Au Nouveau-Brunswick, quelque chose bout sur le feu en ce moment, et ce n’est pas une théière remplie de thé King Cole! J’avais prévu pour le présent numéro du Bulletin de terminer ma rubrique en deux parties sur le rôle de l’ACPPU à l’échelle internationale et, plus particulièrement, sur notre participation, en juillet dernier, au congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation à Berlin, mais ce sujet, éclipsé par les récentes recommandations de la Commission sur l’éducation postsecondaire au Nouveau-Brunswick, sera reporté en décembre.
Depuis sa publication le 14 septembre dernier, sous le titre grandiloquent Avantage Nouveau-Brunswick : Une province cherche à accomplir sa destinée, le rapport commandé par le gouvernement provincial a soulevé un vent de controverse et une vague de protestations furieuses. Le gouvernement libéral du premier ministre Shawn Graham a jusqu’ici souscrit publiquement aux principales recommandations du rapport qui, si elles devaient être mises en oeuvre, entraîneraient des conséquences graves pour les universités de la province, mais les journaux quotidiens sont assaillis par les lettres de lecteurs massivement opposés aux propositions.
Le 17 septembre, je me suis joint à plus de mille étudiants, professeurs et membres de la communauté qui ont défilé, en guise de protestation, dans les rues de Saint John jusqu’aux bureaux du ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, et j’ai participé, deux jours plus tard, à une table ronde sur le sujet organisée par l’association du personnel académique dont je suis membre à Moncton.
Alors pourquoi cette agitation? Je n’entrerai pas dans tous les détails des 34 recommandations du rapport, mais, ce mois-ci et le mois prochain, je me pencherai sur quatre des principales questions en jeu.
L’une des grandes préoccupations des deux commissaires Rick Miner et Jacques Lécuyer, au départ, est le taux inférieur de scolarisation postsecondaire au Nouveau-Brunswick par rapport à la moyenne canadienne. Mais si l’on regarde les chiffres de près, on constate que le taux d’inscription à l’université dans cette province est en fait supérieur à la moyenne nationale, et que le taux d’inscription aux collèges communautaires est inférieur. La solution qui s’impose semble alors des plus évidentes : corriger le problème au niveau des collèges!
Les collèges communautaires au Nouveau-Brunswick sont presque uniques en leur genre au pays parce qu’ils sont orientés principalement vers l’enseignement technique de métiers. Les changements doivent se faire par la création de nouveaux programmes, le réaménagement des programmes en place et l’ajout de nouveaux cours afin d’attirer davantage de candidats. Et il faudrait réintroduire l’initiation optionnelle aux métiers au niveau secondaire, qui a été éliminée il y a cinq ans. Oui, il existe bel et bien une pénurie de gens de métiers spécialisés dans la province, mais l’enseignement offert devrait avoir une portée plus large, comme dans la plupart des autres provinces, et les étudiants devraient pouvoir par la suite poursuivre leurs études à
l’université, s’ils le désirent.
Est-ce cela que recommande le rapport? Pas du tout! Il propose de fusionner le campus de Saint John de l’Université du Nouveau-Brunswick ainsi que les campus de Shippagan et d’Edmundston de l’Université de Moncton avec les collèges communautaires de ces régions et de les convertir en écoles polytechniques, démantelant ainsi les deux plus grandes universités de la province. Les universités Mount Allison à Sackville et St. Thomas à Fredericton seraient par contre épargnées.
À quoi ressembleraient ces nouvelles polytechniques? Selon le rapport, ces établissements hybrides offriraient une gamme de cours appliqués plus limitée, ils seraient plus adaptés aux besoins de la région et ils pourraient offrir certains programmes universitaires, jusqu’au doctorat même.
Dans leurs déclarations publiques, les commissaires ont évoqué les modèles du MIT, du CalTech, du Renssaeler Polytechnic Institute dans l’État de New York et de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne en Suisse, en faisant valoir que la tendance au Canada et ailleurs était à la création de tels établissements. À les croire, la mise en oeuvre des recommandations du rapport placerait le Nouveau-Brunswick à l’avant-garde des provinces canadiennes.
Il convient ici de dissiper quelques mythes. Le MIT, le CalTech et l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne sont tous des universités et non pas des établissements hybrides pouvant être assimilés à des collèges communautaires élargis. Les commissaires citent également en exemple l’École Polytechnique de Montréal, qui constitue en fait la Faculté d’ingénierie de l’Université de Montréal. Il importe de souligner que toutes ces institutions sont implantées dans des régions métropolitaines beaucoup plus grandes.
Ce qui n’apparaît pas clair dans le rapport, c’est comment les polytechniques proposées seraient mieux à même de mener des recherches appliquées que les universités existantes. Le Nouveau-Brunswick occupe déjà le dernier rang des provinces canadiennes pour ce qui est de la somme par habitant consacrée au financement de l’enseignement postsecondaire, et il se classe presque à la queue du peloton pour ce qui est des fonds de contrepartie affectés aux programmes de recherche. La province ne pourra pas soutenir réellement la concurrence à l’échelle nationale tant que le financement des activités de base actuelles ne sera pas revalorisé. En dépit du sous-financement actuel, les universités du Nouveau-Brunswick compétionnent déjà avec succès aux plans national et international, mais il importe incontestablement de remédier à la pénurie de fonds.
Les commissaires affirment avec confiance que les polytechniques sont la voie de l’avenir. Or, la conversion des universités en place en établissements polytechniques est quelque chose de tout à fait inconnu. Dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde, la tendance prédominante se manifeste plutôt dans le sens contraire : les collèges communautaires sont remplacés par des polytechniques ou des collèges universitaires et finissent par acquérir le statut d’universités. Le déclassement des campus universitaires pour en faire des polytechniques représenterait un recul pour le Nouveau-Brunswick, compromettrait l’accès étudiant à une éducation complète de qualité, au lieu de l’accroître, et porterait atteinte à la capacité de recherche de la province.
L’ensemble du processus pourrait faire reculer les universités de la province de plus de
40 ans. Nous devons faire savoir au premier ministre Graham que notre province ne pourra pas ainsi accéder à la prospérité et à l’autosuffisance. Nous devons tirer parti de nos établissements postsecondaires existants et reconnus, accroître considérablement leur financement et les doter des moyens qui leur permettront de produire des réalisations encore plus ambitieuses et plus évoluées dans l’intérêt des jeunes de cette province et de la population du Nouveau-Brunswick dans son ensemble. Il nous faut aller de l’avant et non pas revenir en arrière!
Le mois prochain, ma rubrique portera sur les recommandations du rapport qui ont trait au financement, à la gouvernance, aux frais de scolarité et à l’aide financière aux étudiants. Restez à l’écoute!