Il a été question dans plusieurs de mes rubriques précédentes des tendances qui se manifestent au Canada tout comme au Royaume-Uni vers une séparation des fonctions de l'enseignement et de la recherche dans les universités. Les plus forts défenseurs de ces mouvements cherchent au bout du compte à créer un petit groupe de " superuniversités " d'élite qui se concentrerait sur la recherche en faisant abstraction de l'enseignement et de la prestation de services.
Dans la quasi-totalité des cas, les conventions collectives en vigueur ou les ententes cadres négociées entre les professeurs et les administrateurs précisent que les responsabilités des professeurs à temps plein sont l'enseignement, la recherche ou les travaux d'érudition et la prestation de services. Il arrive aussi que ces accords, ou les politiques des universités, déterminent le pourcentage de temps que les membres du corps professoral doivent consacrer à ces trois composantes, la répartition la plus courante étant 40-40-20. Ces pourcentages peuvent varier sensiblement, mais la plupart des professeurs acceptent qu'ils doivent s'acquitter de ces trois fonctions dans le cadre des responsabilités inhérentes à leur poste. Il se peut à l'heure actuelle que certains professeurs donnent rarement des cours de premier cycle, mais la réalité sera tout autre lorsqu'une catégorie entière de professeurs d'un établissement n'aura jamais donné de cours offerts aux étudiants du premier cycle. Quelles techniques utilise-t-on notamment pour séparer l'enseignement et la recherche dans certaines universités?
Premièrement, tout porte à croire que nous nous acheminons vers une pénurie de professeurs qualifiés. En effet, d'après un rapport de l'Association des universités et collèges du Canada (AUCC), il faudra recruter des milliers de nouveaux professeurs pour remplacer ceux qui seront forcés de prendre leur retraite à 65 ans dans les dix prochaines années. C'est là plus que pourraient en produire actuellement les écoles canadiennes d'études supérieures. L'AUCC préconisait comme solution de mettre fin au système de recrutement à deux volets de sorte que les candidatures des étrangers puissent être acceptées dès le début pour les postes offerts dans les universités canadiennes.
Il existe une solution à cette pénurie de personnel que l'on ne mentionne jamais. Si le problème réside avant tout dans la retraite obligatoire à 65 ans, nous n'avons qu'à nous débarrasser de cette prescription et à fidéliser les professeurs jusqu'à ce que ceux-ci partent à la retraite de leur plein gré. Ce ne sont certes pas tous les professeurs qui appuient la suppression de la retraite obligatoire car certains y voient un moyen de dynamiser le corps professoral. D'autres font valoir que la retraite obligatoire constitue une discrimination à l'égard des professeurs, tout particulièrement les femmes qui joignent plus tard les rangs des universitaires.
Pourquoi les présidents d'université restent-ils muets sur la question au moment surtout où notre premier ministre de 65 ans se dit en faveur de la suppression de la retraite obligatoire? Regardez la situation autour de votre campus. Combien de vos récents retraités sont maintenant embauchés sous contrat pour une période déterminée ou bien comme professeurs à la leçon? Le maintien de la retraite obligatoire permet aux universités de tirer parti d'un corps professoral possédant les titres et les compétences nécessaires à un coût moins élevé. Le nombre des professeurs retraités qui seront réembauchés sous contrat pour enseigner seulement est susceptible d'augmenter d'ici la prochaine décennie, particulièrement si l'on tient compte des professeurs retraités qui ne sont pas dotés d'un régime de retraite adéquat.
Deuxièmement, les universités canadiennes continuent de rivaliser avec les établissements américains et comptent de plus en plus sur les employés contractuels. Les enseignants engagés à la leçon ou suivant d'autres dispositions contractuelles ont un rôle légitime à jouer dans les universités. Il arrive souvent que ce personnel apporte son expertise professionnelle ou contribue inopinément à augmenter les effectifs étudiants. Dans d'autres cas, les universités préfèrent carrément recourir aux chargés de cours parce que c'est de la main-d'oeuvre à bon marché.
Le président d'une université ontarienne aurait déclaré : " Pourquoi devrais-je confier l'enseignement d'un cours de baccalauréat à un professeur-chercheur qui gagne 75 000 $ quand un enseignant à temps partiel peut exécuter cette tâche pour 7 000 $? " Nous ne savons même pas combien de chargés de cours exactement sont embauchés par les universités canadiennes parce que Statistique Canada est incapable de recueillir cette information, tout comme bon nombre d'universités prétendent ne pas savoir combien de professeurs à temps partiel elles emploient. Le conseil d'administration d'une société congédierait le directeur général qui ferait une telle allégation.
Les associations de professeurs doivent s'opposer aux mesures visant à séparer les fonctions de l'enseignement
et de la recherche, en particulier la création de postes consacrés uniquement à l'enseignement. Cela peut se faire en négociant des dispositions de retraite souples qui autorisent la pré-retraite de même que la retraite après 65 ans. Le fait de réembaucher des professeurs pour qu'ils enseignent après 65 ans démontre qu'ils n'auraient jamais dû être obligés de prendre leur retraite. Certaines associations de professeurs négocient des plafonds concernant le travail qui peut être exécuté sous contrat, en vue de maintenir le nombre de professeurs à temps partiel à un niveau donné. Ces plafonds prouvent qu'il existe un besoin légitime de limiter le nombre d'universitaires contractuels. C'est là certes un début, mais il faut établir de meilleures dispositions pour les enseignants contractuels qui font déjà partie du monde universitaire.
Écarter les besoins des universitaires contractuels actuels est une autre forme d'exploitation. Les associations de professeurs doivent négocier pour les contractuels des salaires, avantages et conditions de travail qui se situent au même niveau que ceux qui sont offerts aux professeurs à temps plein. Elles doivent s'opposer à toutes les mesures visant à mettre en place des pratiques qui exploitent les universitaires contractuels, telle l'obligation de donner cinq or six cours par semestre sans avoir l'occasion d'effectuer des travaux de recherche.
Il faut aider les universitaires contractuels qui occupent déjà des postes consacrés uniquement à l'enseignement à devenir compétitifs par rapport aux postes à temps plein en améliorant leur compétences de recherche. Ces dispositions devraient conférer aux universitaires contractuels le droit d'effectuer des travaux de recherche ou d'érudition et l'accès aux installations dont ils ont besoin pour ces travaux pendant qu'ils occupent un poste consacré à l'enseignement. Les universitaires contractuels devraient toucher un soutien financier qui leur permettrait de participer à des conférences et ils devraient avoir l'occasion de diriger les travaux de recherche d'étudiants de tous les cycles. Les universitaires contractuels qui occupent depuis longtemps un poste consacré uniquement à l'enseignement devraient avoir la possibilité de se recycler ou de se familiariser avec les nouvelles techniques de recherche.
Ce n'est là qu'une liste partielle des suggestions que nous devons explorer pour que le monde universitaire continue de s'occuper de ses deux fonctions premières : l'enseignement et la recherche. En attendant, reconnaissons aux universitaires contractuels tout le respect qui leur est dû pour l'excellent travail qu'ils accomplissent dans des conditions très difficiles.