J'ai récemment été invité à prendre la parole à l’Université Saint Thomas à Fredericton. L’association du personnel académique de cet établissement — la FAUST — célébrait le 30e anniversaire de sa création, qui méritait certainement d’être célébré! En fait, cet automne, deux autres associations de personnel académique ont également organisé des événements spéciaux pour commémorer leur 30e anniversaire : l’APBU à Bishop’s et l’ABPPUM à Moncton.
Les anniversaires sont toujours des moments privilégiés pour se remémorer les débuts d’une association, se féliciter des progrès accomplis et refaire le plein d’énergie devant le parcours à poursuivre. Il est particulièrement important de commémorer les anniversaires de nos associations, pour souligner le rôle crucial qu’elles ont joué et qu’elles continuent de jouer pour leurs membres et au sein de la communauté académique. Pourtant, nos associations sont souvent prises pour acquis, tellement nous sommes pris dans le tourbillon de nos vies professionnelles.
Compte tenu du sous-financement public chronique dont souffre à l’heure actuelle l’ensemble du système d’éducation postsecondaire, des tentatives incessantes qui sont faites pour commercialiser l’enseignement supérieur et la recherche et des sérieuses atteintes portées à la liberté académique et aux libertés civiles, sans parler de la belligérance actuelle des employeurs à la table de négociation, nous avons besoin plus que jamais d’associations fortes. Dans pareil contexte, il peut s’avérer utile de se rappeler brièvement pourquoi, quand et où nos associations de personnel académique se sont développées au Canada.
Historiquement, nos associations sont de création relativement récente. Selon l’historien Michiel Horn (1999, 292), l’association du personnel académique de l’Université de la Colombie-Britannique a été formée en 1920. D’autres ont vu le jour ensuite au cours des années 40, bien que l’on sache peu de choses de leurs débuts. En 1951, l’année de création de l’ACPPU, il existait huit associations de personnel académique au Canada : Alberta, Toronto, Saskatchewan, British Columbia, Queen’s, McGill, McMaster et Laval (Tudiver, 1999, 39).
Les années 50 et tout particulièrement les années 60 ont radicalement transformé le paysage de l’éducation postsecondaire. Entre 1954 et 1959, cinq nouvelles universités ont été créées (dont deux par suite de « conversions » où ont été regroupés des établissements qui avaient le statut de collège). Entre 1960 et 1970, 15 nouvelles universités ont été établies, dont six par suite de conversions (Tudiver, 1999, 207). Les taux d’inscription dans les universités ont connu une augmentation spectaculaire dans les années 60. Le nombre total d’étudiants inscrits a plus que doublé entre 1960 et 1966, passant de 114 000 à 230 000, pour atteindre 310 000 en 1970 et grimper jusqu’à 400 000 dix ans plus tard. De même, le nombre de professeurs d’université au Canada a bondi de 6 544 en 1961 à 12 085 en 1966, et à plus de 28 500 en 1976 (Tudiver, 1999, 204).
À mesure que les établissements universitaires se sont multipliés, que de nouveaux départements sont apparus et que de nouveaux programmes se sont développés, l’appareil administratif, évidemment, a aussi pris de l’ampleur et la bureaucratisation s’est installée. Puis, au début des années 70, le gouvernement fédéral s’est mis à tailler dans le financement des études postsecondaires, mettant ainsi en péril les modestes gains de salaire réalisés au cours de la décennie précédente. Mais le problème ne se limitait pas à la rémunération. On se rendait compte que n’ayant pas le statut de syndicat, les associations de personnel académique n’avaient pas de réel pouvoir de négociation. Nous étions encore à l’époque où employés et employeurs signaient des contrats de travail individuels, ce qui laissait beaucoup de latitude aux pratiques arbitraires des employeurs et créait des inégalités au sein du corps professoral.
Avec la diminution des ressources financières, deux nouveaux enjeux sont apparus : la sécurité d’emploi et la liberté académique. Dénués d’un véritable pouvoir de négociation et de droits contractuels exécutoires, les professeurs ne se sentaient plus en sécurité. Et au sein de la « nouvelle » université, ils se percevaient de plus en plus comme de simples rouages dans la vaste machine du savoir. Les professeurs s’estimaient traités comme un groupe quelconque d’employés d’université parmi tant d’autres. Comme un administrateur aurait dit avec ironie : « Nous avons besoin aussi de concierges : imaginez le désordre dans lequel nous nous trouverions tous s’ils n’étaient pas là pour accomplir leur travail. » Oui, c’est vrai, les concierges nous permettent de travailler dans des environnements propres, mais sans les professeurs — ou sans les étudiants, du reste — il n’y aurait ni université, ni collège.
