À l’issue d’une bataille juridique de six ans, quatre professeurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) sont sortis victorieux d’une poursuite qui menaçait leur liberté académique.
En janvier dernier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté une action civile intentée en 2002 par Cynthia Maughan, une étudiante diplômée de la UBC. Cette dernière alléguait que sa professeure d’anglais Lorraine Weir avait fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur le fait qu’elle était de religion chrétienne. La cour a conclu qu’aucun élément de preuve ne permettait à un jury raisonnablement instruit de trancher en faveur de l’étudiante. L’ACPPU a depuis appris que Mme Maughan avait interjeté appel de la décision.
Tout d’abord, après avoir épuisé les autres recours internes, Mme Maughan en a appelé auprès du sénat de la UBC de la note finale reçue pour le cours de Mme Weir. Les procédures internes de règlement des plaintes et d’appel s’étant soldées par un échec, elle a intenté une poursuite civile devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.
En 2003, Mme Maughan a déposé une plainte pour violation des droits de la personne contre Mme Weir, trois autres professeurs de la UBC, l’université, l’association du personnel académique de la UBC et l’ACPPU.
En janvier 2006, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a rejeté sommairement la plainte de Mme Maughan. Deux mois plus tard, celle-ci présentait une demande d’examen judiciaire du rejet du tribunal, mais elle n’a pas poursuivi ce recours jusqu’à maintenant.
Selon Rosemary Morgan, conseillère juridique principale de l’ACPPU, la poursuite civile de Mme Maughan était inattendue, étant donné que la loi invoquée n’avait pas encore été entièrement soumise à l’épreuve des tribunaux.
Mme Maughan prétendait que les quatre professeurs et la UBC avait fomenté la haine à son endroit en raison de sa religion, ce qui contrevenait à la
Civil Rights Protection Act (loi sur la protection des droits civils) de la Colombie-Britannique. Aucune autre province n’a adopté de loi semblable.
Contrairement au
Code des droits de la personne, la
Civil Rights Protection Act est une loi quasi criminelle en vertu de laquelle l’incitation à la haine envers des personnes en raison leur religion ou d’autres caractéristiques faisant l’objet d’une protection, comme le sexe et les déficiences, constitue une infraction. Elle s’apparente au
Code des droits de la personne, mais, contrairement à celui-ci, elle exige qu’on fasse la preuve de l’intention de fomenter la haine. Elle diffère du
Code criminel, qui n’exige pas la preuve de l’intention d’inciter à la violence.
« Dans le cas de Mme Maughan, il n’y avait ni preuve d’incitation à la haine à son endroit, ni preuve de l’intention de fomenter la haine en raison de sa religion », a expliqué Mme Morgan.
L’intérêt principal de la décision rendue est que la cour a su percevoir le risque que représentait la demande de la plaignante pour la liberté d’expression des universitaires : « La justice doit s’abstenir d’intervenir dans la conduite des affaires chaque fois que les questions en jeu concernent des déclarations et des communications effectuées dans le contexte d’une exploration d’idées, aussi controversées et provocantes que puissent être ces idées. »
Mme Maughan avait allégué en autres que Mme Weir et les trois collègues qui ont soutenu cette dernière après que Mme Maughan eut présenté une plainte à l’administration avaient fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa religion, Mme Weir sachant que Mme Maughan était chrétienne et ayant permis la tenue d’une classe un dimanche.
Mme Maughan avait participé à la classe où l’on avait établi le calendrier du cours et n’avait pendant un bon moment présenté officiellement aucune objection à la tenue d’une classe un dimanche. Lorsqu’elle s’y est finalement objectée, Mme Weir a accepté qu’elle présente un travail personnel de remplacement, conformément à la politique de la UBC, mais Mme Maughan a déclaré que le fait de ne pas modifier le calendrier constituait une incitation à la haine.
Mme Maughan a ajouté que la critique faite par Mme Weir de son travail écrit équivalait à fomenter la haine à son endroit en raison de sa religion.
La cour a non seulement déclaré que cette critique ne pouvait constituer de l’incitation à la haine, puisque les discussions et les communications n’ont eu lieu qu’entre Mme Weir et Mme Maughan et que personne n’avait été au courant de la critique, mais elle a également fait valoir que les professeurs ont pour rôle de critiquer le travail des étudiants.
La cour a soutenu que, si la critique peut parfois causer un malaise aux étudiants, en particulier quand elle a trait à des sujets difficiles, et si les croyances religieuses peuvent susciter ce malaise, il n’appartient pas aux tribunaux de superviser le dialogue entre professeurs et étudiants ni la critique des professeurs ou le processus suivi dans les établissements d’enseignement lorsqu’il n’existe pas de preuve manifeste qu’il y a incitation à la haine fondée sur la religion.
La cour a statué que la réaction de Mme Weir aux plaintes que Mme Maughan a présentées à l’université ainsi qu’à la poursuite ultérieure et à la plainte pour violation des droits de la personne de Mme Maughan était raisonnable dans les circonstances. « … Mme Weir n’a fait que présenter publiquement des commentaires sur des questions déjà rendues publiques par la poursuite et par l’ancien avocat de Mme Maughan. Aucun élément des commentaires ne pouvait être vu comme une façon de léser les droits civils de Mme Maughan ou de fomenter la haine ou le mépris fondé sur l’infériorité de cette dernière par rapport aux autres étudiants. Les déclarations ne dénotent aucun racisme à l’endroit de Mme Maughan, ni même par déduction; elles indiquent que, “comme on pouvait s’y attendre”, la matière controversée du cours a contrarié Mme Maughan. »
Le juge A.F. Cullen a conclu en ces termes : « C’est une cause qui a échoué parce qu’elle reposait sur des suppositions, des insinuations et des conjectures. »
La cour a fait remarquer que le niveau de preuve requis — en l’occurrence que la preuve soit faite de l’intention de fomenter la haine envers quelqu’un en raison de sa religion — est une norme qui, « bien qu’elle ne prive pas les personnes lésées du droit à un recours en raison d’un comportement malveillant ou immoral, est néanmoins nécessaire pour faire avancer la liberté académique, principe essentiel à une université et au milieu qu’elle sert, et la liberté d’expression, élément crucial pour le fonctionnement d’une société libre et démocratique. »
Au nom de l’association du personnel académique de la UBC, l’ACPPU a fourni des services de représentation juridique à Mme Weir et à ses collègues pendant toute la durée de cette affaire.
La décision intégrale de la cour (en anglais seulement) peut être consultée à l’adresse suivante :
http://www.courts.gov.bc.ca/jdb-txt/sc/08/00/2008bcsc0014err1att.htm.
Traduit de l’article «
BC Student Discrimination Lawsuit Dismissed. » (Bulletin de l’ACPPU, février 2008).