Les négociations sur la libéralisation des échanges commerciaux à l’échelle mondiale ont échoué en juillet après que les ministres de l’Australie, du Brésil, de l’Union européenne, de l’Inde, du Japon et des États-Unis eurent buté sur leurs divergences concernant l’abaissement des subventions et des droits tarifaires appliqués aux produits agricoles et industriels.
« Je ne vais pas y aller par quatre chemins », a prévenu le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, lors d’une conférence de presse donnée à l’issue de la réunion. « Nous sommes en situation de crise. »
Lancé en 2001 dans la capitale du Qatar, le cycle des négociations de Doha a été suspendu afin de ménager une pause, et il ne pourra reprendre que lorsque des progrès seront rendus possibles, a déclaré M. Lamy.
Face à cette déconvenue, M. Lamy a concédé que les membres de l’OMC ne parviendraient « certainement pas » à boucler, comme prévu, le cycle de Doha avant la fin de 2006.
« Le cycle de Doha n’est pas mort, mais il est clairement entre les soins intensifs et le crématorium », a lancé le ministre indien du Commerce, Kamal Nath, lors d’une conférence de presse.
Selon lui, « ce cycle est voué à l’impasse », à moins que les pays membres ne parviennent à « transcender la différence d’état d’esprit » qui existe entre des pays comme l’Inde, qui misent sur les aspects de développement, et d’autres comme les États-Unis, préoccupés avant tout d’élargir l’accès aux marchés étrangers.
« Pour être honnête, je ne crois pas qu’il soit possible de relancer les pourparlers très rapidement », a déclaré la commissaire européenne à l’Agriculture, Mariann Fischer Boel. « C’est un grand échec. La question de savoir si cela est définitif ne sera résolue qu’avec le temps. »
La décision de suspendre le cycle de Doha aura des répercussions sur les négociations commerciales dans leur ensemble et les diverses dates limites arrêtées, de même que sur les pourparlers en vue d’accroître la libéralisation des services tels que l’éducation dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).
Si les négociations de l’AGCS ont été entreprises avant le lancement du cycle de Doha sur la base d’un programme de travail intégré, dans la pratique, elles s’inscrivent dans le cadre plus vaste de l’ « engagement unique » du cycle de Doha et obéissent donc au principe selon lequel les négociations menées dans un secteur ne peuvent aboutir à un accord tant que l’ensemble des négociations n’est pas achevé.
David Robinson, directeur général associé de l’ACPPU, se trouvait à Genève lorsque les négociations ont été suspendues. En tant que délégué de l’Internationale de l’Éducation — une fédération mondiale représentant plus de 29 millions d’enseignants et de travailleurs de l’éducation —, il a été chargé de chercher des précisions sur l’impasse des négociations de l’AGCS et de sensibiliser les délégations aux dangers possibles d’appliquer l’accord aux services éducatifs.
« Pour les négociateurs commerciaux, la mise en sommeil du cycle de Doha n’implique que le report de toutes les échéances prévues », mentionne M. Robinson. « Les négociations officielles se poursuivront fort probablement sous la forme de pourparlers officieux » — un modus operandi adopté, selon lui, « pour nous empêcher en fait de suivre aisément le cours des événements ».
L’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, souligne-t-il, n’ont cessé d’exercer d’intenses pressions sur les autres pays pour que ceux-ci intègrent les services d’éducation postsecondaire à l’accord. « Les pays qui souscriraient un engagement total à l’AGCS en matière d’enseignement postsecondaire mettraient en péril une vaste gamme de politiques et de règlements : des règles exigeant l’embauche préférentielle des citoyens du pays concerné jusqu’aux subventions gouvernementales versées aux établissements publics ou dont le siège se trouve au pays », met-il en garde.
« L’AGCS est un accord commercial qui imposerait des règles commerciales à la prestation des services éducatifs. Il s’attaque à l’autonomie même du monde universitaire et à la capacité des gouvernements d’établir des règlements dans l’intérêt général. »
Plusieurs autres dangers guettaient déjà, signale-t-il, avant le blocage des négociations du cycle de Doha. Diverses propositions ont été déposées en vue d’établir, dans le cadre de l’AGCS, de nouvelles règles de « réglementation intérieure » pour assurer que les cadres de réglementation affectant les normes techniques et les prescriptions et procédures en matière de licences et de qualifications ne constituent pas une barrière indue au commerce des services.
Les disciplines proposées pourraient avoir une incidence directe sur la réglementation canadienne en matière d’éducation, ajoute M. Robinson.
« Les obligations liées à la réglementation intérieure pourraient influer sur l’octroi des licences et des accréditations des établissements d’enseignement ainsi que sur les normes d’assurance qualité. De même, les exigences de qualification pourraient avoir des répercussions sur le fonctionnement des universités et des collèges qui sont souvent chargés de la reconnaissance des qualifications. »
Le projet de document sur les disciplines relatives à la réglementation intérieure, publié en juillet dernier, est alarmant, à son avis, parce qu’il y est question d’appliquer un « critère de la nécessité » aux mesures de réglementation. Un tel critère obligerait le gouvernement concerné à établir que le règlement mis en cause ne constitue pas un obstacle indu au commerce et qu’il est nécessaire pour atteindre les objectifs de politique générale recherchés qui ne peuvent être atteints d’une manière moins restrictive pour le commerce.
On peut donc en déduire que les groupes spéciaux de l’OMC chargés d’examiner les différends seraient appelés à établir la nécessité de chaque règlement mis en cause et, par conséquent, à déterminer si celui-ci est « légal » en vertu de l’AGCS.
Même si la menace ne s’est pas estompée, reconnaît M. Robinson, la suspension des négociations de l’OMC doit être accueillie favorablement.
« De toute évidence, si le cycle de Doha avait été bouclé dans les délais prévus et sur la base des propositions qui se trouvaient sur la table de négociation, nous risquerions aujourd’hui d’avoir fait une très mauvaise affaire », conclut-il.
Dans le même temps, prévient-il, les négociations pourraient être relancées à tout moment.
« Il nous faudra certes suivre de très près les moindres développements, mais en attendant, en raison de la suspension du calendrier de travail prévu, nous disposons de plus de temps pour accentuer notre démarche de sensibilisation aux dangers que comporte un tel accord pour l’éducation. »