" La dernière étape du processus de réforme du droit d'auteur a mal démarré ", a déclaré Ken Field, président du groupe de travail sur la propriété intellectuelle de l'ACPPU.
Tout au long des mois d'octobre et de novembre, le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes a tenu des audiences sur les modifications possibles à apporter à la loi. Le processus, qui devrait se poursuivre dans la nouvelle année, aura des répercussions importantes sur le monde universitaire.
" La question qui se pose en l'occurrence est celle de savoir comment la société perçoit le savoir ", a fait valoir M. Field. " Fait-il partie intégrante du patrimoine commun de l'humanité? Ou est-ce un bien qui peut être entièrement acquis et immobilisé par des intérêts privés? "
Le débat parfois très animé qui se tient devant le comité tourne autour de la question d'équilibre. D'un côté, les " utilisateurs " - ceux qui font utilisation du matériel visé par le droit d'auteur - soutiennent que la loi doit représenter équitablement les intérêts non seulement de ceux qui sont propriétaires du matériel visé par le droit d'auteur mais aussi de ceux qui l'écoutent, le lisent et l'empruntent. De l'autre côté, les " propriétaires " estiment que la loi doit avoir pour objet d'accroître les intérêts financiers de ceux qui détiennent les droits d'auteur sur le matériel visé.
" La Cour suprême du Canada est très claire à ce sujet ", de préciser M. Field. " La cour a statué que la Loi sur le droit d'auteur visait à faire en sorte que la diffusion des oeuvres soit dans l'intérêt public et que les créateurs soient justement récompensés.
M. Field se demande si les travaux sur la question s'enlisent parce que les lobbyistes des propriétaires ont très bien su se présenter comme la voix de l'artiste individuel.
" Ils s'autorisent à penser qu'une seule chose peut intervenir entre les jeunes artistes canadiens et la mort par inanition : une version plus restrictive de la Loi sur le droit d'auteur ", a dit M. Field. " Et le comité avale cet argument. "
Selon M. Field, les lobbyistes du secteur ont certes su utiliser stratégiquement l'image de l'artiste crevant de faim, mais les gens en général commencent à percer à jour cette tactique.
" La justice pour les écrivains, les peintres et les sculpteurs doit se trouver au centre d'une politique culturelle ", a soutenu M. Field. " L'ennui, malheureusement, c'est que dans un contexte de consolidation massive de l'industrie du disque, de l'édition, de la radio et de la télévision, un gouffre se creuse entre les intérêts des artistes individuels et ceux de leurs partenaires commerciaux. "
Il a cité l'exemple de Jonathan Tasini, l'ancien président de la National Writers Union aux États-Unis, qui a mené contre le New York Times une longue bataille juridique - qui lui a donné gain de cause en bout de ligne - en vue de protéger les droits des rédacteurs pigistes. M. Field explique que Tasini a formé une alliance avec l'American Library Association à qui il attribue une part importante de sa victoire devant la Cour suprême des États-Unis.
" L'affaire Tasini représente le début de la fin de la dichotomie traditionnelle entre les créateurs et les utilisateurs du matériel visé par le droit d'auteur. Ce qu'il y a d'étonnant dans l'affaire Tasini contre The New York Times, c'est que
les rédacteurs comme les bibliothécaires, les créateurs comme les utilisateurs se sont élevés ensemble contre les propriétaires - l'industrie de l'édition. "
M. Field signale que le comité du patrimoine de la Chambre des communes doit se pencher sur une autre question délicate : la prolongation possible du délai de protection imparti par la Loi sur le droit d'auteur. À l'heure actuelle, la loi protège une oeuvre pendant la vie de l'auteur plus 50 ans, après quoi l'oeuvre passe au domaine public et peut être utilisée et reproduite sans restriction. Les propriétaires de droits d'auteur veulent que le délai de protection soit porté à " la vie de l'auteur plus 70 ans ".
" La "question de prolongation" illustre parfaitement ce en quoi consiste la phase courante des travaux de réforme ", a ajouté M. Field. " Au moment où le droit d'auteur sur les biens de société tels que Mickey Mouse arrive presque à expiration, les grandes maisons d'édition aspirent à la refonte de la loi en leur faveur afin de protéger leur monopole aux dépens du domaine public. Il est ridicule de laisser entendre que cette action vise d'une manière ou d'une autre à aider les créateurs individuels, mais c'est de cette façon que les propriétaires essayent de vendre leur salade. "
Bien que M. Field se dise déçu du ton qu'ait pris la première série d'audiences tenues par le comité, il demeure persuadé que les milieux savants peuvent encore façonner la loi d'une façon qui tienne compte de l'intérêt public en général dans un droit équilibré.
" La loi sur le droit d'auteur ne posait pas réellement un problème dans le monde universitaire d'il y a cinq ans, mais une passion pour la question est en train de s'y développer ", de conclure M. Field. " Si cette passion peut mobiliser une action politique, alors le domaine public a encore une chance ".