Invoquant la nécessité d’un resserrement budgétaire et l’utilisation rationnelle de l’argent public, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a annoncé, le 25 septembre dernier, une série de compressions des dépenses de l’ordre de 1 milliard de dollars sur les deux prochaines années. Cette annonce est intervenue le jour même où le gouvernement affectait au remboursement de la dette nationale les surplus budgétaires de 13,2 milliards de dollars dégagés pour l’année financière close le 31 mars.
Si ces compressions touchent une vaste gamme de ministères, elles visent principalement les programmes autochtones, les programmes de promotion de la femme, la formation et l’alphabétisation, la recherche en politique sociale et l’aide juridique.
« Le caractère politique de ces compressions se révèle fort préoccupant », a déclaré le directeur général de l’ACPPU, James Turk. « Le gouvernement prétend avoir mûrement évalué les coupes budgétaires à apporter, alors que la plus grande partie d’entre elles visent des programmes que les Conservateurs dénonçaient à l’époque où ils formaient l’opposition et qui n’étaient pas inscrits à leur plus récent programme électoral. »
C’est le Cabinet du Premier ministre qui a géré les compressions dans les programmes sociaux. Les fonctionnaires chargés de l’administration des programmes touchés ont pris connaissance des compressions dans les médias, et ils doivent maintenant mettre en vigueur les réductions annoncées — dans les cas où les programmes existent toujours.
La Commission du droit du Canada et le Programme de contestation judiciaire ont été éliminés particulièrement, soutient M. Turk, pour museler le débat sur les droits conférés par la Charte des droits et libertés et freiner l’évolution du dialogue sur la détermination des droits ainsi protégés. Le Premier ministre et ses hauts fonctionnaires ont été critiques dans le passé à l’endroit des programmes juridiques qui prévoient des fonds pour les groupes marginalisés et les groupes prônant l’égalité.
« Au-delà de la rhétorique de la gestion financière, il apparaît évident que ces compressions reflètent l’idée, nourrie par le Premier ministre et ses plus proches conseillers, que les groupes prônant l’égalité au Canada sont trop puissants et que les gains en matière d’équité réalisés par le biais de contestations fondées sur la Charte doivent être entravés dans la mesure du possible », a déploré M. Turk.
Le budget de Condition féminine Canada a été amputé de 20 %. Ces compressions devaient à l’origine être faites au moyen de gains d’efficience opérationnelle, mais le gouvernement a décidé par la suite de réviser le mandat de cet organisme de sorte que les groupes d’intervention et de recherche dans les domaines intéressant les femmes ne soient plus admissibles au financement.
« Les Nations Unies sont très critiques à l’égard de l’engagement du Canada à réduire la violence faite aux femmes, y compris les femmes autochtones. La réduction du budget de Condition féminine Canada portera atteinte à la réputation de notre pays en tant que chef de file de la défense des droits humains », a regretté la présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, Beverley Jacobs.
Les compressions effectuées par le Conseil du Trésor visent également les investissements dans l’emploi des jeunes et les programmes d’alphabétisation. Plus de 55 millions de dollars ont été retranchés du budget du programme Placement carrière-été livré par Ressources humaines et Développement social Canada pour aider les étudiants à trouver un emploi d’été.
« À une période où les étudiants et leur famille doivent payer des frais de scolarité astronomiques, le gouvernement fédéral devrait amorcer des démarches concrètes en vue de rendre l’éducation plus abordable, et non éliminer les emplois d’été », a souligné le président de la Continuing Education Students’ Association de Ryerson, Jeremy Salter.
Le budget global des programmes communautaires d’alphabétisation a été réduit de 17,7 millions de dollars, soit 25 % des crédits affectés au Programme d’apprentissage, d’alphabétisation et d’acquisition des compétences essentielles pour les adultes.
Le président du Congrès du travail du Canada, Ken Georgetti, met en doute le caractère équitable et l’efficacité économique des compressions dans les programmes d’alphabétisation.
« L’accroissement des capacités de lecture, d’écriture et de calcul des travailleurs et travailleuses — qui nécessite un investissement dans les programmes d’éducation permanente et d’alphabétisation — contribuerait plus à l’augmentation de la productivité globale et à la réduction de la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée que toute réduction d’impôt dans le prochain budget », a fait valoir M. Georgetti.
Statistique Canada, l’organisme central chargé de recueillir des données sur les tendances sociales et économiques au Canada, a vu son budget de fonctionnement diminuer de 15 millions de dollars.
« Les études de planification dans le secteur de l’enseignement postsecondaire sont déjà difficiles à réaliser du fait que les contraintes budgétaires imposées à Statistique Canada empêchent cet organisme de compiler les données systématiquement recueillies par les autres pays industrialisés », a indiqué M. Turk. « Réduire de 15 millions de dollars le budget d’un organisme déjà maintenu en vie artificiellement ne pourra qu’entraver davantage la capacité du Canada à prendre des décisions éclairées en matière d’éducation. »
Enfin, les coupes faites dans les programmes autochtones représentent à elles seules 7 % de la totalité des compressions annoncées. Elles arrivent peu après que le gouvernement eut refusé de respecter l’Accord de Kelowna, qui prévoyait l’affectation de fonds supplémentaires de 5 milliards de dollars au titre des soins de santé, de l’éducation, du logement et des services sociaux pour les Autochtones.
Le budget d’Affaires indiennes et du Nord Canada est amputé de 3,5 millions de dollars. Les économies seront réalisées grâce à des « gains d’efficience opérationnelle ». Des économies supplémentaires de 50 millions de dollars seront réalisées par l’élimination des fonds inutilisés qui sont liés au transfert de responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest (c’est-à-dire Nunavut). Sont également éliminés les 11 millions de dollars prévus pour la mise en oeuvre de la Stratégie de lutte contre le tabagisme chez les Premières nations et les Inuits.
Les compressions annoncées le 25 septembre s’inscrivent dans la première série d’examens des programmes. Le gouvernement conservateur a entrepris un examen de rentabilité des organismes subventionnaires, et il projette de réaliser des économies de 1 milliard de dollars durant l’année budgétaire 2008.