Les pourparlers en vue d’établir de nouvelles règles commerciales internationales d’une grande portée ont repris à Genève, en janvier dernier, après une interruption de six mois.
Le cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui tire son nom de la capitale du Qatar où les négociations ont été lancées en 2001, a été suspendu en juillet lorsqu’il est apparu évident que les profondes divergences entre les pays membres au sujet des subventions et des droits tarifaires appliqués aux produits agricoles et industriels empêcheraient la conclusion d’un accord avant l’échéance prévue pour la fin de 2006.
La suspension des pourparlers a par le fait même mis fin aux négociations officielles en vue de libéraliser le commerce des services (y compris les services éducatifs) dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services de l’OMC.
Néanmoins, le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, a annoncé au début de février que toutes les négociations, dont celles portant sur les services visés par l’AGCS, avaient repris officiellement.
« Les conditions politiques sont plus propices à la conclusion du cycle qu’elles ne l’ont été depuis bien longtemps », a déclaré M. Lamy le 7 février dans son rapport au conseil de l’OMC. « Les dirigeants politiques du monde entier nous demandent de façon claire de reprendre pleinement nos travaux et nous nous attendons en retour à ce que leur détermination ne faiblisse pas. »
Des groupes d’étudiants et des syndicats du milieu de l’enseignement, y compris l’ACPPU, ont critiqué vivement les propositions visant à intégrer les services éducatifs à l’accord, mettant en garde que l’application de règles commerciales ayant force exécutoire à des établissements publics tels que les universités et les collèges consoliderait et intensifierait la privatisation et la commercialisation.
« L’AGCS a réellement le pouvoir de refaçonner nos établissements et le travail
académique », souligne David Robinson, directeur général associé de l’ACPPU. « Les règles de l’AGCS sont destinées à promouvoir le libre-échange des services éducatifs en garantissant des marchés libres à tous les fournisseurs, qu’ils soient publics ou privés, à but lucratif ou non. Cependant, comme nous avons pu le constater au Canada et à l’étranger, l’ouverture des marchés aux entreprises de services éducatifs à but lucratif entraîne inexorablement l’apparition d’établissements de qualité douteuse. »
Jusqu’à présent, le Canada s’est opposé à l’application de l’AGCS à l’éducation, mais, au cours des prochains mois, de plus en plus de pressions s’exerceront sur lui pour qu’il change de position, soutient M. Robinson.
Les pourparlers ont certes été remis sur les rails, mais les pays butent toujours sur de profondes divergences. L’imposition de nouvelles restrictions à la réglementation intérieure constitue l’une des principales pierres d’achoppement dans le secteur des services.
Le terme « réglementation intérieure » désigne l’ensemble des mesures prises par les gouvernements et les fondés de pouvoir relativement aux normes techniques et aux prescriptions et procédures en matière de licences et de qualifications. Les représentants de certains pays affirment que cette réglementation n’est rien d’autre que des obstacles au commerce. Aussi proposent-ils que l’AGCS soit assorti de nouvelles règles qui ne constituent pas « des obstacles non nécessaires au commerce des services » et qui ne soient pas « plus rigoureuses qu’il n’est nécessaire pour assurer la qualité du service ».
« Selon l’issue des négociations, les règles relatives à la réglementation intérieure pourraient avoir une incidence directe sur l’enseignement postsecondaire au Canada », prévient M. Robinson. « Les disciplines adoptées en matière de qualifications pourraient éventuellement permettre à d’autres pays de contester nos exigences scolaires, nos normes d’accréditation professionnelle et nos procédures d’accréditation et d’essai dans des secteurs que nous aurions accepté de libéraliser parce que les règles y seraient jugées "plus rigoureuses que nécessaire". Les règles sur les prescriptions et procédures en matière de licences pourraient provoquer une remise en question des règlements applicables non seulement à la réglementation professionnelle, mais aussi à l’accréditation des collèges et des universités. »
Les pays demeurent profondément divisés sur la question de la réglementation intérieure, le Brésil et les États-Unis étant particulièrement opposés à ce que l’on appelle le « critère de nécessité ». Le Canada n’a pas encore adopté de position officielle sur la question.
« L’application d’un critère de nécessité à la réglementation intérieure ne tient pas compte de la réalité de l’élaboration des normes et des règles », fait valoir M. Robinson. « Ces dernières sont le fruit de compromis qui n’imposent ni la charge la plus lourde ni la charge la moins lourde aux fournisseurs de services. Exiger que toutes les réglementations soient les moins rigoureuses possibles limiterait à la fois le contenu et le processus décisionnel
démocratique. »
M. Robinson ajoute que l’ACPPU va intensifier ses moyens de pression dans les mois à venir pour s’assurer que le gouvernement fédéral n’appuie pas l’inclusion des services éducatifs dans l’AGCS et qu’il s’oppose à l’application du critère de nécessité à la réglementation intérieure.