Face à tout ceci, que pouvait faire le personnel académique? Il faut dire qu’au cours des années 60, un autre groupe d’employés s’était aussi accru très rapidement, avec l’émergence de l’État providence et des Révolutions tranquilles qui battaient leur plein au Québec et dans d’autres provinces. Eux aussi étaient en quête de meilleurs salaires et de sécurité d’emploi, bref, de respect. Tout comme les professeurs d’université, les fonctionnaires s’étaient considérés jusque là comme des professionnels autonomes qui n’avaient pas besoin de la protection d’un syndicat. Pourtant, dans les années 60, ils s’étaient battus pour obtenir le droit de se syndiquer — droit que les fonctionnaires fédéraux ont obtenu en 1966, et leurs homologues des diverses provinces, quelques années plus tard. Ce précédent fournissait une voie à suivre pour les professeurs et les bibliothécaires d’université.
Les premiers syndicats de personnel académique ont été constitués dans les universités francophones du Québec au début des années 70. Les professeurs de l’Université du Québec à Montréal et à Trois-Rivières se sont syndiqués en 1971, à peine deux ans après la création de leur institution, et leurs collègues des autres constituantes de l’université ont formé leurs syndicats au cours des deux années qui ont suivi. L’association des professeurs de l’Université de Sherbrooke a obtenu son accréditation en 1974, et celles de Laval et Montréal ont emboîté le pas l’année suivante (Tudiver, 1999, 84–5; Horn, 1999, 325). Entre-temps, au Canada anglais, les professeurs de l’Université de Notre Dame à Nelson, en Colombie-Britannique, ont obtenu leur accréditation au début de 1973. Dans les Maritimes, les professeurs de l’Université Saint Mary’s ont été les premiers à se syndiquer, en 1974, suivis en 1976 par les professeurs de Saint Thomas et de Moncton. Ailleurs au pays, Manitoba a été accrédité en 1974, York en 1975, puis Bishop’s et Ottawa en 1976.
Ce sont là les précurseurs qui ont ouvert la voie à toutes les accréditations qui allaient suivre. Et le mouvement syndical s’est renforcé en intégrant, depuis le milieu des années 90, de nouvelles associations accréditées, dont Western Ontario, Queen’s, Prince Edward Island, Guelph, Saint Francis Xavier et l’École de médecine du Nord de l’Ontario. Aujourd’hui, au Canada, très peu d’associations de personnel académique ne sont pas syndiquées. Soit que des lois provinciales leur interdisent de devenir des syndicats à part entière (comme c’est le cas en Alberta), soit qu’elles sont reconnues comme l’agent négociateur représentant le personnel académique par leurs institutions, avec droit de loger des griefs. Mais il demeure des différences importantes avec les associations accréditées : ces associations ont des restrictions sur ce qu’elles peuvent négocier et ne peuvent s’assurer que leurs accords contractuels sont respectés à travers des commissions provinciales de relations de travail. Elles sont de plus privées du droit de faire la grève, un handicap sérieux dans notre ère de négociations ardues.
L’histoire de l’organisation du personnel académique au Canada, d’abord au sein d’associations, puis pour la plupart, en syndicats, reste à écrire. Il n’en demeure pas moins que nous avons réalisé d’immenses progrès depuis les années 70. Et nous avons toutes les raisons de célébrer les réalisations de nos associations et d’en commémorer les anniversaires marquants. Il nous faut plus que jamais pouvoir compter sur des associations fortes pour défendre les droits de nos membres, protéger l’intégrité de notre travail et aider à définir l’enseignement postsecondaire pour la prochaine génération.
Alors, tous nos voeux de longévité aux associations FAUST, APBU et ABPPUM, qui célèbrent leur 30e anniversaire cet automne, et nos meilleurs souhaits à toutes les autres associations qui ont commémoré récemment une date importante de leur histoire ou qui le feront bientôt.
Sources originales :
Michiel Horn, Academic Freedom in Canada: A History (Toronto: University of Toronto Press, 1999).
Neil Tudiver, Universities for Sale: Resisting Corporate Control over Canadian Higher Education (Toronto: James Lorimer, 1999).