Dans ma rubrique de janvier, j’ai examiné l’ampleur, les causes et les conséquences du harcèlement psychologique sur le lieu de travail. J’ai depuis reçu plusieurs courriels attestant de l’existence et de la gravité de ce problème sur divers campus.
Il existe malheureusement très peu de données statistiques sur l’ampleur du phénomène en milieu universitaire du fait qu’il passe souvent inaperçu. Nous disposons par contre d’une série d’observations empiriques recueillies auprès de participants aux diverses activités organisées ces dernières années par l’ACPPU, telles que ses conférences, ateliers et forums, et qui conduisent à penser que le nombre de cas de harcèlement moral et de différends entre membres ne cesse d’augmenter.
La plupart des experts, au nombre desquels figure le professeur Angelo Soares de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et que j’ai cité dans ma dernière rubrique, s’entendent pour dire que le harcèlement psychologique est un problème largement répandu.
Selon Maria Isabel S. Guerrero, avocate de New York spécialiste des litiges en matière d’emploi et auteure d’ouvrages sur le marché global et le droit du travail, quelle que soit l’appellation donnée à ce phénomène (harcèlement moral ou psychologique, intimidation, persécution, victimisation ou psychoterreur), il apparaît aujourd’hui comme « l’un des motifs de plaintes pour violence au travail qui sont de plus en plus invoqués ».
Les effets dévastateurs du harcèlement psychologique sur les victimes, tout comme les lourdes conséquences qu’il peut entraîner sur les collègues, la famille et les amis commandent de toute évidence que le problème soit considéré avec le plus grand sérieux.
Que pouvons-nous donc faire pour enrayer ce comportement pathologique qui peut empoisonner complètement le milieu de travail? Pour essayer de circonscrire cette ample question, il peut être utile de l’aborder dans un premier temps sous une optique macroscopique pour ensuite se pencher sur ses particularités à l’échelle locale ou microscopique.
Sur le plan d’ensemble, on recense un nombre sans cesse grandissant d’instances nationales et internationales qui légifèrent sur le harcèlement moral ou psychologique en milieu de travail.
J’ai mentionné le mois dernier que le livre traitant de ce phénomène, publié en 1998 par la psychiatre française Marie-France Hirigoyen, s’était vite hissé au rang des best-sellers et avait suscité une vague de militantisme syndical, au point d’amener la France à se doter d’une loi protégeant les travailleurs contre le harcèlement moral au travail. Mais c’est la Suède qui a été le premier pays membre de l’Union européenne à promulguer des lois en la matière en 1994, dans la foulée des travaux de recherche novateurs du professeur Heinz Leymann, à qui l’on doit le terme « mobbing ».
Dans un article publié sur son site web, le Conseil canadien de la sécurité écrit : « Depuis une décennie, le harcèlement psychologique au travail est devenu un problème de santé et sécurité au travail reconnu partout dans le monde. La prévention du harcèlement moral sur le lieu de travail
fait même partie des objectifs énoncés dans la communication de la Commission européenne concernant la nouvelle stratégie en matière de santé et de sécurité au travail. Plusieurs pays européens et scandinaves, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suède, l’Espagne, les Pays-Bas et la Norvège, ont adopté plusieurs mesures réglementaires pour s’attaquer à ce pro-blème. Au Royaume-Uni, en Irlande et en Australie, les cours traitent actuellement le harcèlement moral conformément aux lois existantes. Chez nos voisins du Sud, le harcèlement moral sur le lieu de travail n’est pas encore reconnu par l’appareil judiciaire, sauf dans quelques États où des projets de loi ont été déposés.
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À l’heure actuelle, des appels sont lancés pour que soit adoptée à l’échelle de l’Union européenne une loi visant à réprimer le harcèlement moral sur le lieu de travail. Plus près de chez nous, le gouvernement du Québec a été le premier en Amérique du Nord à promulguer, en 2004, une loi qui proscrit le harcèlement psychologique, et la Saskatchewan a récemment modifié sa loi sur la santé et la sécurité au travail afin de rendre illégaux les actes d’abus de pouvoir et de harcèlement psychologique au travail.
Ce qui était auparavant un problème limité aux cours d’école s’est déplacé vers les lieux de travail et a pris des proportions telles qu’un bon nombre de gouvernements ont été conduits à légiférer pour y remédier. Mais nous, que pouvons- nous faire dans notre environnement immédiat?
Le harcèlement, quelle soit sa forme, ne bénéficie à personne, et il y a plusieurs mesures que nous pouvons prendre à titre individuel pour prévenir ce problème. Lorsqu’un collègue nous confie être victime de harcèlement psychologique, nous devons lui prêter une oreille attentive et l’encourager à signaler la situation à l’agent des griefs de l’association du personnel académique, qui se chargera d’enquêter sur la plainte et proposera les dispositions utiles à prendre.
Nous pouvons aussi faire en sorte que nos associations prennent toute la mesure du sérieux des incidents qui sont portés à leur attention en les encourageant à enquêter promptement et en toute objectivité sur les plaintes déposées, en traitant toutes les plaintes avec le plus grand sérieux et en négociant dans les conventions collectives des dispositions particulières appropriées à ce genre de situation.
Les cas d’allégations de harcèlement ou d’intimidation portées contre d’autres collègues de travail sont souvent assimilés à des conflits interpersonnels et peuvent mettre les associations dans une position difficile.
Mais comme l’a fait valoir Peter Simpson, directeur général adjoint de l’ACPPU, dans son exposé présenté au Forum national des agents principaux des griefs que l’ACPPU a tenu en décembre dernier, il nous faut changer radicalement notre conception des différends entre membres et les considérer sans aucune réserve « pour ce qu’ils sont vraiment : des problèmes qui relèvent expressément des pouvoirs et responsabilités de la direction ».
Ce changement d’approche est indispensable, explique Peter Simpson, car « ce qui peut avoir l’apparence d’un conflit entre des membres est en fait, et en vertu de la loi, une violation de l’obligation de maintenir un milieu de travail libre de toute forme de harcèlement, une violation commise par ceux qui sont aux commandes et qui sont tenus par la loi de maintenir un tel milieu. Les conflits entre les membres figurent parmi les situations que l’employeur est censé prévenir, dans la mesure précisément où elles créent un environnement de travail néfaste régi par l’intimidation et l’hostilité ».
Peu de nos conventions collectives font explicitement état du harcèlement psychologique, mais cela ne devrait pas nous dissuader pour autant de dénoncer par voie de griefs des actes de harcèlement.
Peter Simpson note à ce sujet que « la jurisprudence établie, et notamment les jugements de la Cour suprême, est suffisamment claire et précise en la matière pour permettre aux victimes de chercher réparation au travers de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, même si ces personnes ne peuvent s’appuyer que sur les lois en place ».
Pour un complément d’information sur le harcèlement psychologique au travail, je vous invite à consulter le site web du professeur Soares de l’UQAM (www.er.uqam.ca/nobel/r13566/). De plus, au cours des prochains mois, l’ACPPU produira d’autres outils d’information sur le sujet pour aider ses associations membres à lutter contre ce comportement inacceptable.
Ma rubrique de mars portera sur un autre problème de plus en plus préoccupant : le stress professionnel. Restez à l’écoute!
1. CCS, Harcèlement psychologique,
http://www.safety-council.org/CCS/sujet/SST/harcel.html