Le gouvernement fédéral a retiré de son programme législatif le projet de réforme longtemps attendu de la Loi sur le droit d’auteur et destiné à faire prévaloir les droits de l’industrie du divertissement. Ce tournant important marque une grande victoire pour les universités et les collèges, de même que pour le public en général.
Si elles avaient été adoptées, les modifications envisagées auraient restreint sérieusement l’utilisation de la technologie numérique pour créer et échanger de l’information, soutient Sam Trosow, chercheur invité à l’ACPPU, professeur de droit à l’Université de Western Ontario et coauteur du livre Canadian Copyright: A Citizen’s Guide.
« Il y va de l’intérêt public d’établir une loi sur le droit d’auteur qui assure un équilibre adéquat entre les besoins respectifs des créateurs, des utilisateurs et des propriétaires d’oeuvres protégées par le droit d’auteur », affirme M. Trosow. « Dans la foulée de la réforme entreprise, le gouvernement était prêt à faire pencher davantage la balance en faveur des industries du cinéma, de la musique et de l’édition, mais ce projet est enterré pour le moment. »
Ce qui était en cause était l’inclusion dans le projet de loi de dispositions censément inspirées de la loi américaine sur les droits d’auteur du millénaire numérique (Digital Millennium Copyright Act), qui auraient non seulement empêché la conversion de fichiers numériques d’un format en un autre, mais qui auraient aussi permis aux entreprises propriétaires de droits d’auteur de faire retirer certains éléments d’information de sites web canadiens sur la base d’allégations non vérifiées de violation du droit d’auteur.
Malgré le tollé de protestations contre les révisions proposées à la loi canadienne sur le droit d’auteur, le changement soudain de position du gouvernement a créé la surprise. Jusque-là, ce sont les industries de l’édition et du divertissement qui avaient essentiellement dicté la teneur de la loi canadienne, avec un apport utile minime des autres secteurs de la société.
Mais aujourd’hui, les responsables politiques doivent prêter attention à une plus grande diversité d’intervenants — les utilisateurs confrontés tous les jours aux questions de droit d’auteur dans le cadre de leurs activités courantes telles que l’échange de fichiers, le visionnement d’émissions de télévision en différé et le reformatage des oeuvres numériques pour les rendre accessibles sur des supports multiples.
Selon les organismes de défense du droit d’auteur, le virage opéré par le gouvernement est attribuable notamment au groupe Fair Copyright for Canada, sur le site Facebook, mis sur pied par Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa. Ce groupe de réseautage social, qui compte plus de 40 000 membres, est devenu une plate-forme de lobbying, une tribune de discussion sur quelque 200 sujets différents et un pôle d’organisation de manifestations dans tout le pays.
Des organismes des secteurs de l’éducation et des bibliothèques, telles l’ACPPU, la Fédération canadienne des sciences humaines, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et l’Association canadienne des bibliothèques, ont joué également un rôle dans ce dénouement en faisant valoir avec plus de force encore les préoccupations de leurs membres auprès des parlementaires.
« Le retrait du projet de loi constitue certes une énorme victoire pour la population canadienne, mais c’est une victoire défensive », a indiqué Laura Murray, professeure d’anglais à l’Université Queen’s, qui a coécrit avec M. Trosow le guide sur le droit d’auteur au Canada. « Nous avons fait échec à une mauvaise loi. Nous devons maintenant nous employer à en créer une bonne. »
Elle soutient que la stratégie d’action à privilégier actuellement est de faire pression auprès du Parlement pour que soient apportées, entre autres, des modifications qui renforcent la définition de la notion d’« utilisation équitable » de sorte à permettre dans certains cas la libre utilisation d’oeuvres protégées.
En plus de la défense d’intérêts politiques, Mme Murray encourage vivement les membres du personnel académique à se renseigner sur les droits qui leur sont conférés en vertu de la Loi sur le droit d’auteur et à s’en prévaloir pleinement.
« La teneur de la loi n’est pas simplement déterminée par la règle de droit immuable », prévient-t-elle. « Les pratiques et les méthodes que nous adoptons tous les jours pour utiliser des oeuvres protégées par le droit d’auteur influent considérablement sur les décisions des tribunaux appelés à déterminer ce qu’implique réellement le droit d’auteur. En nous limitant à des actions timides, nous invitons les tribunaux à restreindre nos droits. »