et illégales. L'université n'a soumis aucune preuve à l'appui d'activités terroristes.
Malgré cette absence de preuve, le président du conseil d'administration Richard Beard, a réitéré le mois dernier lors d'une conférence de presse, l'opinion de l'université selon laquelle M. Al-Arian est mêlé à des terroristes depuis de nombreuses années. " Il est temps que nous agissions et que nous supprimions ce cancer ", a-t-il déclaré.
Après qu'un grand jury fédéral eut enquêté pendant deux ans, au milieu des années 1990, sur les liens de M. Al-Arian avec deux organisations, soit la World Islamic Studies Enterprise, un groupe formé dans le but de créer des liens entre les universitaires occidentaux et musulmans, et le Islamic Committee for Palestine, lequel, selon M. Al-Arian, a été mis sur pied afin de promouvoir la cause palestinienne aux États-Unis, aucune accusation n'a été portée. À la suite d'une enquête individuelle, les conseillers juridiques de l'université n'ont trouvé aucune preuve de méfaits.
M. Al-Arian, qui enseigne depuis 16 ans les sciences informatiques à l'USF, croit que le véritable enjeu dans cette affaire est la liberté universitaire.
" Il s'agit de la capacité d'un professeur à exprimer oralement sa pensée sans avoir à subir de menaces en raison de ses opinions politiques ", a dit M. Al-Arian à l'Associated Press.
" Je défends activement la liberté universitaire depuis 28 ans et je n'ai jamais eu connaissance qu'une université ait poursuivi un professeur pour une raison comme celle-là ", a confié Roy Weatherford, président de la section Floride-Sud de l'United Faculty of Florida, au Chronicle of Higher Education.
Si les tribunaux autorisent le congédiement du professeur Al-Arian, il sera le premier universitaire à être licencié depuis le 11 septembre à cause de ses déclarations, même s'il les a faites il y a plus de dix ans.