Après six jours d’intenses négociations, souvent acrimonieuses, les ministres du Commerce des 149 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont convenu de remettre sur les rails le cycle des négociations commerciales globales.
L’entente, atteinte dans les dernières heures de la conférence ministérielle de Hong Kong, débouche sur une feuille de route ambitieuse devant conduire, d’ici la fin de l’année, à la conclusion d’un nouvel accord commercial global sur l’agriculture, l’accès aux marchés pour les produits non agricoles et les services.
Marche anti-OMC – Agriculteurs, travailleurs migrants, pêcheurs et syndicalistes manifestent contre l’Organisation mondiale du commerce au cours de la conférence ministérielle tenue le mois dernier à Hong Kong. Photo: Pesticide Action Network Asia-Pacific
« Nous sommes parvenus à replacer le cycle des négociations sur la bonne voie après une période d’hibernation », s’est félicité le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy.
Le point central de l’accord est l’élimination de toutes les formes de subventions à l’exportation dans l’agriculture d’ici l’échéance de 2013. C’est là une des revendications principales des pays en développement, en contrepartie de quoi ils ont dû faire d’importantes concessions dans d’autres secteurs de négociations, dont le commerce des services.
Pour le groupe Africa Trade Network chargé de coordonner les activités des ONG africaines, l’accord sur les services constitue la « perte la plus marquée » subie par les pays en développement.
« Le droit de décider quels secteurs des services seront ouverts et de déterminer l’étendue de cette libéralisation, compte tenu des besoins propres à chaque pays, a été miné », déclare le groupe dans un communiqué. « L’accord sur les services fera peser d’énormes pressions sur les pays africains pour qu’ils ouvrent à la concurrence étrangère leurs secteurs des services sensibles. »
L’éducation est justement l’un des secteurs vulnérables visés dans le cycle actuel des négociations, indique David Robinson, directeur général associé de l’ACPPU et délégué à la conférence ministérielle de l’OMC.
« Si, pour bon nombre de pays industrialisés, les exportations des services éducatifs représentent clairement un intérêt offensif majeur dans le cycle actuel, ces pays restent toutefois frustrés par la lente progression des négociations jusqu’à présent », poursuit-il. « L’accord conclu à Hong Kong vise à presser davantage les pays à s’engager plus résolument à ouvrir tous les secteurs des services, y compris les services publics comme l’éducation. »
La déclaration ministérielle de Hong Kong propose de modifier considérablement les modalités de négociations dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Jusqu’ici, chaque pays échangeait des demandes et des offres avec les autres pays, lesquels n’avaient aucune obligation particulière d’y répondre. Selon la nouvelle formule proposée — qui introduit le principe de « négociations plurilatérales » —, les groupes d’États demandeurs intéressés par un secteur particulier entreprendront une démarche commune auprès des pays ciblés.
« Au lieu d’avoir affaire à chaque demandeur individuellement, les pays ciblés devront maintenant faire face à un groupe composé des États demandeurs les plus offensifs du secteur », explique Scott Sinclair, analyste de la politique commerciale au Centre canadien de politiques alternatives. « Le but poursuivi est d’accroître largement les pressions sur les gouvernements pour qu’ils s’engagent à libéraliser les services comme l’éducation. »
Sur l’initiative de la Nouvelle-Zélande, un groupe plurilatéral favorable aux exportations des services éducatifs privés a été créé récemment, rapporte M. Sinclair, dans le but d’obtenir d’un plus grand nombre de pays qu’ils souscrivent plus d’engagements relativement aux services éducatifs.
L’approche plurilatérale des négociations pourrait créer un problème pour le Canada, soutient M. Robinson. « En effet, ce dernier s’est imposé comme position officielle de s’abstenir de tout engagement dans le domaine des services éducatifs publics. Dorénavant, nous subirons d’intenses pressions pour libéraliser nos marchés de l’enseignement. »
Il prévient que tout engagement du Canada en matière d’éducation privée pourrait rendre le système public vulnérable parce que la frontière entre établissements publics et privés est de plus en plus floue.
« La plupart des universités et collèges, de nos jours, ont des antennes commerciales qui font la promotion des produits commerciaux ou contribuent à assurer le financement de travaux de recherche et de projets d’étude par le secteur privé », ajoute M. Robinson. « Dans certains pays, des universités soi-disant publiques offrent aussi des programmes entièrement privés. Alors, si le Canada prenait des engagements en matière d’éducation commerciale, il pourrait très bien, à son insu, exposer son système d’enseignement supérieur aux règles de l’AGCS. »
Le Canada doit donc avancer avec précaution dans ce dossier, met-il en garde, car les règles de l’AGCS pourraient contraindre l’ouverture des marchés de l’enseignement et permettre à des établissements et à des entreprises de l’étranger de se livrer librement à des activités dans ce secteur au Canada. Une telle libéralisation, avertit M. Robinson, pourrait porter atteinte à la qualité et à l’accessibilité de l’enseignement postsecondaire et, en bout de ligne, consolider et intensifier la privatisation et la commercialisation.
Un autre aspect de la déclaration ministérielle de Hong Kong pourrait aussi avoir de sérieuses répercussions sur les services publics comme l’éducation, note M. Sinclair. La déclaration invite les pays membres à poursuivre des négociations qui aboutiront à l’établissement de règles relatives à la réglementation intérieure avant l’échéance du cycle actuel. Cette démarche vise à faire en sorte que les cadres de réglementation adoptés en rapport avec les normes techniques et les prescriptions et procédures en matière de licences et de qualifications ne constituent pas « des obstacles non nécessaires au commerce des services ».
« D’un seul trait de plume, un négociateur pourrait bel et bien faire échapper à la surveillance de l’OMC des milliers de règlements destinés à protéger l’intérêt public, qui pourraient par ailleurs être contestés », souligne M. Sinclair. « Une multitude de règlements gouvernementaux applicables à l’éducation et à d’autres services publics s’en trouveraient affectés. Par exemple, les disciplines portant sur les prescriptions en matière de licences s’appliqueraient à l’accréditation des universités et des collèges. »
« Les fournisseurs de services éducatifs de l’étranger cherchent à affaiblir les règlements qui régissent l’accréditation et le contrôle de la qualité des établissements », mentionne M. Robinson. « Les restrictions à la réglementation intérieure, dans la forme où elles sont actuellement proposées, pourraient très bien faciliter l’atteinte de cet objectif et détériorer sérieusement la qualité de l’enseignement postsecondaire au Canada et dans le monde entier. »