Voici revenu le temps de l'année où les médias d'information tentent d'évaluer les universités en leur attribuant un carnet de notes ou un classement. Nouveau venu parmi les " faiseurs de listes ", le Globe and Mail a publié en octobre dernier son " University Report Card ", une sorte de carnet de notes qui classe les universités suivant le degré de satisfaction des étudiants.
Le problème tenait au fait que les écoles n'étaient pas toutes représentées équitablement par un nombre suffisant de répondants. Et ceux-ci, comme on pouvait s'y attendre, ne fournissaient pas toujours des réponses bien informées. Je suis certain que l'Université de Waterloo a été heureuse d'apprendre que son école de droit inexistante s'est classée neuvième au pays en ce qui a trait à la réputation de l'établissement. Les présidents d'université obsédés par la préoccupation d'accroître la réputation de leur établissement dans les classements annuels pourront peut-être tirer une leçon de ce cas : abolissez un programme et constatez une nette amélioration de sa réputation.
Le classement des universités par le Globe and Mail sera suivi ce mois-ci par l'édition spéciale - et la plus lucrative - du magazine Maclean's consacrée au classement des universités canadiennes participantes. Bon nombre d'étudiants et leurs parents s'y réfèrent pour déterminer les établissements qu'ils devraient privilégier. Le Maclean's donne une description très générale de ses méthodes de classement sur son site web mais ne fournit pas suffisamment de détails pour qu'on puisse les évaluer de façon éclairée. Le magazine évalue les universités en fonction de la population étudiante, des salles de classe, du corps professoral, de l'état des finances, de la bibliothèque et de la réputation de l'établissement. Différents coefficients de pondération sont attribués à ces facteurs, et chacun de ces facteurs comporte des sous-éléments tels que le nombre et la valeur en dollars des bourses de recherches et d'études supérieures ainsi que le nombre d'étudiants par classe.
Mais le Maclean's comme le Globe and Mail ne donne aucune indication sur les véritables différences qui existent entre les écoles. L'ordre de classement efface l'importance des différences. Tout ce que l'on peut dire d'un ordre de classement, c'est qu'un établissement se classe mieux qu'un autre - et non pas si les différences entre les établissements sont significatives. Voilà pourquoi il serait plus utile de ranger les universités dans des catégories plutôt que de leur attribuer un ordre de classement. Certes, la catégorisation des établissements ne ferait pas vendre autant de magazines ou de journaux que le classement, mais elle serait représentative.
Le fait que le Maclean's et le Globe and Mail attribuent un classement aux universités dessert les intérêts des parents et des étudiants, parce que cela donne l'impression que les établissements classés les plus bas sont inférieurs et ne sont pas dignes d'être sélectionnés. En fait, l'une des caractéristiques de l'enseignement postsecondaire public au Canada est la qualité globale de nos universités et la forte probabilité que les étudiants recevront une bonne éducation quelque soit l'établissement qu'ils choisiront.
Ce que le Maclean's et le Globe and Mail devraient évaluer, c'est l'engagement des gouvernements fédéral et provinciaux à soutenir l'enseignement postsecondaire. Depuis le début des années 1990, la baisse du financement de base en dollars réels a davantage un effet négatif sur l'enseignement postsecondaire que toutes les mesures prises par une université pour influer sur les cotes attribuées.
Je n'ai aucun doute que le Globe and Mail et le Maclean's continueront de publier les classements des universités aussi longtemps que les éditions comportant ces listes rapporteront de l'argent. Il serait utile, toutefois, qu'ils rangent les établissements par catégories plutôt que par ordre de classement et qu'ils incorporent des indicateurs qui reflètent le rôle que les gouvernements jouent dans le secteur de l'éducation. Quels pourraient être ces indicateurs, entre autres?
À quoi sert de savoir qu'une école est classée au premier rang si vos finances ne vous permettent pas de la fréquenter? Comment se répartit la population étudiante des différents groupes socio-économiques? Qui fréquente les écoles professionnelles de droit, de commerce, de médecine et d'art dentaire? Quel pourcentage d'étudiants obtient des prêts et bourses? Combien d'étudiants abandonnent leurs études pour des raisons financières? À combien se chiffre la dette moyenne des étudiants diplômés de l'université? Quel est le pourcentage de la hausse des droits de scolarité à la grandeur de l'université? Ce pourcentage excède-t-il celui du coût de la vie?
La qualité d'un corps professoral ne se mesure pas simplement par le nombre de titulaires de Ph.D. et le nombre de bourses que ce grade confère. Pourquoi ne pas mesurer le temps que les professeurs passent à travailler avec les étudiants en dehors de la salle de classe? Les salaires peu élevés tout comme la pénurie d'installations adéquates incitent les professeurs à se tourner vers d'autres emplois. Quel pourcentage du budget de l'université est consacré aux salaires des professeurs et aux activités professionnelles? Quel est le salaire moyen pour chaque catégorie de professeurs à l'université? Quel pourcentage des cours offerts par l'université est donné par des professeurs permanents à temps plein? Les universités comptent parmi les rares employeurs qui ne fournissent pas à leurs employés les outils et les ressources dont ils ont besoin pour accomplir leur travail. L'université met-elle un ordinateur à la disposition de chaque professeur? Le corps professoral a-t-il accès à des bureaux et à des laboratoires adéquats?
La population étudiante et le corps professoral reflètent-ils la société canadienne? Quels pourcentages des étudiants et des professeurs sont des femmes et des membres des minorités visibles? L'université s'est-elle engagée à améliorer le statut des femmes et des minorités visibles? L'université a-t-elle adopté des politiques qui font la promotion de l'équité et qui s'attaquent efficacement à toute forme de harcèlement?
Les parents et les étudiants devraient s'intéresser à l'évolution des relations du travail au sein d'une université. Sont-ils en train d'arrêter leur choix sur un établissement qui entretient depuis longtemps de piètres relations avec son personnel? Sont-ils susceptibles de se heurter à une grève des professeurs à temps plein ou à temps partiel, des bibliothécaires, des assistants à l'enseignement, du personnel de soutien ou des autres travailleuses et travailleurs? Devront-ils composer avec le stress d'un milieu de travail malsain causé par de piètres relations?
La liberté universitaire est le trait distinctif d'un établissement d'enseignement. Les professeurs se sentent-ils libres d'exprimer leurs opinions, même controversées? L'université respecte-t-elle et soutient-elle les principes de la liberté universitaire? L'université a-t-elle un programme de commercialisation qui a priorité sur la liberté universitaire? Quel rôle jouent les sociétés qui financent et orientent les politiques et les objectifs de l'université?
Le Maclean's et le Globe and Mail reconnaissent tous deux que les gens tendent à être fascinés par les listes. Chacun d'entre nous cherchera à savoir quel ordre de classement a été attribué cette année à notre établissement. Ce qu'il faut retenir, ce sont les limites imposées par ces listes et les problèmes qui les accompagnent. Il est temps que le Maclean's et le Globe and Mail commencent à s'intéresser aux questions sérieuses auxquelles l'enseignement postsecondaire est confronté plutôt que de simplement essayer d'en tirer profit en déterminant quelle université est dotée du plus beau pub.