Lorsque Anne Duffy, professeure de médecine à l'Université d'Ottawa, s'est présentée au travail, le 23 mars dernier, à l'Institut de recherche en santé mentale (IRSM) de l'université, rattaché à l'Hôpital Royal d'Ottawa (HRO), une surprise désagréable l'attendait.
Quelqu'un avait affiché sur la porte sécurisée de sa salle des dossiers une note l'informant que ses dossiers de recherche, de même que ceux de ses collègues Paul Grof et Martin Alda, avaient été emportés.
D'autres documents de recherche avaient également été saisis dans son bureau fermé à clé et dans ceux de ses employés, le coordonnateur de la recherche et l'infirmière chercheure. Une note collée sur la porte indiquait que les dossiers avaient été pris par « l'administration de l'HRO, l'administration de l'IRSM et le Comité d'éthique de la recherche ». Aucune justification n'était donnée.
Dre Duffy et ses employés ont ensuite constaté qu'ils ne pouvaient plus avoir accès à leur base de données parce que quelqu'un avait modifié les paramètres de leurs ordinateurs. De plus, leurs fichiers informatiques avaient été transférés sur une autre unité du réseau de l'hôpital. Dre Duffy ne savait pas qui détenait les dossiers ni où ils se trouvaient.
Malgré les efforts intenses qu'ils ont déployés, les avocats des trois chercheurs ont été incapables d'obtenir une justification convaincante de la saisie et de recouvrer les dossiers. Ils ont toutefois appris que ceux-ci avaient été reproduits contrairement à l'interdiction prévue dans les formulaires de consentement à l'intention des sujets d'étude.
Le mystère s'est épaissi lorsque l'administrateur général de l'Hôpital Royal Ottawa et vice-président du département de psychiatrie de l'Université d'Ottawa, Paul Dagg, a fait savoir au Dre Duffy, dans une lettre datée du 12 avril, qu'il était d'accord avec elle et Dr Grof pour dire qu'ils « avaient répondu de façon détaillée et précise à toutes les préoccupations sur la protection de la vie privée et la confidentialité qui ont été soulevées (lors d'une réunion avec M. Dagg) » et qu'« aucune explication n'avait été donnée pour justifier la saisie de leurs données expérimentales et le fait que celles-ci ne leur avaient toujours pas été restituées ».
Pour ajouter au mystère, le président du Comité d'éthique de la recherche de l'HRO, Alan Douglass, a écrit au président de l'IRSM à Ottawa, le 21 avril dernier, pour lui faire part que les membres du comité d'éthique « regrettent que l'administration de l'IRSM ne les ait pas prévenus à l'avance de la saisie des documents de recherche des Drs Duffy et Grof, qui a eu lieu le 22 mars 2005 ».
« Le comité d'éthique affirme qu'il n'a pas suspendu les travaux de recherche des deux médecins », a-t-il ajouté.
« Le fait que des dossiers et des données de recherche confidentiels puissent être saisis et reproduits sans justification ni inculpation est sans précédent dans les milieux universitaires canadiens », a déclaré James Turk, directeur général de l'ACPPU. « Qu'une telle situation puisse se produire dépasse notre entendement. »
« Ce qui est encore plus troublant, c'est que l'Université d'Ottawa, par l'intermédiaire de qui les principales subventions des Drs Duffy et Grof sont administrées, ne soit pas intervenue pour protéger l'intégrité des travaux de recherche et les droits des chercheurs et de leurs sujets d'étude. »
L'ACPPU a constitué un comité indépendant chargé d'enquêter sur la situation.
Le comité sera présidé par Trudo Lemmens, professeur associé à la faculté de droit de l'Université de Toronto de même que professeur à la faculté de médecine (génétique médicale, microbiologie et psychiatrie), et chercheur associé au Centre for Innovation Law and Policy et au Joint Centre for Bioethics.
M. Lemmens sera secondé par deux autres membres : Thomas Ban et Louis Charland. Le premier est professeur émérite de psychiatrie à l'Université Vanderbilt et le second, professeur associé aux départements de philosophie et de psychiatrie ainsi qu'à la faculté des sciences de la santé de l'Université Western Ontario.
Le comité est chargé du mandat suivant : enquêter sur la séquence des événements qui ont mené à la saisie des dossiers de recherche des Drs Anne Duffy, Paul Grof et Martin Alda et ceux qui ont suivi; examiner le contexte institutionnel à l'Université d'Ottawa, à l'Institut de recherche en santé mentale et à l'Hôpital Royal Ottawa qui pourrait avoir influer sur la décision de saisir les documents et sur les mesures prises par ces institutions face à la saisie; déterminer s'il y a eu un manquement à la responsabilité institutionnelle; cerner l'incidence des événements sur l'intégrité et la liberté académiques des parties concernées; déterminer s'il y a eu un manquement aux normes d'éthique de la recherche; établir les conséquences de la saisie sur les travaux de recherche, les chercheurs, les sujets d'étude, l'Université d'Ottawa, l'Institut de recherche en santé mentale, l'Hôpital Royal Ottawa et les bailleurs de fonds pour la recherche; enfin, formuler les recommandations pertinentes.
Les personnes qui désirent communiquer au comité des informations sur cette affaire sont priées de contacter le professeur Lemmens par téléphone, au (416) 978-6418, ou par courriel à l'adresse trudo.lemmens @utoronto.ca.
En vertu des procédures adoptées par l'ACPPU, le comité d'enquête fonctionne en toute autonomie. L'ACPPU ne prendra connaissance des travaux du comité, de son rapport et de ses recommandations que lorsque le rapport sera déposé et rendu public.