Dans ma chronique du mois d’octobre j’ai examiné la recommandation principale de la Commission du Nouveau-Brunswick sur l’enseignement postsecondaire proposant de fusionner les campus universitaires à Saint-Jean, Edmundston et Shippagan avec les collèges communautaires de ces régions pour y former des polytechniques, mettant ainsi fin à UNB Saint-Jean et aux deux campus du Nord de l’Université de Moncton.
Le rapport de la Commission, rendu public en septembre et intitulé de façon grandiloquente
« Avantage Nouveau-Brunswick : une province cherche à accomplir sa destinée », a provoqué une tempête de protestations à travers la province, y inclus deux grosses manifestations à Saint-Jean et une marche jusqu’à l’Assemblée législative à Fredericton. À Edmundston, plus de 1 000 manifestants ont scandé des slogans pour le maintien du système d’enseignement post-secondaire devant l’hôtel où se tenait la rencontre biannuelle du Parti libéral provincial.
Toutes ces manifestations, dont le Nouveau-Brunswick n’avait pas connu d’équivalent depuis bien des années, ajoutées aux nombreuses voix critiques entendues dans les
media locaux et provinciaux, semblent avoir enfin capté l’attention du gouvernement.
Le ministre de l’enseignement postsecondaire, Ed Doherty, affirmait récemment qu’il y aurait toujours une présence universitaire dans le Nord du Nouveau-Brunswick et à Saint-Jean (c’est là une formulation vague et équivoque!), et la province a depuis mis sur pied un Groupe de travail composé des recteurs des quatre universités et de quatre des onze directeurs des collèges communautaires afin de développer des scénarios concrets autour de ces questions (encore des propos plutôt évasifs!)
Même s’il s’agit là de développements intéressants, au sens où les recommandations du Rapport pourraient ne pas être appliquées à la lettre (l’expression de polytechniques semble être disparue dernièrement), l’approche proposée présente encore plusieurs problèmes.
D’abord, ni les étudiants ni les professeurs ne figurent dans le Groupe de travail, et ensuite, celui-ci ne semble avoir aucun mandat de mener des consultations. Le « Groupe de huit » pourrait bien en arriver à des ententes avec les responsables gouvernementaux derrière des portes closes et nous serions alors tous placés devant un fait accompli.
Il est vrai que les recteurs des deux universités les plus touchées par le Rapport — la University of New Brunswick et l’Université de Moncton — ont été très critiques de celui-ci. Le recteur de l’Université de Moncton, Yvon Fontaine, a déclaré que la Commission avait « manqué le bateau » en ce qui a trait à l’amélioration du système d’enseignement postsecondaire de la province.
Il y a aussi d’autres problèmes. L’un de ceux-ci est la gouvernance. Le Rapport considère les Sénats académiques comme lents et inefficaces, et propose « de réduire et de rationaliser leur composition et leur fonctionnement », en recommandant qu’ils rendent des comptes au Conseil des gouverneurs par la voix du recteur.
Ceci m’apparaît comme un processus d’émasculation... Il s’agirait d’un grand pas en arrière, par rapport au modèle collégial bicaméral de gouvernance que nous avons maintenant, et un pas significatif en direction du modèle de gestion hérité du monde des affaires!
De plus, il y a le plan d’aide financière aux étudiants, que certaines fédérations d’étudiants ont accueilli avec enthousiasme. Le Rapport recommande un plafond d’endettement de 7 000 $ par an, qui serait financé par un prêt gouvernemental, et ajoute que
« tout besoin au-delà de ce plafond deviendrait une bourse automatiquement ». Si les chiffres du rapport sont justes, à l’effet que l’endettement étudiant moyen après quatre années d’études est présentement de 32 000 $, alors le nouveau plafond ne réduirait l’endettement moyen qu’à 28 000 $. Les étudiants devront réaliser que les besoins financiers seront définis de façon très étroite, et que si le système proposé est mis en vigueur, les étudiants complétant un baccalauréat devront encore en moyenne 28 000 $, ce qui représente un taux très élevé d’endettement!
Ces recommandations ne représentent pas une solution efficace pour améliorer l’accessibilité à l’enseignement postsecondaire pour l’ensemble des étudiants, d’autant plus que le rapport propose de déréglementer les frais de scolarité et d’éliminer les programmes existants de bourses et de crédits d’impôt.
