Lors d'un forum national tenu à Ottawa le mois dernier, on a conclu que les droits de scolarité exorbitants éloignaient de plus en plus des Canadiennes et Canadiens qualifiés des universités et des collèges et qu'ils influaient sur le choix de carrière des personnes qui s'y inscrivaient.
Organisé par la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et l'ACPPU, le forum a rassemblé plus de 60 personnes représentant des associations professionnelles, des syndicats et des groupes communautaires pour discuter des effets de la hausse des droits de scolarité sur les études postsecondaires.
Le président de l'ACPPU, Victor Catano, a déclaré aux délégués que les gouvernements et les administrateurs essayaient peut-être de diviser la population étudiante et le corps professoral sur la question des hausses des droits de scolarité. La vérité, cependant, est qu'ils partagent les mêmes préoccupations sur cette question.
" Chaque universitaire de ce pays a été un jour un étudiant ", a dit M. Catano. " Les professeurs embauchés aujourd'hui ont débuté leur carrière avec des dettes du même ordre qu'une hypothèque. Nous qui travaillons chaque jour avec des étudiants, nous pouvons constater le stress qu'ils subissent, car un nombre grandissant d'entre eux luttent pour concilier les études et les longues heures de travail, travail dont ils ont besoin pour payer les factures. "
D'après Ian Boyko, président national de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, les droits de scolarité moyens du premier cycle ont augmenté en moyenne de plus de 135 p. 100 depuis dix ans. Il croit que le Canada se dirige vers un système d'enseignement postsecondaire élitiste.
" Déjà, moins de la moitié des étudiantes et étudiants issus de familles à faible et à moyen revenu sont susceptibles de décrocher un diplôme universitaire ou collégial. Si nos gouvernements n'agissent pas bientôt, les droits de scolarité accrus vont creuser davantage cet écart. "
Diversité
Pour Barb Byers, vice-présidente exécutive du Congrès du travail du Canada, toutes les familles veulent que leurs enfants fassent des études universitaires ou collégiales, mais elles ont de plus en plus de difficulté à en payer le coût.
" L'accès à l'éducation accroît les possibilités ", a-t-elle dit lors d'une plénière. " En augmentant les droits de scolarité au-delà de ce que peuvent se permettre la plupart des travailleurs et travailleuses, nous fermons la porte des universités et des collèges, et nous bouchons l'avenir de nos jeunes. C'est une tragédie nationale. "
Danielle Martin, présidente de la Fédération des étudiants en médecine du Canada, a parlé de la situation des étudiants et étudiantes des programmes professionnels qui est encore pire.
En 1997, les droits de scolarité de l'école de médecine de l'Université de Toronto s'élevaient à près de 5 000 $. Cette année, la population étudiante doit payer plus de 15 000 $.
" En conséquence, il y a moins de diversité dans les salles de cours, car les familles à faible et à moyen revenu trouvent plus difficile de payer le coût des études. "
Elle a mentionné une étude effectuée à l'Université Western Ontario qui a révélé que, en l'espace de seulement trois ans, alors que les droits de scolarité augmentaient, le revenu moyen familial des personnes fréquentant l'école de médecine est passé de 80 000 $ par année à 142 000 $.
" Les lourdes dettes que les étudiantes et étudiants en médecine doivent contracter pour financer leurs études influencent leur choix de carrière ", a-t-elle expliqué. " Pour la première fois au Canada, nous avons maintenant le nombre le plus faible d'étudiants qui choisissent la médecine familiale. Avec d'énormes dettes, qui pourra exercer en médecine familiale ou en santé publique, ou travailler dans les régions rurales qui ont désespérément besoin de services? Je ne pense pas que les gouvernements ont songé à quel point la hausse des droits de scolarité nuit à notre système de santé. "
Charles Smith, conseiller en égalité à l'Association du Barreau canadien, a mentionné que les mêmes problèmes surgissaient dans la profession juridique où la hausse des droits de scolarité dans les écoles de droit rendait moins attirante une carrière dans certains domaines, notamment le droit de la famille et les droits de la personne.
