Au cours des quatre dernières années, les ministères fédéraux de l'Industrie et du Développement des ressources humaines ont collaboré ensemble afin de mettre au point une " stratégie d'innovation " pour le Canada. De nombreux professeurs et groupes d'étudiants craignent que l'objectif de la stratégie, visant à augmenter la commercialisation des résultats de la recherche universitaire par l'entremise de partenariats avec le secteur privé, modifierait la nature des établissements d'enseignement postsecondaire canadiens et mineraient le potentiel de la recherche fondamentale.
Il existe une différence primordiale entre le financement de la recherche fondamentale, qui peut avoir une valeur commerciale, et le financement de la recherche dont les possibilités commerciales sont immédiates et à court terme.
À l'occasion du Sommet national sur l'innovation et l'apprentissage tenu récemment à Toronto, le gouvernement fédéral a rendu publique sa stratégie révisée de l'innovation. En ce qui concerne la recherche universitaire, le gouvernement s'est engagé à prendre les mesures suivantes :
o Financer les coûts indirects de la recherche universitaire en tenant compte des besoins des universités plus petites et régionales;
o Optimiser les possibilités commerciales de la recherche universitaire financée par les deniers publics. (Cela comprend l'identification de la propriété intellectuelle ayant des possibilités commerciales et la création de partenariats pour sa commercialisation);
o Offrir au Canada des occasions de recherche concurrentielles à l'échelle internationale, principalement en augmentant le budget des conseils subventionnaires.
Lors du sommet, le ministre de l'Industrie Allan Rock et la ministre du Développement des ressources humaines Jane Stewart ont donné de l'ampleur à cette stratégie. Ils ont dévoilé une entente-cadre sur la recherche financée par le fédéral que le gouvernement et l'Association des universités et collèges du Canada ont conclue. Dans le cadre de cet accord, rendu public le 18 novembre dernier, les universités canadiennes, par l'entremise de l'AUCC, se sont engagées à doubler leur volume de recherche et à tripler leur rendement au chapitre de la commercialisation en échange d'un financement supplémentaire du fédéral et du secteur privé, dont des contributions importantes aux coûts indirects de la recherche. L'AUCC a convenu de produire un rapport périodique public qui démontrera les progrès collectifs réalisés par les universités pour ce qui est du respect de ces engagements.
L'accord soulève d'intéressantes questions. Est-ce que les recteurs d'université et les directeurs de collège qui auront conclu une entente, la plupart à l'insu de leur conseil d'université ou d'administration, s'emploie-ront désormais à inciter le corps professoral à accepter des projets à caractère commercial au détriment de la recherche fondamentale? Comment les recteurs prévoient-ils tripler leurs possibilités commerciales? Est-ce qu'ils chercheront à faire valoir leurs droits sur la propriété intellectuelle de leurs professeurs pour faciliter sa commercialisation? Si certaines universités se retirent de cette course à la commercialisation, est-ce que d'autres universités seront censées prendre la relève? Quelles seront les conséquences universitaires si les établissements choisissent la voie de la commercialisation?
Bien que l'engagement du gouvernement à affecter des fonds supplémentaires pour les coûts indirects de la recherche et pour les conseils subventionnaires est louable, il s'agit néanmoins d'un maigre substitut à l'augmentation du financement de base des collèges et des universités.
Dans le cadre de séances réparties selon cinq thèmes clés, on a demandé aux délégués de formuler trois recommandations principales qui accroîtraient, selon eux, l'innovation. Les recommandations ont été choisies parmi une série d'autres qui reflétaient les mémoires présentés lors des consultations précédant le sommet. Le thème qui touchait le plus directement l'enseignement postsecondaire portait sur la consolidation de la culture d'apprentissage. La première recommandation, visant une stratégie d'alphabétisation pancandienne, était attendue, car le premier ministre Jean Chrétien en avait parlé dans son allocution. Les deux autres recommandations ont surpris lorsqu'on les a lues aux ministres du Cabinet réunis :
o Accroître la capacité du système d'enseignement postsecondaire en augmentant les infrastructures (physiques, humaines et financières) et en recourant à des principes de conception rentables.
o Adapter le régime d'aide financière aux étudiants pour répondre aux besoins évolutifs des étudiants, du secteur de l'enseignement postsecondaire et de l'économie axée sur le savoir.
Lorsqu'on leur a demandé d'élaborer des stratégies de mise en œuvre de ces recommandations, les délégués ont mentionné le besoin d'une loi sur l'enseignement postsecondaire pareille à celle que l'ACPPU préconise depuis plus de trois ans. Cette loi prévoirait le versement de crédits fédéraux aux provinces au titre de l'enseignement postsecondaire. Les provinces seraient tenues de respecter les normes suivantes : l'administration publique, la polyvalence, l'accessibilité, la direction collégiale et la liberté universitaire.
D'aucuns pourraient croire que l'ACPPU avait monté le coup, ce qui est toutefois loin d'être le cas puisque seulement quatre personnes représentaient les groupes étudiants et le corps professoral sur plus de 500 délégués. De fait, l'ensemble des délégués a applaudi à la stratégie de l'enseignement postsecondaire.
Le projet de loi de l'ACPPU était la pierre angulaire des récents efforts de lobbying de la délégation du Conseil de l'ACPPU lors des rencontres avec les parlementaire le 21 novembre dernier. Des députés de tous les partis reconnaissent de plus en plus le besoin d'aborder la question du sous-financement des établissements d'enseignement post-secondaire au Canada et de rétablir le financement de base aux niveaux antérieurs à 1990. Chaque année, davantage de députés manifestent leur appui au projet de l'ACPPU.
Notre message est clair et non équivoque : pour innover, le meilleur moyen consiste à maintenir la qualité de toutes les universités du Canada en rétablissant le financement de base pour soutenir la recherche fondamentale et appliquée dans les sciences, les sciences humaines, les arts et les sciences sociales ainsi qu'en éliminant les obstacles qui empêchent les futurs innovateurs de fréquenter un collège ou une université.
Traduit de l'article " Innovation Plan Unveiled " (Bulletin de l'ACPPU, décembre 2002).