Au cours de l'été, le SRAS, la maladie de la vache folle et des pannes d'électricité ont préoccupé le pays. Toutefois, les médias ont négligé la crise qui couvait dans le milieu de l'enseignement universitaire. Avec le mois d'août, est arrivé le rapport annuel de Statistique Canada sur les droits de scolarité. Une fois de plus, les droits ont sensiblement augmenté par rapport à l'année dernière. Les droits de scolarité du premier cycle se sont accrus de 7,4 p. 100 dans l'ensemble, ce qui représente une hausse totale de 179,4 p. 100 depuis 1990-1991. Il s'agit d'une augmentation moyenne de plus de 15 p. 100 par année en douze ans. Enjeu politique important de récentes élections provinciales, l'augmentation des primes d'assurance-automobile n'a jamais atteint ce niveau. La hausse des droits de scolarité de cette année dans les écoles professionnelles met les programmes de médecine (16,7 p. 100), de droit (19,4 p. 100) et de soins dentaires (20,9 p. 100) hors de la portée des familles à faible et à moyen revenu.
Tous les sondages d'opinion publique que le Centre de recherche Décima effectue pour l'ACPPU révèlent que le financement de l'enseignement postsecondaire est un problème important qui figure parmi les plus grandes préoccupations de la population. Lors des récentes élections provinciales en Nouvelle-Écosse, où le gouvernement du Parti progressiste-conservateur a vu sa majorité s'effondrer, tant les Libéraux que les Néodémocrates ont placé l'éducation ou le gel des droits de scolarité au cœur des enjeux de leur campagne. Les problèmes de l'enseignement supérieur promettent également de jouer un rôle important lors des élections en Ontario où l'on commence à peine à prendre conscience des effets de la double cohorte sur les universités. Celles-ci seront en effet aux prises avec des salles de cours surpeuplées et une pénurie de chambres dans les résidences. Il devient évident que l'électorat reconnaît la nécessité de rétablir le financement de base des établissements d'enseignement postsecondaire. Il y a une limite au report de l'entretien des édifices (et du réseau électrique) avant que le système s'enraye peu à peu.
Les problèmes reliés au financement ont grossi en partie à cause des compressions effectuées dans les paiements de transfert aux provinces, surtout à l'époque où le prétendant au poste de premier ministre, Paul Martin, était ministre des Finances. M. Martin a dit franchement qu'il n'allait pas augmenter les transferts aux provinces au titre de l'enseignement supérieur ou des services sociaux pour que les premiers ministres s'en servent ensuite dans le but de réduire l'impôt ou de paver les routes. En campagne au Cap-Breton récemment, il a cependant reconnu que le University College of Cape Breton était un des rares moyens pour stimuler la croissance économique et l'essor de la région et qu'il méritait ainsi des fonds spéciaux. On pourrait dire la même chose de n'importe quelle autre université canadienne. Son commentaire est toutefois une preuve que la classe politique n'admet pas la véritable valeur des universitaires dans l'avancement des connaissances et de la formation de la population, outre leur rôle dans le développement économique. Il est regrettable que cette même philosophie soit présente dans la stratégie d'innovation du gouvernement.
Le gouvernement fédéral semble préconiser une stratégie, sans consultations ou débats publics, consistant à créer un système universitaire à deux vitesses. Une première catégorie englobera les universités vouées uniquement à l'enseignement et la deuxième comportera des établissements où l'enseignement sera fourni par des chargés de cours alors que des professeurs permanents effectueront de la recherche commercialisable et brevetable au profit de l'université et de l'économie. De plus, des sommes d'argent seront réservées aux collèges ayant des programmes de deux ans qui s'occuperont d'une grande partie de l'enseignement en vertu d'ententes d'articulation ou qui, dans certains cas, deviendront des établissements conférant des grades, mais voués uniquement à l'enseignement. Le Programme des chaires de recherche du Canada illustre bien ce mouvement de pensée. Les premières règles de base interdisaient d'enseigner aux titulaires des chaires.
Les politiques furtives du gouvernement fédéral semblent vouloir suivre la stratégie du gouvernement Blair, au Royaume-Uni, qui vise à créer un système universitaire à deux vitesses. Dans les deux cas, les bureaucrates invoquent une étude méta-analytique(1) pour justifier leurs décisions. Se fondant sur des recherches menées dans les années 1970, les auteurs de l'étude n'ont constaté qu'une légère corrélation entre les résultats de la recherche et l'efficacité de l'enseignement. Bien que d'autres aient soulevé les nombreux problèmes de cette étude, celle-ci continue d'être évoquée dans les documents de politique. Des études plus qualitatives révèlent d'une manière constante que les étudiants veulent participer aux projets de recherche et sont conscients de la valeur de l'engagement de leurs professeurs dans la recherche. De fait, des organismes telle l'Association to Advance Collegiate Schools of Business, située aux États-Unis, comptent parmi leurs critères d'agrément les possibilités de recherche au premier cycle.
La recherche profite aux diplômés en leur permettant de participer aux plus récentes découvertes dans leur domaine et de les mettre à l'essai sans devoir attendre pour en prendre connaissance deux ou trois ans plus tard lorsque les nouveaux manuels sortiront des presses. La recherche aide les étudiants du premier cycle à cultiver leur pensée critique et leur enseigne comment rassembler et assimiler l'information. En se demandant si de bons chercheurs font de bons enseignants, ou vice versa, on ne fait rien de moins que de brouiller les pistes. On s'écarte de la vraie question, à savoir qu'est-ce qui différencie l'enseignement postsecondaire d'autres secteurs du système éducatif : un enseignement de grande qualité intervient dans un environnement de recherche actif qui incite les étudiants à relever des défis et à mettre en doute le statu quo.
Au lieu d'instaurer des politiques qui concentrent la recherche entre une poignée d'établissements élitistes, les gouvernements devraient en élaborer qui renforcent la capacité de recherche à la grandeur du système postsecondaire et qui empêchent l'enseignement et la recherche de se fragmenter davantage. Ces politiques pourraient comprendre un plus grand soutien pour la collaboration avec les professeurs des établissements " voués à l'enseignement seulement " et pourraient accorder plus de poids à l'art d'enseigner dans les universités spécialisées en recherche.
La position peu judicieuse consistant à séparer la création du savoir de sa diffusion par l'enseignement n'aura que des conséquences néfastes pour l'enseignement postsecondaire et pour le pays.
1. Hattie, J. et Marsh, H.W. (1996) The Relationship Between Research and Teaching: A Meta-Analysis. Review of Educational Research, 66(4), p. 507-542.