D ans son discours du budget le 18 février, le ministre des Finances John Manley a qualifié plusieurs fois le Canada de " tigre du Nord ", par analogie à la croissance économique du " tigre irlandais ". En effet, l'Irlande, qui a instauré la gratuité des études postsecondaires et le régime d'aide financière aux étudiants fondé sur les besoins, est souvent citée comme un modèle de développement économique. Or, nous avons eu la chance d'examiner le budget Manley et, à l'évidence, nous constatons que son " tigre " est édenté en ce qui concerne le financement de l'enseignement postsecondaire. À prime abord, il est facile de réagir positivement aux nouvelles dépenses annoncées dans le budget, au-tant qu'une personne assoiffée dans le désert se réjouit en apercevant à l'horizon une oasis. Pourtant, la perspective de pouvoir enfin s'abreuver n'est rien de plus qu'un mirage.
Le gouvernement fédéral contribue au financement des soins de santé, des programmes d'aide sociale et de l'enseignement postsecondaire au moyen de paiements de transfert versés aux provinces au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Toutefois, pour donner suite au rapport Romanow, le gouvernement crée une enveloppe distincte, soit le Transfert canadien en matière de santé. Il a hélas choisi de soutenir l'enseignement postsecondaire et l'aide sociale par l'intermédiaire d'un nouveau Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Nous avons fait valoir qu'une fusion des enveloppes rend impossible la transparence nécessaire pour vérifier que les gouvernements provinciaux disposent des crédits aux fins prévues.
Si l'on tient compte de la répartition historique des transferts en espèces entre les trois volets, il semble que l'enseignement postsecondaire obtiendra moins d'argent au cours des prochaines années. Selon une analyse de l'ACPPU, le financement de l'enseignement postsecondaire chutera de 2,8 milliards de dollars en 2003-2004 à 1,8 milliard de dollars en 2004-2005. Cette baisse s'explique par le fait que, avant l'arrivée du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux en 1996, la santé recevait 43 p. 100 de l'ensemble des transferts en espèces. À compter de l'an pro-chain, les transferts en espèces au titre de la santé représenteront 62 p.100 de l'ensemble. Par conséquent, une bonne portion de la " nouvelle " enveloppe pour la santé peut simplement concorder avec une réallocation d'argent provenant de l'éducation postsecondaire et des services sociaux.
Le budget octroie 1,7 milliard de dollars à la recherche pour les trois prochaines années répartis ainsi : 125 millions de dollars pour les conseils subventionnaires, 105 millions de dollars au bout de quatre ans pour 4 000 bourses d'études supérieures, dont 60 p. 100 reviendra aux disciplines du Conseil de recherches en sciences humaines, et enfin, 225 millions de dollars par année pour aider à assumer les coûts indirects de la recherche (environ la moitié de ce qui est présentement nécessaire).
Le budget prévoit également un rajustement ponctuel de 500 millions de dollars à l'intention de la Fondation canadienne pour l'innovation dans le but de financer les installations de recherche en santé (aussi imputé à la hausse des dépenses dans les soins de santé). Malgré ces investissements, l'enseignement postsecondaire n'en reçoit pas assez, car les crédits qui lui sont dévolus ne représentent qu'environ 20 p. 100 de ce qu'il a besoin pour revenir aux niveaux de financement de 1990-1991, en dollars indexés.
Les fonds octroyés pour assumer les coûts indirects de la recherche sont conditionnels. Ils sont fonction d'une entente des recteurs d'université, conclue par l'intermédiaire de l'Association des universités et collèges du Canada, visant à tripler la commercialisation de la recherche dans les universités. Ils seront liés aux résultats du rendement de la commercialisation. Le budget précise que le gouvernement prévoit d'instaurer de nouveaux mécanismes de rapport et de reddition de comptes avec les établissements postsecondaires et qu'il examinera le programme au cours de sa troisième année d'existence afin de vérifier que le financement atteint ses objectifs " y compris la commercialisation de la recherche universitaire ".
Il est à se demander pourquoi les recteurs d'université sont demeurés muets au sujet du budget ou l'ont applaudi. Cela reflète peut-être l'opinion qu'ont exprimée certains recteurs selon laquelle le gouvernement devrait faire une distinction entre les universités canadiennes et octroyer plus de crédits à celles qui " méritent " un traitement spécial. Ce genre de distinction mènerait sans conteste à un système à deux vitesses comme aux États-Unis et reprendrait toutes les conséquences négatives pour la qualité qui en ont résulté.
Il vaudrait peut-être mieux rappeler à nos recteurs d'université comment leurs homologues italiens ont réagi aux compressions budgétaires de leur gouvernement : ils ont fait front commun et ont démissionné en bloc. Nous y perdons tous lorsque certains recteurs disent que tout va bien.