Mes deux grands-pères ont immigré en Pennsylvanie dans les années 1890 lorsqu'ils étaient âgés de neuf et dix ans. Leur famille en Italie et en Europe de l'Est les avait envoyé chercher une meilleure vie aux États-Unis. Ils vivaient avec des parents qui travaillaient dans des mines de houille anthraciteuse. Les jeunes travaillaient dans les broyeurs à charbon pour gagner un peu d'argent et aider à leur famille. On les appelait les " breaker boys " ces jeunes garçons qui s'assoyaient à califourchon sur les goulottes qui déversaient le charbon en continu en provenance d'une machine qui dégraissait, concassait et triait le minerai. Les garçons avaient pour tâche de ramasser parmi le flot de charbon la roche, l'ardoise et les autres rejets. Il arrivait très souvent que les " breaker boys " soient emportés par les goulottes et y perdent la vie.1 Lorsqu'ils parvenaient à vivre jusqu'à 14 ans environ, ils étaient affectés au fond de la mine où commençait leur carrière de mineur qui ne prendrait fin qu'à leur retraite ou à leur mort. Très peu d'entre eux prenaient leur retraite.
Je n'ai jamais connu mes grands-pères qui sont morts, avant ma naissance, de ce que nous appelons maintenant l'anthracose, une maladie due à l'inhalation des poussières de charbon qui s'infiltrent dans les poumons tout au long des années. À cette époque, mourir au travail ou mourir des suites d'une maladie ou d'un accident professionnel répondait à une nécessité économique : les travailleurs conservaient ainsi leur emploi et le milieu de travail continuait de fonctionner.
Les mineurs et leurs familles aspiraient par leurs sacrifices à un avenir meilleur pour leurs enfants. Cet avenir, ils le voyaient dans l'éducation. L'objectif à atteindre était un emploi bien rémunéré et " assuré " pour leurs descendants. Nombreux sont les enfants et les petits-enfants de familles d'immigrants qui se sont trouvés des emplois d'enseignants et de professeurs et d'autres professionnels. Nous travaillons aujourd'hui dans des milieux propres, confortables et sécuritaires. Nous en avons fait du chemin depuis l'époque des " breaker boys ", mais peut-être ne devrions-nous pas être aussi optimistes face à notre environnement de travail.
Bon nombre d'entre nous travaillent dans des immeubles qui ont été construits dans les années 1950 et 1960. Un grand nombre de ces immeubles renferment presque certainement de l'amiante sous une forme ou sous une autre : entre autres dans les carreaux à parquet, les carreaux de plafond insonorisant, les systèmes thermiques, les revêtements isolants et les revêtements de diverses surfaces. L'amiante recouvert peut ne pas poser de risque pour la santé. Le véritable problème, c'est que les particules ou les fibres d'amiante, une fois qu'elles se libèrent et qu'elles sont inhalées, peuvent entraîner plusieurs maladies dont l'amiantose, le cancer des poumons et le mésothéliome. L'amiante finit toujours par devenir friable (en s'effritant ou en se détachant en fragments).
Vous vous souviendrez peut-être des cas de mésothéliome à l'Université du Manitoba que nous avons signalés récemment dans le Bulletin de l'ACPPU. Le mésothéliome est principalement un cancer de la plèvre du poumon et
la seule cause connue d'exposition à l'amiante. Des personnes ayant été exposées à des niveaux très faibles peuvent le contracter. L'exposition n'a pas besoin d'être directe. Les personnes exposées à l'amiante peuvent transporter à la maison dans leurs vêtements des fibres qui se détacheront et qui seront inhalés par les membres de la famille. L'amiante est un tueur silencieux : la période de latence avant l'apparition de la maladie est d'environ 30 ans, qui peuvent néanmoins se réduire à dix. Il n'existe pas de remède connu.
La meilleure solution est coûteuse : éliminer les matériaux contenant de l'amiante. Pour les nombreuses universités qui pratiquent l'" entretien différé ", ce n'est pas l'option à privilégier. Dans le même temps, l'entretien différé augmente la probabilité que les employés des universités inhalent une dose quotidienne d'amiante. L'élimination de l'amiante doit se faire d'une manière contrôlée. Récemment, le Toronto Star a rendu compte de la façon dont on s'y était pris pour retirer l'amiante du toit en porte-à-faux d'un immeuble à appartements du centre-ville. Bien que les travailleurs aient porté un dispositif de protection, ils ont laissé derrière eux des produits d'amiante effrités dans les jardins de fleurs et le gazon.
