Un article paru récemment dans The Chronicle of Higher Education portait sur le " système de gouvernance inhabituel " en place à l'Université de Cambridge. Dans cet établissement, la responsabilité de la prise de décisions sur les questions universitaires et non universitaires incombe à l'administration et au corps universitaire. Les 3 000 membres du corps administratif, le " Regent House ", ont le droit de voter sur chaque question d'importance et d'établir des politiques et de prendre des décisions sur l'orientation stratégique de l'université. Ce régime démocratique placé sous la direction du corps professoral a été instauré en 1209. Comme c'est souvent le cas dans une véritable démocratie, ce système peut s'avérer désordonné, inefficace et chronophage lorsque chaque membre peut exercer son droit de parole et son droit de vote.
En 2002, le gouvernement britannique a jugé ce système difficile à gérer lorsqu'il a voulu que Cambridge modifie ses politiques de propriété intellectuelle pour faire en sorte que l'université devienne propriétaire de pratiquement tout ce qui est produit par les professeurs. Tout comme dans le cas de la plupart des universités canadiennes, les droits de la propriété intellectuelle appartiennent aux créateurs, c'est-à-dire les universitaires. Au Canada, ces droits sont garantis dans les conventions collectives ou les ententes cadres. Les droits de propriété intellectuelle constituent peut-être l'une des questions les plus importantes du moment.
Le mois dernier, les membres du corps professoral de l'Université Acadia ont déclenché la grève. L'une des principales questions au coeur du différend concernait la propriété intellectuelle et la volonté de l'administration universitaire de devenir propriétaire des produits créés par les professeurs. Des différends sur la propriété intellectuelle ont été soulevés récemment dans d'autres universités. Celles-ci cherchent à contrôler la propriété intellectuelle en vue de commercialiser les travaux des professeurs et d'utiliser les revenus qui en découlent pour compenser les compressions effectuées par le gouvernement. Les présidents d'université se sont également engagés, ainsi que leurs universités, à augmenter largement le montant des travaux de recherche commercialisés sur les campus. Le droit afférent à la propriété intellectuelle est essentiel à la réalisation de ces plans.
À Cambridge, le débat sur la propriété intellectuelle se poursuit un an et demi plus tard, au grand dam de l'administration. Les tentatives en vue de réformer le système de gouvernance à Cambridge ont aussi échoué malgré la thèse des réformistes suivant laquelle la Regent House " ne peut absolument pas prendre de décisions ". Le corps professoral a rejeté par vote une proposition visant à conférer au vice-recteur les pouvoirs équivalents à ceux d'un chef de la direction. Les réformistes, quant à eux, veulent aligner le système de gouvernance de Cambridge sur ceux des autres universités britanniques et de la quasi-totalité des universités américaines où un conseil d'université (c'est-à-dire un bureau des gouverneurs) composé de quelques universitaires et d'une majorité de gens d'affaires de l'extérieur est chargé d'administrer l'université.
Au Canada, le corps professoral maintient qu'il doit jouer le rôle directeur dans la prise de décisions et l'établissement des politiques en matière d'enseignement. Dans presque toutes les universités canadiennes, la gouvernance est partagée entre un sénat qui détient apparemment le contrôle des décisions et des politiques en matière d'enseignement et un bureau des gouverneurs qui s'occupe des finances et de la gestion. Au cours des dernières années, les universitaires se sont demandé si le sénat fonctionnait comme il faut. Lorsque les administrateurs sont en désaccord avec une décision du sénat, ils font valoir que la décision doit être confirmée par le bureau des gouverneurs, auquel le sénat est asservi. La fermeture de deux collèges à l'Université Trent en est une parfaite illustration.
À d'autres moments, le sénat se préoccupe de questions administratives générales et évitent de discuter sérieusement les questions de première importance. Rien d'étonnant que les universitaires soient si nombreux à se montrer peu enclins à faire partie du sénat, dont les pouvoirs tendent à s'éroder avec le temps. Et bon nombre de ceux et celles qui deviennent membres du sénat le font pour occuper une place plus prééminente parmi les administrateurs et seront ceux et celles qui progresseront vraisemblablement dans les postes de l'administration. La conséquence de tout cela, c'est que les sénats d'aujourd'hui sont beaucoup plus faibles que ceux d'il y a 30 ou 40 ans.
Que peut-on ou devrait-on faire à cet effet? Le corps professoral devrait-il chercher à améliorer les sénats de façon qu'ils privilégient davantage la transparence, ou devrait-on s'en désintéresser totalement et chercher à préserver la collégialité par d'autres moyens? Je pense que l'on a répondu à la question.
Dans un grand nombre d'universités canadiennes, le corps professoral a déjà adopté le modèle démocratique de Cambridge. Au lieu de travailler dans le cadre établi des sénats, les universitaires ont choisi de recourir à la négociation collective pour s'attaquer aux questions fondamentales telles que la propriété intellectuelle, la permanence, la liberté universitaire, les promotions, la redondance des programmes, les évaluations de la qualité d'enseignement, le renouvellement du corps professoral et les effectifs. Au début de la négociation collective, un syndicat de professeurs d'université était considéré comme contraire à un système de gouvernance collégiale. Rien ne pouvait être aussi éloigné de la vérité. Les conventions collectives sont devenues la meilleure représentation de la gouvernance collégiale dans les universités canadiennes. Comme à l'Université Cambridge, chaque membre du corps professoral joue effectivement un rôle dans la proposition des positions de négociation et détient un vote qui lui permet d'adopter ou de rejeter les positions négociées définitives au moyen de la ratification de la convention collective.
Certaines associations de professeurs essaient de faire la juste part des choses et de ne pas empiéter sur les rôles ou les politiques qui sont normalement du ressort des sénats. Il est peut-être temps que les associations de professeurs revoie cette pratique, tout comme il est approprié que l'ACPPU revoie sa position sur la gouvernance qui adopte le sénat comme fondement de la collégialité. Ce dont il faut nous préoccuper, ce n'est pas de déborder sur le territoire des sénats, mais c'est plutôt de chercher à instaurer dans les conventions collectives des mécanismes qui accroissent le rôle du corps professoral dans la gouvernance de leur institution.
La présente rubrique est dédiée à la mémoire d'Edwin Anderson, ancien président de l'ACPPU et de l'University of Manitoba Faculty Association et ancien secrétaire du sénat de l'Université du Manitoba. Ed, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler lorsqu'il exerçait les fonctions de président de l'ACPPU, est décédé du cancer le 15 février dernier. Que ce soit par l'entremise des associations de professeurs ou du sénat, Ed croyait que le corps professoral avait un grand rôle à jouer dans la gouvernance des universités.