Anne est professeure adjointe et occupe un poste menant à la permanence dans une université qui mène beaucoup de recherches. Mariée et mère d’un jeune enfant, elle s’efforce de préserver l’équilibre entre son travail et sa vie familiale et ignore au juste ce que l’on exigera d’elle pour lui accorder la permanence.
Elle a demandé plusieurs subventions au Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et, bien que tous ses projets aient été jugés dignes de financement, le comité de subventions avait épuisé tous ses fonds avant d’arriver à son nom sur la liste. Elle a produit en moyenne un nouvel article par an, dans plusieurs publications de haut calibre. Elle est une professeure consciencieuse, mais ignore si ce fait comptera en sa faveur pour la permanence. Elle consacre plusieurs heures par soir à préparer ses cours et à rédiger ses travaux de recherche aux dépens de sa vie familiale avec son conjoint et son enfant.
Elle tente de préparer sa demande de subvention d’exploitation auprès du CRSH tout en se portant candidate à la permanence. Elle s’inquiète de la réaction des juges externes et de ses collègues. Que penseront-ils de son cas? Ce souci l’empêche de dormir et elle commence à manifester plusieurs signes de maladie. Ça vous rappelle quelque chose?
Le stress dans les établissements postsecondaires ne frappe pas seulement les nouveaux professeurs sans permanence. Il est devenu un problème grave et croissant du monde de l’enseignement avec maintes conséquences nocives : insatisfaction professionnelle, baisse de moral et de productivité et mauvaise santé. Et la restructuration, l’emploi de contrats à court terme, la vérification par des tiers, la responsabilisation et de fortes réductions des fonds consacrés à l’enseignement postsecondaire n’arrangent pas les choses.
Des études nationales menées tant en Australie qu’au Royaume-Uni ont révélé que les professeurs souffrent d’un niveau élevé de stress (en Australie, celui-ci est d’ailleurs beaucoup plus prononcé chez les enseignants que dans la population générale). Ces études expliquent le phénomène par la diminution des ressources, l’augmentation de la charge de travail des professeurs ainsi que du nombre d’étudiants par rapport au personnel, la pression exercée pour attirer des fonds de l’extérieur, l’insécurité d’emploi, une mauvaise gestion et le manque de reconnaissance et de gratification1.
L’étude montre que le corps enseignant est insatisfait de son travail en général, et plus particulièrement de la gestion dans les universités, des heures de travail, des relations industrielles, des perspectives de promotion et des salaires. La tension psychologique était la plus forte et la satisfaction professionnelle au plus bas chez les nouveaux professeurs, soit l’équivalent des professeurs adjoints et nouveaux professeurs agrégés en Amérique du Nord. On a découvert que ce sont l’insécurité d’emploi et les exigences du travail qui sont les principales sources de tension psychologique. Par contre, les facteurs contribuant à la satisfaction professionnelle étaient surtout un ensemble de procédures équitables, la confiance envers les dirigeants et la haute administration, ainsi que l’autonomie. Le plus important est que le stress constant était lié à la détérioration de la santé des répondants; les plus hauts niveaux s’accompagnaient de symptômes physiques de maladie.
L’étude britannique concluait que le stress professionnel parmi le personnel universitaire est répandu et atteste encore plus que les universités ne fournissent plus un milieu de travail assez détendu comme par le passé2. L’étude a notamment découvert plusieurs sources de tension chez les professeurs : les collègues qui ne font pas leur part de travail, l’absence de participation aux décisions touchant leur emploi, le manque de ressources et d’information sur leur emploi, l’interférence entre la vie professionnelle et la vie familiale et personnelle, le manque de temps pour faire leur travail au niveau de qualité jugé nécessaire par le milieu universitaire, ainsi que l’insuffisance de leur rémunération et de leurs avantages sociaux.
Tout comme en Australie, les répondants manquaient de confiance envers la haute administration et leurs établissements respectifs. Ils exprimaient aussi un faible niveau de fidélité envers leur organisation, peu de satisfaction professionnelle et une grande insécurité d’emploi.
James Turk, directeur général de l’ACPPU, a dit que les mêmes facteurs à l’origine du haut niveau de stress professionnel dans les universités australiennes et britanniques affectent aussi les établissements postsecondaires canadiens depuis la dernière décennie.
« On ne peut guère douter que ces conclusions s’appliquent aussi au Canada », dit-il. « Nous manquons toutefois de données fiables indiquant dans quelle mesure le personnel éprouve lui aussi un tel stress. »
Il ajoute que le problème est d’une importance critique et que l’ACPPU parraine une étude pancanadienne sur le stress professionnel. Les chercheurs s’attendent à évaluer celui-ci chez les professeurs, sa fluctuation par rapport aux variables universitaires et démographiques, les prédicteurs professionnels de mauvaise santé parmi les professeurs et de satisfaction professionnelle, ainsi que d’autres variables au sein du corps enseignant.
Au début de 2006, un échantillon aléatoire de plus de 6 000 professeurs canadiens sera invité à participer à un sondage en ligne au sujet de ces objectifs. L’étude sera menée par des chercheurs en santé professionnelle à la McMaster University de Hamilton et à la Saint Mary’s University à Halifax.
« Personne ne sera invité à participer tant que les conseils sur l’éthique en matière de recherche n’auront pas approuvé l’étude », dit M. Turk. « Les participants n’auront pas à s’identifier. Un site commercial indépendant hébergera le sondage et seules des réponses anonymes seront transmises aux chercheurs. »
Il souligne que les deux études, australienne et britannique, présentent une limitation, soit un taux de réponse relativement faible.
« Nous encourageons les professeurs universitaires invités à participer à l’étude de l’ACPPU à remplir le questionnaire, afin que nous puissions bénéficier d’une représentation véritable et objective des effets du stress sur les professeurs canadiens », dit-il.
« L’information recueillie nous aidera non seulement à atteindre nos objectifs, mais aussi à mettre au point une politique en matière de santé professionnelle qui servirait à faire du démarchage auprès des gouvernements et universités et nous aiderait à offrir à nos associations membres des suggestions pratiques sur l’application du libellé des conventions et d’autres options de prévention avantageuses pour la santé de leurs membres. »
1. Winefield, A.H., Gillespie, N., Stough, C., Dua, J. et Hapuararchchi, J., Occupational Stress in Australian Universities: A National Survey 2002. Melbourne: National Tertiary Education Union.
2. Tytherleigh, M.Y., Webb, C., Cooper, C.L., et Ricketts, C. (2005). Occupational stress in UK higher education institutions: a comparative study of all staff categories. Higher Education Research & Development, 24, 41–61.