Posez-vous les questions : a-t-on relevé un nombre inhabituel de cancers parmi le personnel universitaire et non universitaire sur votre campus? Craignez-vous que votre immeuble ne contienne des produits d'amiante (c'est ce qui risque de se produire s'il date du milieu des années 1970)? Si c'est le cas, communiquez avec votre comité conjoint de la santé et de la sécurité au travail, soulevez la question et demandez-lui de s'assurer en votre nom que vous travaillez dans un environnement sécuritaire. Dans toutes les provinces, vous avez le droit de refuser de travailler dans un environnement qui pose un risque pour votre santé et votre sécurité. De plus, informez-en l'agente de santé et de sécurité au travail de l'ACPPU, Laura Lozanski (lozanski@caut.ca).
L'incident qui s'est produit à l'Université du Manitoba nous a fait réaliser que nous ne nous étions pas préoccupés suffisamment des questions de santé et de sécurité au travail. En novembre 2002, le Conseil de l'ACPPU a autorisé l'embauche d'un agent de santé et de sécurité au travail. Dans la foulée de cette initiative, nous avons récemment organisé une conférence de deux jours sur les questions de santé et de sécurité auxquelles fait face le personnel universitaire. Dans tous les bâtiments des campus, le personnel universitaire est susceptible d'entrer en contact avec des produits chimiques ou des substances toxiques, d'utiliser de l'équipement défectueux et de travailler dans un environnement exposé à une piètre qualité de l'air, au bruit et aux fluctuations de température.
L'ACPPU diffusera une série de fiches d'information sur les questions de santé et de sécurité au travail qui concernent le personnel universitaire. Ces fiches seront transmises aux associations de professeurs et seront publiées sur le site web de l'ACPPU. La première fiche de la série porte sur le stress professionnel, sans doute le risque le plus nocif pour la santé et la sécurité au travail du personnel universitaire. Le stress en milieu professionnel se manifeste lorsqu'un conflit survient entre les exigences des emplois et la mesure dans laquelle les employés peuvent contrôler ces exigences.
Nous nous plaisons à penser que les postes de professeurs d'université confèrent beaucoup de contrôle à leurs titulaires. Mais les facteurs tels que la sécurité d'emploi (la permanence ou les compressions d'emploi), les promotions, la rémunération adéquate et les conflits avec l'administration, les collègues et les étudiants contribuent tous à réduire ce contrôle et à créer des situations de stress. Le nombre d'étudiants qui ne cesse d'augmenter dans les classes, le nombre restreint des enseignants et des autres ressources ainsi que les incessantes demandes de faire plus avec moins créent du stress dans les universités.
De récentes études menées auprès d'universitaires d'établissements britanniques et australiens, qui ont subi les mêmes types de contraintes financières et de compressions de personnel que les écoles canadiennes, illustrent ces préoccupations. Au Royaume-Uni, la plus importante source de stress était la sécurité d'emploi. En Australie, plus de la moitié du personnel universitaire risquait de souffrir de problèmes psychologiques comparativement à environ un cinquième de la population générale. Nous ne disposons pas de données comparables pour le Canada mais l'ACPPU est sur le point d'entreprendre une enquête nationale auprès des universitaires pour évaluer l'incidence du stress dans les universités canadiennes.
Contrairement au cas de l'amiante, les associations de professeurs peuvent intervenir de diverses façons pour réduire le stress causé à leurs membres. Ils peuvent entre autres négocier l'équité des procédures relatives à la permanence, aux promotions, à l'excédent de personnel et aux évaluations du rendement, examiner la justesse et la validité des régimes de rémunération et des avantages sociaux et évaluer l'équilibre entre les exigences d'enseignement et de recherche de même que l'équilibre entre le travail et la famille.
Intervenir dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail n'est pas seulement une obligation morale pour nos associations, c'est aussi une obligation juridique. À la suite du désastre qui s'est produit dans la mine Westray en Nouvelle-Écosse, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-45 en vertu duquel les associations et les syndicats, de même que les employeurs, ont maintenant une obligation extraordinaire de diligence et de prudence et ils peuvent être tenus responsables s'ils ne s'acquittent pas de cette obligation. Mourir au travail ne doit être d'aucune façon une nécessité économique. Il nous incombe de tout faire en notre pouvoir pour créer et préserver un milieu de travail sain et sécuritaire qui nous permettra de connaître nos petits-enfants.
1. Le film " Traître sur commande " (The Molly Maguires) produit en 1968 par Paramount Pictures dresse un portrait réaliste de la vie dans les mines de houille anthraciteuse de la Pennsylvanie du XIXe siècle et du travail des " breaker boys ".