" La situation est aggravée par le fait que la hausse des droits de scolarité nuit à la diversité de la profession juridique ", soutient-il. " Les minorités visibles et d'autres groupes d'équité, qui apportent à la profession les intérêts de leur communauté, trouvent que les obstacles financiers sont insurmontables. "
Accessibilité
Des représentants des principaux partis politiques fédéraux ont été invités au forum pour donner leur opinion sur les moyens d'améliorer l'accès à l'enseignement postsecondaire.
Libby Davies, du Nouveau parti démocratique, a avancé que le gouvernement fédéral devait prendre des mesures immédiates pour réduire l'endettement étudiant et pour diminuer les droits de scolarité. Elle a également demandé au fédéral de fournir un financement stable et à long terme à l'enseignement postsecondaire.
" Une société évoluée se fonde sur la reconnaissance du droit à l'éducation et du fait que toute personne devrait pouvoir s'épanouir pleinement ", a déclaré Mme Davies.
" L'éducation est la matière brute du développement d'une collectivité et de ses jeunes ", a affirmé Sébastien Gagnon du Bloc Québécois. Il a ajouté que le Québec avait accordé la priorité à l'accès en gelant les droits de scolarité.
" Au palier fédéral, nous voulons protéger l'éducation en tant que compétence provinciale, mais nous appuyons l'introduction de crédits d'impôt fédéraux pour le remboursement des dettes d'études ", a-t-il affirmé.
Le membre de l'Alliance canadienne, James Rajotte, a dit que le gouvernement fédéral devrait s'assurer de l'accessibilité des études postsecondaires, de sa grande qualité et des perspectives d'emploi des étudiants après l'obtention de leur diplôme.
" L'Alliance canadienne estime que le gouvernement fédéral devrait augmenter ses transferts au titre de l'enseignement postsecondaire et offrir davantage d'allégements fiscaux aux étudiants et à leur famille ", a déclaré M. Rajotte.
Il a également proposé que le Programme canadien de prêts aux étudiants soit converti en un régime de remboursement des prêts en fonction du revenu qui permettrait aux étudiantes et étudiants de rembourser leurs prêts selon leur revenu après leurs études.
Les représentants des étudiants ont contesté cette idée qui, selon eux, accroîtrait le niveau d'endettement.
" Le remboursement des prêts en fonction du revenu est une mauvaise idée parce cela signifie que, moins tu gagnes d'argent, plus tu paies en réalité ", a conclu Joel Duff, président pour l'Ontario de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants.
" C'est comme un prêt automobile ou une hypothèque, plus vite tu rembourses tes dettes, moins tu paies d'intérêts. Si tu prends plus de temps pour les rembourser, tu paieras beaucoup plus d'intérêts. "
Taux de participation
Selon James Cemmell, du National Union of Students in Europe, de nouvelles recherches révèlent que l'introduction de droits de scolarité en Angleterre a élargi la division des classes dans les universités britanniques. " En 1991, environ 13 p. 100 des enfants britanniques de la classe des moins bien nantis sont allés à l'université. À la fin de la décennie, après que le gouvernement Blair a imposé des droits de scolarité et a aboli le programme de bourses étudiantes, cette proportion est tombée à 7 p. 100. Par la même occasion, la participation des classes sociales plus riches a grimpé de 55 à 72 p. 100 ", a -t-il expliqué.
Lors d'une discussion en table ronde, les délégués ont convenu qu'ils devaient continuer à concerter leurs efforts.
" Dans le domaine de la santé, nous avons mis sur pied une large coalition pour inscrire la question des soins de santé à l'ordre du jour officiel ", a fait remarquer Kathleen Connors, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières/infirmiers.
Andrew Jones, directeur général de l'Association dentairecanadienne, a laissé entendre qu'il fallait peut-être créer une coalition semblable pour l'accès aux études postsecondaires.
" Je pense que nous devons poursuivre ce dialogue pour que tous, en tant que pays, nous puissions revenir aux valeurs qui nous sont importantes ", a déclaré Dana Hanson, présidente de l'Association médicale canadienne.