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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

février 2007

L’impact direct de l’affaire Arar sur nos vies à tous

L'affaire Maher Arar entraîne des conséquences sur les libertés civiles de tous les Canadiens. Tel est le constat qu’a dressé un groupe d’experts invités à prendre la parole devant l’assemblée du Conseil de l’ACPPU tenue en novembre dernier à Ottawa.
     
Ce groupe était composé de Paul Cavalluzzo, avocat principal auprès du commissaire chargé de l’enquête Arar, de Thomas Walkom, reporter spécialiste de la politique nationale au Toronto Star, ainsi que de l’ancien solliciteur général du Canada, Warren Allmand, qui travaille maintenant auprès de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles.
     
M. Cavalluzzo a rappelé que la Loi antiterroriste, adoptée à toute vitesse par le Parlement après les attentats du 11 septembre 2001, a replongé la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans les activités liées à la sécurité nationale, ce que bon nombre considèrent comme une erreur. Selon lui, la GRC n’était pas formée adéquatement pour ce type d’intervention, et la distinction était floue entre les opérations de collecte de renseignements et de maintien de l’ordre menées par cet organisme. Ces facteurs expliquent, à son avis, les nombreuses erreurs qui ont conduit à la détention et à la torture de M. Arar en Syrie.
     
M. Cavalluzzo a également signalé que le juge Dennis O’Connor recommande, dans son rapport d’enquête sur l’affaire Arar, que la GRC s’en tienne à son mandat de service policier chargé de prévenir les crimes et de poursuivre ceux qui les commettent, et qu’elle laisse au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le mandat distinct de recueillir et d’analyser les renseignements sur la sécurité nationale. Le juge conclut dans son rapport que les autorités américaines ont « très probablement » fondé leur décision de placer M. Arar en détention et de le renvoyer en Syrie sur les informations erronées que leur avait fournies la GRC.
     
Cette dernière a dépeint M. Arar et sa femme comme des « extrémistes islamistes soupçonnés d’avoir des liens avec le mouvement terroriste Al-Qaïda », mais le juge O’Connor a déterminé qu’une telle affirmation était sans fondement. L’affaire Arar montre bien que de fausses informations de ce genre, une fois qu’elles sont portées au dossier, finissent par être validées et deviennent presque impossibles à contester, a fait observer M. Cavalluzzo.
     
De son côté, le journaliste Thomas Walkom a fait valoir que le gouvernement fédéral devait assumer l’ultime responsabilité des épreuves vécues par M. Arar, parce que c’est le gouvernement qui a décidé de resserrer le rôle de la GRC sur le plan de la sécurité nationale après le 11 septembre 2001, motivé en partie par la « peur hystérique » des répercussions économiques qu’aurait engendrées un autre attentat terroriste perpétré contre les États-Unis à partir du sol canadien.
     
Il a ajouté cependant qu’une certaine responsabilité était aussi imputable à la population canadienne en raison du climat de peur généralisé qui, depuis les événements du 11 septembre 2001, avive l’ambivalence d’une grande partie du pu-blic à l’égard de l’impact des mesures antiterroristes sur les libertés civiles.
     
La commission d’enquête O’Connor n’a trouvé aucune preuve éta-blissant des liens entre M. Arar et le terrorisme, et elle a même montré que M. Arar possédait un dossier irréprochable, a signalé M. Walkom. Il a posé la question de savoir s’il serait jugé justifié de priver du droit à l’application régulière de la loi et du droit de ne pas être soumis à la torture les personnes qui font l’objet d’enquêtes relatives à la sécurité nationale et dont les antécédents comportent quelque anomalie. Il a fait remarquer aux délégués que la protection rigoureuse des libertés civiles et des garanties juridiques ne doit pas être considérée comme l’apanage des seules personnes jugées innocentes.
     
Warren Allmand a pour sa part déclaré que l’affaire Arar avait sapé la confiance du public dans les autorités chargées d’assurer la sécurité nationale et que seule la mise en place de mesures de surveillance efficaces pouvait contribuer à rétablir cette confiance.
     
Il a signalé que les ministères et les organismes gouvernementaux sont nombreux à exercer des activités liées à la sécurité nationale et que tout mécanisme de surveillance doit être habilité à contrôler les opérations menées dans tous les domaines.
     
M. Allmand a raconté comment, du temps qu’il occupait le poste de solliciteur général dans le cabinet Trudeau, il avait été consterné de voir le SCRS demander l’autorisation d’espionner des gens qui, comme la suite devait le montrer, ne justifiaient aucunement une telle mesure de surveillance.
     
Interrogés sur les incidences de l’affaire Arar sur la liberté académiques, les experts ont mis l’accent sur les problèmes que pose le partage d’information du Canada avec les États-Unis conformément aux nouvelles règles instaurées après le 11 septembre 2001, ainsi que sur les risques auxquels sont exposés les universitaires qui voyagent aux États-Unis ou qui transitent par ce pays.
     
M. Cavalluzzo a indiqué qu’en vertu d’une directive ministérielle de novembre 2003 adressée à la GRC et portant sur les activités liées à la sécurité nationale, les secteurs définis comme
« sensibles » comprennent l’enseignement supérieur, la politique, la religion, les médias et les syndicats.
     
Dans le cadre des discussions qui ont suivi les exposés des experts, plusieurs délégués à l’assemblée du Conseil ont soulevé des préoccupations au sujet de l’autocensure dans le monde universitaire dans le contexte politique de l’après-11 septembre.
     
« La liberté académique repose généralement sur le respect de la société pour les libertés civiles », a rappelé aux délégués le directeur général de l’ACPPU, James Turk. « Si nous laissons les peurs liées à la sécurité miner nos libertés civiles et nos traditions démocratiques, il y a peu d”espoir que la liberté académique survive. »

Traduit de l’article « Arar Case Has Implications for Us All, Panel Says » (Bulletin de l’ACPPU, décembre 2006).