Vous avez de la difficulté à vous concentrer ou à vous détendre depuis quelque temps? Vous vous sentez fatigué, anxieux, irritable ou même déprimé? Vous avez du mal à dormir? Si vous éprouvez régulièrement plusieurs de ces symptômes, il est fort possible que vous fassiez partie de la légion de membres du personnel académique qui souffrent de stress professionnel. Bienvenue dans le nouveau monde académique!
Au début des années 1980, les auteurs d’une enquête canadienne ont conclu que l’enseignement était une profession relativement peu stressante. Cependant, comme tous le savent, les choses ont beaucoup changé depuis, par suite des nombreuses transformations survenues dans les établissements d’enseignement supérieur.
Selon Lori Francis, professeure de psychologie à l’Université Saint Mary’s, « le stress professionnel est un mal de plus en plus courant et alarmant qui préoccupe grandement les employés et les organisations. Pour l’Institut national de la santé et la sécurité au travail (États-Unis), il s’agit même de l’une des dix principales causes de décès au travail. Beaucoup considèrent qu’il y a épidémie de stress professionnel en Amérique du Nord. »
Que s’est-il donc produit dans le milieu de l’enseignement postsecondaire pour causer autant de stress? Une enquête sur le stress professionnel réalisée en 2002 dans des universités australiennes a révélé que le niveau élevé de stress était lié « à l’amenuisement des ressources, à l’augmentation de la charge d’enseignement et du rapport étudiants/professeurs, aux pressions exercées pour trouver des sources de financement externe, à l’insécurité de l’emploi, à la mauvaise gestion et au manque de reconnaissance et de récompenses ». (Catano et al., 2007)
Les auteurs d’une autre enquête nationale, menée au Royaume-Uni en 2005, ont conclu que « les membres du corps professoral étaient stressés notamment par le fait que leurs collègues ne faisaient par leur part de travail, par l’absence de contrôle sur les décisions touchant leur emploi, par le manque de ressources, par le fait qu’on ne leur donnait pas les renseignements voulus concernant leur emploi, par les incompatibilités entre leur travail et leur vie familiale et privée, par le manque de temps pour faire leur travail à un niveau de qualité qu’ils jugeaient nécessaire, et par le niveau de leur rémunération et de leurs avantages sociaux. » (Catano et al., 2007) Ça vous dit quelque chose?
Nous pourrions ajouter d’autres facteurs, notamment la perception qu’un grand nombre d’étudiants possèdent une préparation insuffisante, et les formalités administratives lourdes et de plus en plus nombreuses qu’il faut respecter dans tous les secteurs, en particulier celui de la recherche.
Le phénomène tire sa source des effets de deux grands processus structurels. Le premier est la précarisation du travail dans le milieu académique, où de plus en plus de membres du personnel prenant leur retraite ne sont pas remplacés ou le sont par des contractuels, ce qui crée une profonde insécurité. Aux États-Unis, moins du tiers des professeurs des établissements conférant des grades universitaires occupent un poste permanent ou menant à la permanence. Bien qu’il n’existe pas de données exactes dans ce domaine pour le Canada, nous pouvons conclure d’après des renseignements non scientifiques que nous allons dans la même direction.
Le deuxième élément important de changement survenu depuis les années 1980 est l’intensification du travail. Les attentes en termes de performance pour les professeurs débutants ont beaucoup augmenté. L’usage généralisé du courrier électronique a fait en sorte qu’on s’attend à ce que le personnel académique soit disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Des fonctions administratives courantes ont été refilées au personnel académique, l’obligeant à effectuer des tâches multiples à plein temps pour pouvoir survivre. Tous ces facteurs, auxquels pourrait s’ajouter la victimisation, sujet de mes chroniques de janvier et février, contribuent au déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle des membres du personnel académique et leur causent de l’anxiété ou un niveau élevé de stress.
Étant donné que le Canada possède très peu de données fiables sur le stress dans le milieu académique, une équipe de chercheurs (Catano et al., 2007) a mené l’an dernier une
enquête nationale sur le stress professionnel dans les universités canadiennes. L’échantillon utilisé incluait quelque 1 500 professeurs de 56 universités (une étude semblable est réalisée cette année dans nos collèges).
Dans l’ensemble, les chercheurs ont constaté que le personnel académique éprouvait un niveau de stress très élevé, conclusion semblable à celle des études australienne et britannique. En particulier, ils ont déclaré ce qui suit : « La majorité, et dans la plupart des cas une grande majorité, des répondants se sont dits fortement d’accord avec les indicateurs de stress dans le cas de sept des dix variables utilisées pour évaluer le stress : la charge de travail (85 %), les horaires de travail (73 %), les conflits de rôles (82 %), la confusion des rôles (71 %), la conciliation travail-vie privée (76 %), l’équité de l’administration (55 %) et l’équité en matière de récompenses (51 %). »
Fait intéressant, de nombreux écarts ne peuvent être expliqués par les variables démographiques comme le sexe, l’âge et la langue, bien que le risque de stress soit plus grand pour les femmes que pour les hommes. D’autres facteurs de stress, d’ordre institutionnels, ceux-là, concernent la santé physique et le bien-être psychologique. C’est ce qu’a confirmé la Conférence ministérielle européenne sur la santé mentale (2005), qui a déclaré que : « La plupart des causes du stress ont trait à la façon dont le travail est conçu et dont les organisations sont gérées. »
La bonne nouvelle, c’est que, en dépit de conditions de travail de plus en plus stressantes, 65 % des répondants se sont dits très satisfaits de leur travail, et 60 % ont déclaré être psychologiquement attachés à leur établissement d’enseignement, chiffres légèrement supérieurs à ceux rapportés par l’enquête australienne. Il n’en demeure pas moins que 13 % des répondants ont signalé éprouver divers problèmes de santé, 22 % ayant signalé un pourcentage relativement élevé de problèmes physiques et psychologiques associés au stress, résultats qui s’apparentent aussi à ceux de l’enquête australienne.
Que peut-on faire au sujet de l’augmentation du niveau de stress? Cette question pourrait à elle seule faire l’objet d’une étude, étant donné la complexité du phénomène. Pour l’instant, mentionnons quelques problèmes que la négociation collective peut nous aider à régler. Par exemple, la négociation d’un effectif adéquat (plancher d’emplois) constituerait une bonne façon d’aborder le problème de la charge de travail croissante. La clarté du langage employé et de la communication des attentes en matière de permanence et de promotion réduirait une grande partie de l’incertitude génératrice d’anxiété qui découle de ces importants « rites de passage ». Une autre intervention possible consisterait à assurer une juste répartition du travail entre les diverses unités académiques.
Chronique du mois prochain : les francophones au sein de l’ACPPU. Restez à l’écoute!