Par Greg Allain
Ces deux dernières années, on m’a souvent demandé : « Comment trouvez-vous votre poste de président de l’ACPPU? » et « Cela doit représenter beaucoup de travail? » J’ai toujours répondu qu’évidemment cela représente beaucoup de travail, que cela m’occupe à temps plein, mais que j’en suis absolument ravi! En fait, je crois que c’est le meilleur job au monde. Permettez-moi de m’expliquer.
Comme sociologue, je m’intéresse notamment à la question du travail : son évolution, son organisation, de même que les gens qui exercent une influence à ce chapitre et les intérêts ainsi servis. L’un des cours que je donne porte sur les sociétés industrielles et postindustrielles. J’y aborde les facteurs qui déterminent l’organisation du travail et la façon dont les entreprises déplacent les emplois dans notre économie de plus en plus soumise aux effets de la mondialisation, laissant dans leur sillage des collectivités et des régions bouleversées. Je donne également un cours sur la sociologie du syndicalisme, où j’explique comment les syndicats ont agi avec force pour parer les offensives des entreprises à l’endroit des travailleurs, renforcer leur pouvoir de négociation et jouer un rôle moteur dans la résistance collective à la quête constante que poursuivent les employeurs pour contrôler le milieu de travail et accroître leurs profits au maximum.
En outre, à titre de militant syndical, j’ai participé pendant quelques années à l’association du personnel académique de l’Université de Moncton, que j’ai présidée pendant quatre ans. J’ai piloté notre première grève en mars 2000, qui nous a permis de faire d’importants gains pour les professeurs et les bibliothécaires, notamment d’effectuer des percées significatives vers l’équité salariale avec nos collègues anglophones du Nouveau-Brunswick. Surtout, pendant les cinq semaines passées sur les piquets de grève, les 300 membres ont eu l’occasion d’apprendre à se connaître et de prendre conscience du pouvoir de la solidarité.
J’ai donc été très heureux d’avoir le privilège d’être élu au comité de direction de l’ACPPU en avril 2000, dont j’ai été successivement membre ordinaire, trésorier et vice-président, avant d’être élu à la présidence en 2006. Détenir le titre de président n’était pas ce qui m’importait le plus; j’étais surtout heureux d’avoir la chance de travailler au sein d’un organisme progressiste qui non seulement est devenu le principal porte-parole des membres du personnel académique des universités et des collèges du Canada, mais qui est également un organisme en pleine expansion et déterminé à contribuer au façonnement du paysage complexe de l’éducation postsecondaire au Canada, qui évolue à un rythme accéléré. En voici quelques exemples.
Le sous-financement public constitue l’une des principales menaces à la qualité de l’éducation postsecondaire. Depuis le milieu des années 1980, l’insuffisance du financement de base accordé à nos universités et collèges représente une grande lacune. Si l’on voulait simplement porter le niveau de financement des établissements à celui qui avait cours en 1994-1995, compte tenu de l’inflation et de la croissance démographique, il faudrait injecter immédiatement environs 4 milliards de dollars dans le secteur de l’éducation postsecondaire.
À cause du sous-financement chronique, les administrateurs des universités et des collèges font des pieds et des mains pour trouver de nouvelles sources de revenus : les frais de scolarité ont monté en flèche, ce qui alourdit la dette des étudiants et réduit l’accès aux études; on cherche de plus en plus à commercialiser les résultats de recherche et à privatiser les établissements d’enseignement supérieur; le travail académique est de plus en plus précaire, les employeurs recherchant de plus en plus des ressources humaines « flexibles » et de la main-d’œuvre à bon marché.
