Greg Allain
Le mois dernier, j’ai eu le privilège de participer à la septième conférence bisannuelle de la Coalition of Contingent Academic Labour à Vancouver. Cette tribune tripartite exceptionnelle a permis aux délégués du Canada, des États-Unis et du Mexique de discuter des questions liées au travail occasionnel et des enjeux auxquels doit faire face le personnel académique contractuel.
Il ressort essentiellement de ces discussions que les pays concernés partagent des similitudes sous-jacentes susceptibles de différer dans les détails. Nos collègues mexicains, par exemple, se préoccupent davantage d’obtenir un salaire suffisant dans le contexte de la mondialisation. Aux États-Unis, par contre, la syndicalisation est inexistante dans des régions entières, et là où les membres du personnel académique occasionnel sont effectivement syndiqués, leur adhésion se divise entre l’American Association of University Professors, la National Education Association et l’American Federation of Teachers.
Comme l’a fait remarquer un professeur auxiliaire syndicaliste de Chicago, Joe Berry, « il reste encore à instaurer une stratégie de syndicalisation nationale aux États-Unis ». Plus de 500 000 travailleuses et travailleurs universitaires occasionnels ne sont toujours pas représentés. L’hostilité des législateurs et des tribunaux américains en matière de droit du travail pose de sérieuses difficultés sur les plans de la syndicalisation et de la négociation collective. Et puis les professeurs titulaires ne forment plus qu’une minorité au sein du corps professoral des universités américaines.
Parmi les trois pays membres de la coalition, c’est le Canada qui assure à nos collègues contractuels la meilleure situation, bien qu’il reste encore beaucoup à faire à ce chapitre.
Côté syndicalisation, l’ACPPU a embauché un agent spécialisé dans ce secteur en 2000 et a mis sur pied, l’année suivante, un comité formé de membres du personnel académique contractuel de toutes les régions du Canada et chargé de conseiller la direction de l’ACPPU sur les questions concernant la multiplication des emplois temporaires.
Au cours des six dernières années, l’ACPPU a aidé à assurer la représentation de presque tous les membres du personnel contractuel non syndiqués par leurs associations respectives, au sein de la même unité de négociation ou bien d’une unité distincte. Parmi les quelques groupes qui ne sont pas encore syndiqués, un certain nombre d’entre eux sont en voie d’être accrédités. Au Canada, la majorité des professeurs à contrat des établissements postsecondaires adhère à des associations de personnel académique affiliées à l’ACPPU. Les autres sont représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique, par la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (CSN) ou par des syndicats locaux indépendants.
Côté négociation collective, nos réalisations sont passablement bonnes malgré l’ampleur de la besogne qu’il nous reste à accomplir. Un simple coup d’oeil sur les récentes négociations contractuelles nous permet de constater les nombreux gains réalisés par les membres du personnel académique occasionnel : de meilleurs salaires (y compris un supplément de rémunération pour les cours où l’effectif de classe est élevé), l’accès à un bureau et à un compte de courrier électronique, la disponibilité d’assistants à l’enseignement et à la recherche, une caisse de recherche en gestion commune, des dispositions protégeant la liberté académique et la propriété intellectuelle, le remboursement de frais de garderie, un programme de perfectionnement professionnel ainsi que d’autres avantages sociaux.
Si ces gains contribuent certes à changer en mieux les conditions de travail des travailleuses et travailleurs occasionnels, ils apportent néanmoins, dans l’ensemble, une amélioration limitée. C’est pourquoi il nous faut dorénavant nous employer, non plus simplement à faire progresser les conditions acquises du personnel occasionnel, mais à modifier en profondeur la nature même des nominations à des postes à contrat. Nous devons aspirer à rien de moins que l’égalité. Au lieu de chercher à retoucher le modèle dualiste actuel opposant nantis et démunis — un conférencier invité a parlé d’abolir l’apartheid pratiqué sur les campus —, nous devrions nous consacrer à la mise en place d’un système d’enseignement postsecondaire où les travailleuses et travailleurs occasionnels seront d’ores et déjà intégrés au personnel académique. Il faut pour cela que la rémunération, les attentes professionnelles et les conditions de travail soient égales pour tous les postes du personnel académique, quelle que soit la nature de la nomination. Les postes à temps partiel pourraient continuer d’exister, mais ils seraient établis au prorata. Non seulement cette mesure permettrait-elle d’effectuer des nominations à des postes menant à la permanence ou à des postes permanents à temps partiel, mais elle assurerait aussi aux membres du personnel occasionnel de passer sans heurts du statut de contractuel à celui de permanent.
