En novembre dernier, l'ACPPU a émis une déclaration sur une intervention militaire possible en Iraq par les États-Unis et ses alliés. Nous avons exprimé l'opinion selon laquelle le Canada devrait demeurer fidèle à un processus de négociation des Nations Unies avec le régime iraquien actuel. Nous avons estimé que les conséquences d'une action militaire menée par les États-Unis ou un autre pays indépendamment des Nations Unies pouvaient être catastrophiques. En outre, nous avons soutenu qu'une action militaire unilatérale sans l'accord du Conseil de sécurité des Nations Unies contrevenait à la Charte de l'ONU. Nous avons avancé cette position du point de vue de l'ACPPU en tant qu'organisme composé d'universitaires engagés à résoudre les litiges par la raison, la connaissance et la compréhension et non par la violence.
Il est regrettable que les États-Unis et ses alliés aient envahi l'Iraq sans l'aval des Nations Unies. Le gouvernement canadien et le premier ministre Jean Chrétien ont adopté une position de principe n'engageant pas la participation du Canada à la guerre en Iraq sans le consentement des Nations Unies. Il faudrait féliciter le premier ministre et son gouvernement pour avoir maintenu cette position malgré l'énorme pression d'intérêts acquis. Pratiquement chaque jour pendant la guerre, les journaux s'en prenaient à la position du gouvernement et présentaient des reportages qui ressemblaient davantage à une acclamation des États-Unis qu'à des observations.
Patricia Pearson, petite-fille de Lester B. Pearson, est celle qui a fait la meilleure déclaration parmi ces nombreux reportages et commentaires. Elle a quitté son poste de chroniqueure au National Post lorsqu'elle a senti que la couverture partiale que le journal faisait de la guerre allait trop loin et nuisait au Canada. " Je ne pouvais pas rester là à me croiser les bras et à regarder le pays se faire attaquer impitoyablement et méchamment par un journal qui dénigrait tant de choses auxquelles nous croyons, des valeurs sociales tolérantes au droit international, nous rabaissant à cause de nos convictions, puis faisant volte-face en disant que ce qui fait des États-Unis un pays magnifique c'est l'ardeur des Américains à défendre leurs convictions ", a-t-elle écrit dans le Globe and Mail le 19 avril.
La guerre a eu de graves conséquences sociales, économiques et culturelles pour l'Iraq et pour la communauté internationale. Les plus douloureuses sont la mort de milliers de gens. Le nombre d'innocents enfants iraquiens et de civils tués pendant la guerre n'a pas encore été confirmé. Nous savons que plus de 200 000 Iraquiens sont morts lors des bombardements aériens de la guerre du Golfe en 1991. L'UNICEF estime qu'environ 170 000 enfants sont décédés après la guerre des suites de la destruction des infrastructures alimentaires et des sanctions économiques imposées à l'Iraq.
Nous savons que la guerre a dévasté des villes iraquiennes, des universités et des institutions culturelles, en particulier le musée national des antiquités de Baghdad et la bibliothèque nationale. La disparition d'importants vestiges culturels à cause du pillage ou de la destruction gratuite est une perte pour l'histoire de la civilisation humaine. Chaque discipline universitaire est touchée par ces pertes.
Nous nous préoccupons vivement des pertes de vie humaine et de la destruction de notre patrimoine culturel. Le pillage et le saccage du musée et de la bibliothèque étaient prévisibles, car de nombreux musées provinciaux avaient été pillés après la guerre du Golfe. Durant les mois qui ont précédé l'invasion, des directeurs et conservateurs de musées du monde entier ont demandé au Pentagone et à de hauts fonctionnaires du gouvernement américain de mettre en œuvre des mesures de protection du patrimoine culturel de l'Iraq.
Richard Moe, président du National Trust for Historic Preservation a écrit au secrétaire d'État Colin Powell pour exhorter les États-Unis à préserver le musée national d'Iraq. Il a aussi demandé au secrétaire de la Défense, Donald Rumsfeld, d'enjoindre les forces de la coalition de prendre l'entière responsabilité de la sauvegarde des collections et des monuments iraquiens qui restent.
Martin Sullivan, président américain du comité consultatif sur les biens culturels, a donné sa démission en signe de protestation. Dans sa lettre de démission, il a déclaré que la tragédie était prévisible et évitable. " Elle n'a pas été évitée à cause de l'inaction de notre pays. "
Dans sa lettre de démission, M. Sullivan a également souligné le fait que, " bien que nos forces militaires aient fait preuve d'une extraordinaire précision et de la retenue dans le déploiement des armes - et apparemment pour sécuriser le ministère du pétrole et les champs pétrolifères - elles ont été impuissantes à assurer la protection du patrimoine culturel iraquien ". M. Sullivan aurait aussi pu ajouter la rapidité avec laquelle la coalition a sécurisé un milliard de dollars en lingots d'or pendant les pillages.
Les apologistes de l'échec des États-Unis et de la Grande-Bretagne à assurer la sécurité des sites culturels se justifient en avançant qu'une bonne partie du pillage a été l'œuvre d'un vol organisé. Ils passent sous silence, cependant, le fait que ces deux pays sont signataires des conventions de Genève et de La Haye. La première convention exige que les armées d'occupation empêchent les pillages. La convention de La Haye traite en particulier de la protection des biens culturels en cas de conflits armés. Elle exige des pays signataires de sauvegarder et de préserver les biens culturels des pays occupés. Lorsqu'une force d'occupation prend la maîtrise d'un autre pays, elle devient responsable de la protection de la population, des biens et des institutions de ce pays. Tant les États-Unis que la Grande-Bretagne ont manqué à leurs obligations en vertu de ces traités et du droit international.
La guerre a gravement endommagé les universités iraquiennes, lesquelles étaient autrefois la fierté du monde arabe. Les dommages se sont combinés aux atrocités et aux perversions que le régime de Saddam Hussein a fait subir aux universitaires et aux universités d'Iraq. L'université de Basra et l'université de Tikrit ont été pillées, l'université de Baghdad a été le théâtre de combats armés, et un immense cratère éventre l'université d'Al-Mustansiriya.
Le gouvernement américain prévoit de diriger la reconstruction des infrastructures scolaires iraquiennes par l'entremise de son bureau de la reconstruction et de l'aide humanitaire. D'après le Chronicle of Higher Education, certains organismes philanthropiques sont réticents à participer à cette reconstruction, car ils estiment que l'enseignement supérieur se fondent sur l'indépendance pédagogique et non pas sur des " mécanismes de contrôle ", ou en étant compatibles avec une occupation militaire.
En réaction à ces événements, il est impératif que le gouvernement canadien s'emploie, par l'entremise des Nations Unies, à mettre un terme à l'occupation militaire en Iraq ainsi qu'à confier la reconstruction du pays aux Nations Unies et, par son intermédiaire, au peuple iraquien. En plus de fournir des Casques bleus, le gouvernement canadien devrait contribuer aux efforts humanitaires et à la reconstruction des institutions culturelles ainsi que des universités iraquiennes. En tant qu'universitaires, nous devons nous préoccuper de davantage que notre propre liberté universitaire et notre bien-être.