Les établissements d'enseignement postsecondaire du Canada éprouvent de véritables difficultés attribuables au sous-financement que lui imposent les deux paliers de gouvernement. Le corps professoral et les bibliothécaires sont les témoins permanents des conséquences de ce déficit.
Le nombre des effectifs enseignants des universités et des collèges a diminué de près de 10 p. 100 depuis les dix dernières années, si bien que la qualité et l'éventail de la formation offerte à la population étudiante s'en trouvent gravement menacés.
Les bibliothèques ont tellement réduit l'achat de livres et de revues savantes que les plus grandes bibliothèques de recherche du Canada se classent aux derniers rangs en Amérique du Nord.
Les infrastructures des universités sont en si mauvais état que certains édifices sont considérés comme dangereux pour la santé et la sécurité.
Les frais de scolarité et l'endettement de la population étudiante ont atteint des proportions très élevées, éloignant de plus en plus de Canadiens et Canadiennes des études postsecondaires.
Les écoles professionnelles sont devenues l'apanage des familles à revenu élevé, ce qui a un effet de dissuasion chez les étudiants et étudiantes qui renoncent ainsi à choisir des emplois mal payés et pertinents du point de vue social afin de pouvoir rembourser leurs dettes. D'après un sondage étudiant, l'endettement moyen à l'école de droit de l'Université Dalhousie se chiffre à 38 000 $. Le programme de l'Université Dalhousie, dont les frais de scolarité augmenteront de plus de 50 p. 100 en trois ans, exige les frais les plus élevés au pays.
Face à une réduction du financement public de base, les universités et les collèges canadiens se tournent vers le secteur privé. Malheureusement, les fonds du secteur privé sont généralement conditionnels, ce qui menace de plus en plus l'intégrité de la recherche et la liberté universitaire.
Ces problèmes importants ne feront que s'aggraver. Les établissements d'enseignement postsecondaire et les organismes gouvernementaux ont soudainement pris conscience du fait, fort prévisible, que les universités et les collèges devront au cours de la prochaine décennie faire face à une grave pénurie d'effectifs. Les taux d'inscription sont en hausse et les professeurs ou professeures embauchés à la fin des années 60 et au début des années 70, au moment de la croissance rapide des universités, approchent de la retraite.
L'Association des universités et collèges du Canada prévoit qu'il faudra 40 000 nouveaux professeurs et professeures d'ici dix ans. Quoique ce chiffre puisse paraître quelque peu élevé, il y aura tout de même une importante pénurie d'universitaires qualifiés. À l'heure actuelle, les universités canadiennes confèrent des doctorats à près de 4 000 personnes chaque année. De ce nombre, seuls 1 400 embrassent une carrière universitaire, les autres sont recrutés par l'industrie, l'entreprise privée et le gouvernement dont les salaires à l'embauchage sont considérablement plus élevés que dans les universités.
Quelles sont les conséquences probables de cette pénurie imminente? Nous en sommes déjà témoins. Les universités ne sont plus intéressées à réduire leurs effectifs et suspendent les programmes de retraite anticipée ou y mettent fin. Elles sont plus susceptibles de chercher des moyens de maintenir en poste des membres choisis du corps professoral au-delà de l'âge normal de la retraite. Les postes demeurent vacants ou sont comblés par des personnes moins qualifiées. Afin de recruter de nouveaux professeurs et professeures dans certaines disciplines, les universités offrent jusqu'à 40 000 $ de plus que le salaire normal d'embauchage, créant du coup des problèmes d'équité pour les membres chevronnés du corps professoral du même département qui gagnent nettement moins.
Déjà, nous faisons face à des rapports professeur-étudiants plus grands et à un accès réduit aux études attribuable aux frais de scolarité plus élevés et à l'imposition de normes artificiellement supérieures qui visent à diminuer les taux d'inscription. La nature de notre pédagogie évolue et nous insistons moins sur les travaux écrits parce que nous devons corriger plus de copies à cause du plus grand nombre d'étudiants par classe. Nous devons en outre diminuer le recours à des assistants à l'enseignement et à des instructeurs.
Un groupe de travail sur le recrutement et le maintien des effectifs, mis sur pied récemment à l'Université de Calgary, a conclu que de nombreux membres du corps professoral étaient démoralisés et se sentaient sous-estimés. Ils sont découragés par leurs conditions de travail quotidiennes, leurs lourdes tâches d'enseignement, les pressions à publier leurs résultats de recherche et l'exigence de servir la collectivité. Ces conclusions pourraient s'appliquer à presque tous les établissements d'enseignement postsecondaire au Canada.
Qu'est-ce qui peut être fait? La situation ne changera pas beaucoup à moins que le gouvernement fédéral s'engage réellement à augmenter le financement de fonctionnement de base des collèges et des universités provenant des paiements de transfert qu'il verse aux provinces. Cet engagement ne se réalisera pas sauf si les gouvernements fédéral et provinciaux collaborent pour que l'enseignement postsecondaire devienne une priorité nationale.
Il faudra également modifier l'instrument de financement, en remplaçant le transfert global actuel par un fonds réservé à l'enseignement postecondaire assorti de lignes directrices nationales et des modalités d'imputabilité, comme nous l'avons proposé dans notre projet de loi canadienne sur l'enseignement postsecondaire.
Tant que les gouvernements fédéral et provinciaux n'offriront pas de nouveau programme de financement ni ne feront preuve d'un engagement renouvelé envers l'enseignement postsecondaire, l'accessibilité et la qualité se détérioreront davantage et notre capacité en tant que pays à retirer des avantages sociaux, culturels et économiques de l'éducation sera toujours compromise.
Le milieu universitaire doit hausser le ton et faire connaître ses préoccupations devant l'inaptitude des gouvernements fédéral et provinciaux à freiner le déclin des universités et des collèges canadiens. Nous devons profiter de tous les rassemblements politiques pour parler de la situation de l'enseignement postsecondaire et de la difficulté des étudiants d'y avoir accès. Nous devons faire pression sur les candidats et candidates à des postes électifs et de direction pour qu'ils s'engagent à améliorer l'enseignement postsecondaire.
Il y a quelques mois, j'ai eu l'occasion de demander au premier ministre du Nouveau-Brunswick Bernard Lord pourquoi les gouvernements provinciaux n'étaient pas prêts à accroître le financement des universités. Sa réponse est éloquente : son gouvernement ne constate pas que la population exige plus de financement pour les universités.
Il nous revient d'intensifier les pressions. La classe politique, ou son personnel, lit les courriels, les lettres et les télécopies qu'elle reçoit. Si vous partagez mes préoccupations, envoyez une lettre ou un courriel à votre député fédéral et à votre député provincial. Suggérez à vos étudiants et étudiantes d'en faire de même ainsi que leurs parents. Peut-être que, tous ensembles, nous pourrons nous faire entendre et que la classe politique commencera à sentir la pression.