Les employés occasionnels — les « universitaires invisibles », comme les appelle un sociologue canadien — seraient alors considérés comme des membres réguliers du corps professoral, bénéficieraient des mêmes avantages et seraient investis des mêmes responsabilités et fonctions essentielles : enseignement, recherche et services. La négociation de l’accès à un programme d’avancement professionnel figure parmi les grandes priorités des membres du personnel occasionnel, et certains groupes ont accompli des progrès dans cette direction.
Ce modèle dit au prorata sera difficile à faire accepter, même à certains contractuels qui préféreraient limiter leurs activités à l’enseignement. Trouver une solution unique qui satisfasse aux besoins de tous et chacun n’est pas une tâche facile. L’ACPPU croit néanmoins à la nécessité de protéger l’intégrité du travail académique et de ses trois composantes, et s’oppose donc à leur dissociation pour satisfaire aux exigences des administrateurs qui réclament une plus grande souplesse dans l’établissement des horaires et les choix de cours, de même qu’un plus grand contrôle.
Les résultats que nous avons atteints jusqu’à présent à la table de négociation sont sans conteste significatifs, mais tout importants soient-ils à court terme, ils doivent être considérés comme transitoires. Nous ne pouvons pas nous contenter de la conversion de quelques postes de chargés de cours lésés depuis longtemps en postes à durée limitée. Nous devons veiller à ce que toutes les personnes qui rejoignent le monde universitaire à titre de professeurs occasionnels fassent bel et bien leur entrée dans la profession et non pas dans un labyrinthe de miroirs.
Ce nouveau modèle coûtera-t-il plus cher? Évidemment! Mais comme nous le savons tous, le gouvernement fédéral baigne dans les surplus budgétaires de taille. Selon l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral, ce dernier a la capacité d’investir beaucoup plus dans les secteurs d’importance pour les Canadiens, tels les soins de santé, l’éducation postsecondaire et l’environnement, tout en maintenant l’équilibre budgétaire et en soutenant la croissance économique. Mais le gouvernement de Stephen Harper a décidé plutôt de dépenser 21 milliards de dollars, au cours des deux prochaines années, en vue d’accorder des allégements fiscaux qui profiteront principalement aux riches, et d’affecter des milliards de dollars supplémentaires au budget de la défense nationale, sans oublier d’annuler le programme des garderies de 5 milliards de dollars mis de l’avant par le gouvernement libéral précédent.
Il nous appartient à tous de créer une pression populaire sur le gouvernement fédéral pour qu’il rajuste ses priorités de dépense en fonction des désirs des Canadiens.
À l’heure actuelle, plusieurs employeurs du secteur de l’enseignement postsecondaire veulent négocier à la baisse en vue d’annuler des gains que nous avons difficilement remportés; ils vont même jusqu’à offrir de nombreux postes à durée limitée voués uniquement à l’enseignement. Cependant, peu importe que nous occupions des postes menant à la permanence ou des postes occasionnels, nous sommes tous logés à la même enseigne, mais — comme l’a dit un collègue américain — , cette enseigne est sur le point de crouler.
L’élargissement du travail occasionnel divise le corps professoral et engendre des conditions de travail difficiles et injustes pour les membres du personnel occasionnel, tout en portant atteinte à la liberté académique et à la permanence des professeurs « réguliers », sans compter le fait que ce problème atténue leur pouvoir de négociation. Nous devons désormais nous donner pour ligne de conduite de rester unis et de lutter ensemble, en toute solidarité, au nom de la justice, de l’égalité et aussi de la qualité et de l’intégrité de notre travail.
Ce ne sera pas facile à accomplir, mais nous pouvons y arriver. Après tout, nous devons bien cela à nos étudiants, à nos communautés et à nous-mêmes.