Au cours de la dernière décennie, la privatisation de l'éducation s'est accentuée dans les Amériques, entraînant la détérioration de la qualité dans les écoles publiques, la réduction de l'accès pour les citoyens à faible revenu et l'utilisation des deniers publics pour subventionner l'enseignement privé. Le mantra des gouvernements est de privatiser et de commercialiser davantage ainsi que de réduire les fonds publics destinés à l'éducation. Dans tous les pays américains, l'éducation publique subit des compressions budgétaires et les établissements d'enseignement postsecondaire font face à la hausse des droits de scolarité. L'éducation publique est essentielle à l'essor socio-économique des pays et est capitale pour la construction des sociétés démocratiques.
Nous avons également été témoins de l'élimination des droits syndicaux des travailleurs et travailleuses de l'éducation, en particulier au Mexique et en Colombie-Britannique. L'Organisation internationale du travail a récemment blâmé le gouvernement de la Colombie-Britannique pour avoir adopté une loi qui permet aux employeurs de passer outre aux conventions collectives, sans contrainte. Dans les pays d'Amérique latine, les dirigeants qualifient souvent les éducateurs de " personnes dangereuses ". Au Mexique, le gouvernement a adopté une loi qui lui permet d'avoir la maîtrise des syndicats et de créer des syndicats fantômes dont les membres ne connaissent pas l'existence de leur représentation syndicale. En Colombie, 433 enseignants et enseignantes ont été tués ou sont " disparus " depuis 1987 et plus de 1000 ont fui leur foyer sous les menaces de mort parce qu'ils ont participé à des activités syndicales.
Ces questions ont fait l'objet de discussions lors du sixième congrès tripartite pour la défense de l'éducation publique qui a eu lieu le mois dernier. L'ACPPU et la Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l'Ontario en étaient les hôtes. Tous les deux ans, la Coalition tripartite réunit des représentants des écoles publiques, élémentaires et secondaires, ainsi que des universitaires et du personnel du secteur de l'enseignement postsecondaire préoccupés par la détérioration de la qualité de l'éducation publique. D'abord créée par des organismes en éducation du secteur public des États-Unis, du Canada et du Mexique, la coalition comprend aujourd'hui des représentants des Caraïbes, de l'Amérique centrale et du Sud. Tous ces organismes partagent une lutte commune pour défendre le droit social à l'éducation publique, une lutte qui transcende les frontières nationales.
L'Accord de libre-échange de l'Amérique du Nord (ALENA) est le déclencheur qui a fait naître la coalition en réaction à ses répercussions sur l'éducation publique. Les révisions imminentes de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) auront encore plus d'incidence sur l'éducation publique si celui-ci est élargi. L'AGCS est un accord multilatéral qui définit les restrictions imposées à un train de mesures gouvernementales, lesquelles pourraient influer sur le commerce des services. Ces restrictions sont exécutoires et peuvent s'appuyer sur des sanctions commerciales imposées par l'Organisation mondiale du commerce.
Les membres de l'AGCS s'engagent à promouvoir la libéralisation au moyen d'une privatisation accrue, de l'impartition des services publics et de la déréglementation. La plupart des gouvernements soutiennent que les services publics d'éducation en général, dont l'enseignement postsecondaire, ne sont pas assujettis à l'AGCS et en sont soustraits. Toutefois, il est fort probable que l'éducation publique ne puisse satisfaire aux critères de l'exemption. L'accord s'appliquera à l'éducation " privée " ou " commerciale ". En vertu de l'AGCS, il sera difficile de faire la distinction entre les services éducatifs publics et privés.
Les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et le Japon ont proposé une plus grande libéralisation du commerce des services éducatifs dans le cadre des discussions de l'AGSC. Leurs propositions reflètent des intérêts commerciaux nationaux qui considèrent l'éducation comme un pôle de croissance et une source de profits dans l'économie du savoir. Ces propositions supprimeraient les restrictions relatives aux établissements d'enseignement qui sont présents dans d'autres pays. Elles élimineraient également des " obstacles " comme le traitement fiscal préférentiel accordé aux établissements nationaux, l'interdiction des établissements étrangers, les restrictions au matériel d'apprentissage virtuel de fournisseurs étrangers et les exigences imposées aux universitaires étrangers à leur arrivée et à leur départ. L'ajout de l'éducation commerciale à l'AGCS menace gravement l'éducation publique.
Que pouvons-nous faire? Les délégués au congrès tripartite ont approuvé un nouveau cadre international pour l'enseignement postsecondaire que l'ACPPU a présenté. Ce nouvel instrument énoncerait les paramètres suivants :
o Reconnaître que l'éducation est un bien public et un droit humain;
o Respecter la diversité culturelle et linguistique;
o Promouvoir l'égalité à l'intérieur des pays et entre eux, assurer l'égalité aux groupes d'équité, et respecter les droits des peuples autochtones;
o Créer des institutions mondiales, libres et transparentes, qui admettent la préséance des droits humains, syndicaux et environnementaux sur les droits commerciaux;
o Préserver la capacité des gouvernements nationaux à réglementer l'éducation pour le bien commun, à maintenir et à donner de l'ampleur à l'éducation subventionnée par les deniers publics, une éducation indépendante des pressions du marché et des disciplines du libre-échange.
Le congrès s'est terminé par des engagements à travailler dans toutes les Amériques au soutien et à la défense de l'éducation publique et à maintenir l'éducation publique comme un droit pour tous les citoyens et citoyennes. Notre défi consiste maintenant à concrétiser le nouveau cadre international.