Comment expliquer que des gens puissent trouver le terme « solidarité » aussi déconcertant? Le dictionnaire Le Grand Larousse le définit comme le « rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d’intérêts ou une responsabilité commune, sont liées les unes aux autres. » Un collègue observe que la solidarité le rend mal à l’aise parce qu’il est attaché à son individualité et qu’il n’aime pas l’idée d’être submergé par une impulsion collective. Il reconnaît toutefois n’avoir jamais assisté à une réunion de son association de professeurs. Quiconque a déjà participé à une telle réunion se rend vite compte qu’il existe bel et bien des communautés d’intérêts, que des droits collectifs doivent être effectivement protégés et que le fruit de ces efforts profite à beaucoup de gens.
Nos collègues américains sont rarement mis en présence d’expressions de solidarité. Comme le souligne l’auteur de In These Times, Christopher Hayes, dans un article publié le mois dernier sur la grève des transports à New York : « La solidarité ne présente aucun intérêt journalistique. Pas étonnant que les médias locaux passent à côté des véritables nouvelles. La solidarité s’articule autour d’un concept qui ne fait pas partie de leur vocabulaire.»
Cela explique peut-être, en partie du moins, pourquoi tant de recteurs de collèges américains se sont révélés déçus dans une enquête que le Chronicle of Higher Education a menée récemment auprès des dirigeants de ces établissements. Cinquante trois pour cent d’entre eux estiment que la permanence des professeurs devrait être remplacée par un système de contrats à long terme. Les recteurs interrogés qui occupaient leurs fonctions depuis plus de dix ans (27 %) ont dit préférer les contrats à la permanence, alors que les recteurs d’établissements religieux privés et ceux qui s’identifient comme des républicains se sont dits défavorables à la permanence.
De toute évidence, il serait plus économique à court terme d’abolir la permanence pour exercer ainsi un contrôle administratif plus serré. Mais cela ne manquerait pas de tirer la norme d’éducation vers le bas. L’apprentissage ne peut s’épanouir que dans un environnement postsecondaire où règne la liberté. L’excellence de l’éducation supérieure est tributaire de la liberté de pensée. Et le système de permanence protège la liberté de pensée sous la forme de la liberté académique. De ce fait, la permanence protège aussi la réputation de l’établissement, où les administrateurs y travaillent également.
Si seulement les recteurs de collèges américains qui rêvent de supprimer la permanence pouvaient penser au bien-être à long terme de leurs établissements. Les quelques institutions postsecondaires américaines qui ont la chance de compter des associations de professeurs dynamiques rappellent constamment aux administrateurs la nécessité d’élargir leurs perspectives.
Afin de ne pas perdre nos droits, nous devons résister aux tentations de l’individualisme à l’américaine qui, en fait, n’apporte qu’isolement et vulnérabilité. Nos associations de professeurs sont des sources de solidarité qui offrent une véritable solution de rechange au mercantilisme implacable. Nos associations misent sur l’égalité, l’équité, la liberté académique et la justice — soit les éléments essentiels de la solidarité dans un milieu académique. Ces valeurs altruistes évoluent dans un monde de plus en plus en proie au bonheur égoïste.