Voilà autant de tendances qu’il est impérieux de combattre, et l’ACPPU est très active sur ces fronts. Notre Journée annuelle sur la Colline du Parlement demeure centrale dans nos activités de lobbying destinées à convaincre le gouvernement fédéral de l’importance cruciale d’accorder à nos établissements un financement accru et assuré. Notre projet de Loi canadienne sur l’enseignement postsecondaire est un très bon exemple du type de cadre juridique permettant d’établir un financement adéquat. Pour atteindre ce but, l’ACPPU met en œuvre plusieurs moyens, dont la présentation d’un mémoire annuel au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, des activités de lobbying auprès du gouvernement fédéral en collaboration avec la Fédération québécoise des professeures et des professeurs d’université, l’envoi de lettres aux députés et la présentation d’exposés dans le cadre de conférences nationales sur l’éducation.
Le gouvernement fédéral a certes accru son appui à la recherche au cours des dernières années, mais les fonds supplémentaires accordés sont généralement conditionnels. Les plans de financement de la recherche exigent souvent la participation d’autres bailleurs de fonds, notamment issus du secteur privé, et détournent les priorités des universitaires en favorisant grandement certains domaines, par exemple, les projets dans le domaine de la santé et des sciences naturelles au détriment des sciences sociales et humaines. Les fonds supplémentaires accordés aux trois conseils subventionnaires pour la recherche dans les deux derniers budgets fédéraux ciblaient des domaines prioritaires bien précis.
La lutte pour obtenir un meilleur financement public de l’enseignement supérieur est loin d’être terminée. Que les législateurs ne reconnaissent pas que, partout dans le monde, la demande relative à l’éducation postsecondaire est en pleine expansion et que la R-D est importante pour notre économie, voilà qui me sidère. Il m’arrive parfois d’avoir envie de hurler : « Hé les gars, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement! »
La syndicalisation du personnel académique contractuel est un domaine où l’ACPPU a connu un succès spectaculaire. En 2000, il a été décidé d’amener tous les membres contractuels du personnel académique au Canada qui ne sont pas syndiqués à le faire. On a embauché un responsable de la syndicalisation, un sous-comité du comité de direction a été mis sur pied, et huit ans plus tard, nous pouvons dire sans nous tromper que c’est mission accomplie: plus de 10 000 membres contractuels du personnel académique sont maintenant syndiqués par l’entremise de leur association de personnel académique, que ce soit au sein de la même unité de négociation ou d’une autre. Il s’agit d’une énorme réussite!
Le prochain défi consiste évidemment à aider nos nouveaux collègues à négocier de meilleurs contrats. Nous avons aidé nos associations locales à négocier d’importants gains quant aux conditions de travail et à la rémunération des employés à temps partiel, et notre prochain objectif est de négocier un modèle de rémunération au prorata, selon lequel la rémunération du travail à temps partiel représente un certain pourcentage de celle du travail à temps plein.
L’ACPPU a aidé de nombreuses associations à remporter des victoires dans les négociations collectives, en dépit du fait que les employeurs se montrent de plus en plus durs. En fait, la direction des universités et des collèges prend rarement les revendications du personnel au sérieux avant la tenue d’un vote de grève, voire, dans certains cas, avant le déclenchement d’une grève.
Sur les piquets de grève et lors de rassemblements locaux, j’ai eu le privilège ces dernières années de côtoyer des collègues de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, de l’Université Bishop’s, de l’Université Acadia et de l’Université St. Thomas. Tous ont fait preuve d’une solidarité, d’une détermination, d’une mobilisation et d’une jovialité exemplaires dans les circonstances. Le lock-out préventif qui a touché le personnel académique de l’Université St. Thomas pendant le congé des Fêtes constitue toutefois une tache pour cet établissement qui s’enorgueillit de son image basée sur les valeurs catholiques. Honte aux dirigeants et aux administrateurs de l’Université St. Thomas! Espérons que ce geste sans précédent commis par une administration universitaire se révèle une exception.
