Le mois dernier, l'ACPPU a publié le rapport de son Comité de la liberté universitaire et de la permanence de l'emploi sur le différend opposant le professeur David Noble et la Simon Fraser University (SFU). Les faits parlent d'eux-mêmes, me semble-t-il; je n'ai donc pas l'intention de revoir le rapport. Les circonstances de cette affaire soulèvent néanmoins un point important sur lequel nous devons nous pencher : le rôle de la collégialité dans l'université d'aujourd'hui et son rapport à la liberté universitaire.
L'administration de la SFU a déclaré dans un communiqué qu'elle rejetait le rapport Noble parce qu'il souscrit à un point de vue de la liberté universitaire totalement dissocié d'une relation de travail - un point de vue incompatible avec l'énoncé de principes de la SFU sur la liberté universitaire. Le communiqué faisait aussi valoir le droit d'enquêter sur " le style d'interaction et la collégialité " d'un candidat et, implicitement, le droit de refuser d'embaucher certaines personnes ou d'en congédier d'autres parce que l'université n'approuve pas leur " style d'interaction " ou leur " collégialité ".
C'est là une interprétation de la collégialité qui pourrait plaire à un corps professoral envisageant d'engager un collègue avec lequel il pourrait être " difficile " de traiter ou qui pourrait ne pas être la personne la plus " aimable " qui soit.
Qu'entend-on par collégialité ? Selon la plupart des dictionnaires, ce terme désigne le partage égal du pouvoir et de l'autorité entre des collègues. Il a été utilisé la première fois en 1887 pour décrire le partage collectif du pouvoir entre les évêques de l'Église catholique romaine. Le terme désigne aussi ce qui appartient à un collège ou à une université. L'adjectif " collégial " n'est synonyme ni de " bonne conduite ", ni de " politesse ", ni d'" amabilité ". Mais de nos jours, le terme est devenu pour certains membres de la communauté universitaire un mot-code décrivant une personne " difficile " ou un " fauteur de troubles " et, comme le précise la SFU dans son communiqué, il sert de justification pour refuser d'embaucher quelqu'un.
L'affaire Harry Crowe fait date dans l'histoire de l'ACPPU. En 1958, Crowe était professeur au United College de Winnipeg. Dans une lettre confidentielle, Crowe, l'ancien secrétaire de l'association des professeurs, critiquait la campagne de financement de membres du corps professoral au profit d'un conseil qui avait signifié à l'association que l'administration ne la concernait pas. Il y exprimait aussi en des termes peu équivoques son opinion sur les " prédicateurs " et la " puissance corrosive de la religion ". Le directeur du collège avait intercepté la lettre et amorcé une procédure de congédiement contre Crowe.
Crowe avait une réputation de " fauteur de troubles ". Pour défendre son action, le directeur soutint qu'il avait été expulsé pour " immoralité " lorsqu'il était étudiant. En fait, Crowe était étiqueté comme " anticollégial " (ironiquement, il soutenait la collégialité au sens propre, c'est-à-dire le partage du pouvoir). Menacé de congédiement, Crowe écrivit : " ...Je suis convaincu que la sécurité d'emploi et la liberté universitaire sont deux facettes d'un même combat... ". (On trouvera un exposé plus détaillé de l'affaire Crowe dans les ouvrages de Michiel Horn, Academic Freedom in Canada, et de Kenneth McNaught, Conscience and History.)
En 1958, l'ACPPU avait peu d'exposés de principes et de lignes de conduite sur la façon de composer avec des professeurs d'université désagréables. Aujourd'hui, le sujet est traité dans le document de discussion Qu'est-ce qui est juste ? Un guide pour les comités d'évaluation par les pairs. S'agissant de déterminer le type de preuves pouvant être utilisées à l'appui d'une permanence, d'un renouvellement de mandat ou d'une promotion, le guide explique ce qui suit : " De plus, il ne faut pas prendre de décision en raison de la personnalité difficile du (de la) candidat(e). L'université n'est pas un club social; elle est dévouée à l'excellence. L'expérience montre que les plus brillants universitaires peuvent parfois rendre la vie difficile à leurs collègues, être différents d'eux et peu susceptibles de remporter un concours de popularité. L'université est une communauté d'érudits et on s'attend à ce qu'ils soutiennent des opinions fermes et respectent leurs convictions. Inévitablement, il en découle des tensions, des conflits de personnalité et des controverses. "
Bref, les professeurs ne doivent pas être évalués selon leur " style d'interaction " et leur " collégialité ", comme le ferait la SFU avant d'embaucher un professeur chevronné pour déterminer si celui-ci sera un digne représentant de l'université.
La liberté universitaire garantit aux professeurs la possibilité de former et de soutenir des opinions fermes dans le cadre de leur enseignement et de leurs travaux de recherche. C'est le droit d'enquêter, d'émettre des hypothèses et de formuler des observations sans devoir se soumettre à une doctrine prescrite. C'est le droit de critiquer l'université, l'association de professeurs et la société en général. C'est le droit d'être à l'abri de la censure institutionnelle. C'est le droit d'exercer ses droits légaux de citoyen, de jouir du droit à la liberté d'expression, sans encourir de sanction. Voilà le point de vue soutenu par la SFU tel qu'il est énoncé dans l'entente-cadre conclue entre l'université et la Simon Fraser University Faculty Association.
Comment la liberté de circulation des professeurs d'une université à l'autre peut-elle être garantie si le libre exercice des droits associés à la liberté universitaire dans une université sous la forme d'opinions, de recherches ou d'un enseignement controversés peut se traduire par la perte de perspectives d'emploi dans une autre université? La liberté universitaire ne saurait être le propre d'une seule université : ou elle s'étend à tous les établissements, ou elle est inexistante.
The report of CAUT's Academic Freedom and Tenure Committee into complaints raised by Professor David Noble against Simon Fraser University regarding alleged infringements of academic freedom is available at www.caut.ca/english/issues/acadfreedom/noblereport.asp.