Le mois dernier, j’ai croisé une ancienne connaissance que je n’avais pas revue depuis longtemps. Après les salutations d’usage, il me dit : « Maintenant que le semestre est terminé et que les notes finales sont rentrées, tu dois pouvoir jouir de tes quatre mois de vacances. Quelle chance d’avoir un tel emploi! »
Je suis toujours renversé de constater à quel point les gens en général savent peu du travail du personnel académique et des conditions dans lequel il s’exerce. Bien attablés à un café, j’ai patiemment expliqué à ce professionnel qui n’a pas eu à terminer autant d’années d’études universitaires que moi (mais dont le salaire est passablement plus élevé) que dans les établissements d’enseignement postsecondaire, nous travaillons autant, sinon davantage, que tout le monde, mais que nos tâches sont réparties différemment au cours de l’année.
Ainsi, pendant l’année universitaire comme telle (le plus souvent du début septembre à la fin avril), nous enseignons et offrons des services professionnels à des étudiants autant à temps plein qu’à temps partiel, nous effectuons des travaux de recherche, nous participons à des comités académiques ou administratifs et nous collaborons avec les organisations étudiantes et communautaires. En mai et en juin, nous mettons la dernière main aux résultats de nos recherches en vue de les présenter à des colloques scientifiques, où nous recevons du feedback de nos pairs, et de les diffuser dans des ouvrages spécialisés et des revues scientifiques ou bien sur des médias électroniques. Ces colloques sont aussi d’excellentes occasions pour nous de nous tenir à jour grâce aux plus récents travaux réalisés dans notre domaine de spécialisation.
Les plus chanceux parmi nous partent en vacances en juillet. Puis, le mois d’août est consacré à la mise à jour de notre matériel pédagogique, à l’élaboration des nouveaux cours et à la préparation des conférences, exposés et travaux pour la session d’automne. « Alors tu vois », lui dis-je, « nous travaillons toute l’année nous aussi! »
Heureusement, mon type n’a pas soulevé l’autre préjugé voulant que nous travaillions seulement neuf heures par semaine puisque c’est le nombre d’heures que nous passons en classe dans une semaine (en fait, le nombre exact varie d’un établissement à l’autre). Il nous faut nous employer diligemment à démentir cette fausseté trop souvent colportée en faisant bien comprendre que chaque heure passée en classe nécessite au moins deux heures de préparation, sans compter les heures de bureau consacrées à l’encadrement des étudiants (et cette tâche est encore plus onéreuse lorsque nous sommes appelés à diriger des thèses), ainsi que les heures passées à siéger aux réunions du corps professoral et des comités pour discuter des politiques de nos établissements, des questions propres à nos départements, de l’enseignement, des programmes d’études, des budgets, de l’achat de matériel et de l’embauche de personnel… Et puis il faudra prévoir du temps également pour ces fameux projets de recherche que nous devons mener à bien.
Des enquêtes récentes font état de semaines de travail de cinquante et, souvent, de plus de soixante heures pour bon nombre de membres du corps universitaire. Je parle ici évidemment à partir de mon expérience de professeur à temps plein. Nous savons tous que l’ACPPU représente une grande diversité de membres, c’est-à-dire des professeurs d’université et de collège, des bibliothécaires, des chercheurs, des contractuels et d’autres professionnels de l’enseignement dont les conditions de travail varient selon les circonstances et les établissements. Citons, par exemple, le cas des chargés de cours obligés d’accepter plusieurs contrats pour joindre les deux bouts et ainsi souvent forcés à travailler de longues heures contre une rémunération bien inférieure à celle d’un poste à temps plein.
En fait, tout ce que j’essaie de dire, c’est que le travail que nous faisons est souvent mal compris du public (et même de certains professionnels, qui devraient être mieux informés). Pourtant, nous nous donnons tous corps et âme pour développer l’esprit critique de nos étudiants, leur permettre d’acquérir des habiletés qui leur serviront tout au long de leur carrière, faire avancer les connaissances et assurer leur diffusion. Comment faire pour que la nature de notre travail soit mieux connue?
Je me souviens d’avoir d’abord trouvé simpliste, il y a quelques années, le diagnostic d’un analyste traitant des nombreux défis auxquels était confronté l’enseignement postsecondaire au Canada. Selon cet auteur, tout ce dont nous avions besoin, nous qui oeuvrons dans ce secteur, c’était une bonne stratégie de mise en marché. Peut-être n’était-ce pas une si mauvaise idée, après tout! Dans mon institution, la Faculté des études supérieures et de la recherche a obtenu que notre journal quotidien publie régulièrement, dans son édition du samedi, le portrait d’un chercheur de chez nous et de ses travaux. Jusqu’à maintenant, une trentaine de ces portraits ont paru.
Si nous pouvions trouver le moyen de compléter la formule en y ajoutant des informations sur les volets d’enseignement et de services à la collectivité, nous disposerions alors d’un modèle possible de diffusion dans les médias et dans le grand public de ce que nous faisons et de la passion qui nous anime.