Les dossiers dans lesquels l’ACPPU a été aux avant-postes ne manquent pas, notamment dans le cas de la défense de la liberté académique. En règle générale, nous n’entendons parler que des cas les plus graves, dans lesquels un comité d’enquête est mis sur pied pour déterminer ce qui s’est passé, mais il survient en fait beaucoup d’autres cas. Il est de la plus haute importance de demeurer vigilants et de défendre la liberté académique avec vigueur chaque fois qu’elle est menacée!
Ces dernières années, l’ACPPU s’est imposée comme un joueur important sur la scène internationale. Malgré les moyens modestes dont nous disposions, nous avons su exercer une in-fluence considérable au sein de l’Internationale de l’Éducation (IE), un organisme international qui regroupe plus de 30 millions de membres de 171 pays. C’est avec une fierté toute particulière que j’ai présenté la première motion de l’ACPPU lors du 5e Congrès mondial de l’IE, qui s’est tenu à Berlin en juillet dernier. Il s’agissait d’une résolution ferme et de large portée défendant les droits du personnel académique contractuel, que l’assemblée a approuvée à l’unanimité.
J’ai également eu le plaisir de présenter des exposés sur la situation de l’éducation postsecondaire au Canada lors de la 6e Conférence sur l’enseignement supérieur de l’IE, qui s’est tenue à Malaga en octobre dernier, ainsi que lors d’un colloque syndical national sur l’enseignement supérieur, à Washington en mars. Par ailleurs, l’ACPPU a joué un rôle central dans l’organisation du Caucus Enseignement Supérieur de l’IE, où deux fois l’an nous partageons de l’information et concevons des plans d’action conjoints avec des collègues du Québec et des États-Unis pour faire avancer les dossiers de l’IE, notamment pour ce qui est de contrer certaines initiatives de l’OCDE sur l’enseignement supérieur et de faire le suivi des discussions sur l’AGCS relatives aux engagements pris au chapitre de l’ouverture des marchés, qui pourraient éventuellement s’appliquer au secteur de l’enseignement supérieur.
À titre de président de l’ACPPU, j’ai été appelé à assister à de nombreuses réunions et à participer à de nombreux ateliers et conférences. J’ai toujours adoré accueillir les gens aux événements de l’ACPPU et participer à diverses réunions (Caisse de défense de l’ACPPU, réunions provinciales, associations de l’Ouest ou réunions annuelles des associations membres soulignant un anniversaire ou une occasion spéciale). Toutes ces rencontres se sont révélées précieuses et gratifiantes, et ce que j’ai le plus apprécié, dans mes déplacements, c’est d’avoir pu rencontrer autant de collègues merveilleux partout au pays.
Vous lisez actuellement ma dernière rubrique à titre de président de l’ACPPU. La rédaction de ces textes mensuels a été un pur plaisir. J’ai tenté de traiter de sujets qui nous intéressent tous, par exemple les conditions de travail (santé et sécurité, stress au travail et harcèlement psychologique) et le travail réalisé par les associations (négociations, griefs et communications) ainsi que les défis qu’elles doivent relever, notamment le renouvellement de la direction. Je suis particulièrement fier de la série de quatre articles intitulés « Quelle différence 12 ans peuvent faire! L’ACPPU en mouvement », où j’ai voulu rendre compte, en l’absence d’un historique officiel de l’organisme, de l’extraordinaire croissance et de la multiplication des interventions de l’ACPPU au cours des dernières années.
Il est extrêmement gratifiant de travailler pour un organisme comme l’ACPPU, et je tiens à remercier tous mes collègues du comité de direction de leur ardeur au travail et de leur dévouement. Je remercie également chaleureusement notre personnel professionnel et dévoué, et tout particulièrement James Turk, notre directeur général, pour son leadership exemplaire et son travail sans relâche pour s’assurer que tous les projets sont menés à bien. Cela a été un privilège de collaborer étroitement avec lui et avec tous les autres membres du personnel. Les deux dernières années ont été parmi les plus merveilleuses de ma vie! Vive l’ACPPU!