Il y a beaucoup d’autres recommandations discutables dans le Rapport, comme celle d’un programme très élargi de transferts de crédits pour la reconnaissance des cours offerts dans les collèges communautaires comme étant des cours de niveau universitaire. Fait à noter, à la différence des collèges dans la plupart des autres provinces, les collèges communautaires du Nouveau-Brunswick ont une orientation très technique fondée sur l’apprentissage des métiers.
Le rapport suggère également que les cours universitaires de première et même de deuxième année soient offerts dans les collèges communautaires. Mais comme le recteur Fontaine le fait remarquer, « Je ne crois pas que nous ayons besoin de plus de capacité pour faire entrer les étudiants à l’université. Avec le déclin démographique, les campus universitaires existants devraient être responsables d’enseigner les cours de niveau universitaire ».
Si le rapport de la Commission était un projet de recherche étudiant, il obtiendrait la note « Échec ». On n’y trouve pas d’analyse de ce que sont les problèmes, ni de données pour appuyer les recommandations.
Le vice-recteur émérite de UNB Saint-Jean, Thomas Condon, a qualifié le rapport de « très brouillon, confus et déroutant », dont la vision « semble vague, floue, très théorique et — en l’absence d’un plan d’affaires, d’un échéancier et d’un mécanisme de transition —
irréfléchie et téméraire ».
Toute l’argumentation du rapport paraît fondée sur un déséquilibre noté au début de l’année dans le Document de réflexion de la Commission, entre un nombre trop élevé d’inscriptions au niveau universitaire et un nombre trop bas dans les collèges.
En 2004-2005, les quatre universités de la province comptaient 20 300 étudiants à temps plein, alors qu’en 2005-2006, les onze collèges communautaires ne comptaient que 5 400 étudiants à plein temps. Je m’excuse, mais pourquoi n’a-t’on pas posé la question des raisons derrière cet écart?
Oui, tout le monde s’entend qu’il y a une pénurie de travailleurs de métiers spécialisés, alors pourquoi les jeunes ne se précipitent-ils pas dans les programmes offerts dans les collèges communautaires? Si le problème se situe à ce niveau, pourquoi affirmer que c’est l’ensemble du système d’enseignement postsecondaire qui est en cause?
Bien sûr, on peut souhaiter une collaboration et des communications accrues entre les deux types d’institutions : de telles initiatives doivent être encouragées et appuyées. Mais en fait, il y en a passablement déjà. Pourquoi ne pas essayer de régler le problème à la source? Les programmes et les cours des collèges communautaires sont-ils aussi pertinents et à jour que possible? Les programmes d’apprentissage fonctionnent-ils bien? Y a-t-il un problème d’image? En dépit de salaires généralement élevés pour les gens de métiers, se peut-il que les jeunes de classe ouvrière ne tiennent pas à aboutir dans les mêmes occupations que leurs parents?
Ensuite, pourquoi ne pas rendre les collèges autonomes, comme le sont les universités? Au Nouveau-Brunswick, les collèges font partie de l’appareil gouvernemental, et les enseignants sont à toutes fins pratiques des fonctionnaires.
Les questions soulevées sont complexes et méritaient une analyse beaucoup plus en profondeur que ce que le rapport a fourni. La société d’aujourd’hui est complexe et en mutation et requiert un niveau de scolarité beaucoup plus élevé qu’auparavant, que ce soit dans les collèges communautaires ou dans les universités. L’ensemble du système doit être mieux financé et l’accessibilité pour les étudiants devrait être une grande priorité, puisque les étudiants d’aujourd’hui sont les leaders de demain.
Étrangement, ces principes de base ne paraissent pas avoir été pris en compte dans le rapport final de 60 pages de la Commission, qui a coûté aux contribuables de la province, dit-on, la jolie somme de 13 millions de dollars... Espérons que le « Groupe des huit » trouve les bonnes solutions, mais continuons d’être vigilants et de suivre l’affaire de près!
Le mois prochain, nous reviendrons à la présence de l’ACPPU sur la scène internationale. Restez à l’écoute!