À l’issue d’une enquête en ligne qu’il a menée en Grande-Bretagne auprès de 843 professeurs d’établissements d’enseignement supérieur, le journal Times Higher Education Supplement a dégagé dans une étude récente des conclusions plutôt surprenantes. En effet, la publication britannique révèle que les trois quarts des participants à l’enquête affirment travailler avec quelqu’un qui, selon eux, est victime de harcèlement professionnel. Et plus de 40 % des répondants déclarent faire eux-mêmes l’objet d’une telle intimidation.
Selon l’Association du personnel universitaire de la Nouvelle-Zélande, le harcèlement professionnel s’entend d’un comportement déplacé renouvelé, direct ou indirect, qu’il soit verbal, physique ou autre, adopté par une ou plusieurs personnes à l’encontre d’une ou plusieurs autres personnes, sur le lieu de travail et/ou durant l’emploi, qui pourrait raisonnablement être considéré comme portant atteinte au droit des personnes à la dignité au travail.
Le service de conseil Workplace Bullying Advice Line, mis sur pied pour venir en aide aux travailleurs du Royaume-Uni, explique que les auteurs de harcèlement professionnel ont généralement tendance à lancer des critiques importunes et à porter de fausses allégations de rendement insatisfaisant et d’incompétence. Bien qu’il soit établi que les intimidateurs soient, dans bien des cas, bourrés de préjugés, ils concentrent généralement leurs critiques sur les personnes qu’ils considèrent comme moins compétentes. Le service de conseil britannique avance d’autre part que les intimidateurs, n’ayant pas développé d’habiletés sociales et comportementales adéquates et souffrant aussi d’un complexe d’infériorité, tentent de contrôler (ou d’évincer) leurs collègues qui semblent heureux et réussissent bien.
Le harcèlement professionnel n’a rien à voir avec la gestion et le mentorat. Il s’agit, selon certains, d’une tentative en vue de surmonter un sentiment d’inadaptation en s’essayant à subjuguer les autres, et de créer un milieu de travail perturbant pour l’ensemble du personnel académique.
Le harcèlement professionnel intervient partout au sein du système éducatif. Plus tôt cette année, trois syndicats ontariens de travailleuses et travailleurs en éducation — la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, l’Ontario English Catholic Teachers Association et la Fédération des enseignantes/enseignants des écoles secondaires de l’Ontario — ont commandé une enquête sur l’intimidation en milieu de travail dont les résultats ont été rendus publics en septembre dernier.
Trente-huit pour cent des 1 217 travailleuses et travailleurs en éducation interrogés affirment avoir été victimes de violence verbale, de menaces physiques et/ou d’autres formes d’intimidation de la part d’étudiants. La moitié des enseignants de la 7e à la 9e année déclarent avoir été intimidés par des étudiants. Vingt pour cent des répondants indiquent que l’intimidation subie les a troublés à tel point qu’ils ont dû rechercher l’aide de professionnels.
Il est impossible de bien exécuter son travail sous la contrainte. Les victimes de harcèlement professionnel sont exposées à une multitude de dysfonctionnements : le stress, la dépression, la baisse de l’estime de soi, le blâme personnel, les phobies, les troubles du sommeil, les problèmes digestifs et musculo-squelettiques et même le syndrome de stress post-traumatique. Cette conduite abusive, si elle n’est pas réprimée, peut mener à l’isolement social et entraîner des problèmes familiaux ainsi que des difficultés financières découlant de l’absentéisme au travail ou d’un congédiement. Le harcèlement professionnel entrave aussi le bon fonctionnement de nos institutions par le fait même qu’il réduit l’efficacité et crée un milieu de travail désagréable.
Les participants à l’enquête du journal Times Higher Education Supplement, qui occupaient leur poste depuis sept ans en moyenne, ont indiqué que l’intimidation s’étendait en général sur une période de deux à cinq ans, ce qui laisse ainsi entendre que ces enseignants ont été victimes de harcèlement durant une grande partie de leur vie professionnelle. L’intimidation dont ils ont été l’objet s’est manifestée sous plusieurs formes : de la violence verbale et des propos injurieux devant d’autres personnes au blocage des possibilités d’avancement et au rejet par les collègues.
Jusqu’à tout récemment, aucune loi canadienne n’abordait précisément le harcèlement professionnel. Le Québec a cependant adopté une loi visant à prévenir et à enrayer le harcèlement psychologique, dont l’intimidation, en milieu de travail.
D’autres provinces canadiennes établissent dans leur législation en matière de santé et de sécurité au travail le principe suivant lequel les employeurs ont l’obligation générale de protéger leur personnel contre les risques physiques et psychiques au travail. La Colombie-Britannique et la Saskatchewan ont édicté des règlements sur la violence en milieu de travail, qui peut inclure le harcèlement professionnel. L’Alberta s’est dotée d’un code de la santé et de la sécurité au travail qui traite de la violence au travail et la Nouvelle-Écosse a établi des lignes de conduite à cet effet.
Nos établissements postsecondaires peuvent aider à prévenir l’intimidation en milieu de travail en énonçant leur engagement à créer un milieu de travail sain dans le cadre d’une politique écrite qui définit clairement les comportements jugés inacceptables. Il est également essentiel de mettre en place des politiques et procédures qui régiront les allégations. La meilleure protection passe par la formulation du libellé précis et concret d’une convention collective. Les incidents doivent être réglés d’autorité, sans délai et de façon cohérente. Il importe également de prévoir des mécanismes de soutien aux victimes de harcèlement professionnel.
Si vous faites l’objet d’intimidation, parlez-en à votre association de personnel académique. Le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST) recommande de tenir un journal des faits ou des incidents, de garder des copies de toutes les lettres, notes ou courriels de l’intimidateur et, s’il y a lieu, de dresser la liste de tous les témoins. Le CCHST recommande également de ne pas tenter d’user de rétorsion car cela ne pourrait qu’aggraver les choses. Demandez que l’on procède à une enquête. Si vous croyez que votre santé est menacée, parlez-en à votre médecin.
Nous devons instaurer une culture institutionnelle assortie de valeurs et de normes qui feront échec au harcèlement professionnel.