Dans son empressement à accueillir une université privée à but lucratif à Fredericton, le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne tient aucun compte du bilan désastreux de la société mère de l’établissement et met en péril l’avenir universitaire des étudiants, prévient l’ACPPU.
Le ministre d’Entreprises Nouveau-Brunswick, Greg Byrne, a salué l’arrivée de la Meritus University, censée ouvrir ses portes plus tard cette année, comme « un atout de plus pour le milieu d’affaires de Fredericton ».
Pour le directeur général de l’ACPPU, James Turk, qui exprime des réserves sur les établissements d’enseignement à but lucratif, l’implantation de la Meritus University ne sera bénéfique ni pour le secteur des affaires ni pour l’éducation postsecondaire dans la région.
La société mère de l’université, Apollo Group – une entreprise commerciale basée aux États-Unis qui se décrit comme « l’un des chefs de file en matière de programmes d’études supérieures pour les adultes qui travaillent », a été reconnue coupable de fraude, en janvier dernier, pour avoir induit les investisseurs en erreur en omettant de mentionner les critiques sévères que le ministère de l’Éducation américain avait formulées à l’encontre des méthodes de recrutement pratiquées par l’Université de Phoenix, dont Apollo est également propriétaire.
Possédant plus de 190 campus et centres d’apprentissage aux États-Unis, à Porto Rico, en Alberta et en Colombie-Britannique, Phoenix est la plus grande université privée à but lucratif aux États-Unis, qui maintient en outre une présence en ligne globale en offrant des cybercours dans divers domaines tels que les affaires et la gestion, la justice pénale et la sécurité, les services humains et les technologies de l’information.
Selon un communiqué publié en mai par Apollo, Meritus proposera une série semblable de cours en ligne, quoique plus limitée, qui mèneront à l’obtention de baccalauréats en administration des affaires et en gestion des technologies de l’information et aussi à l’obtention d’une maîtrise en administration des affaires.
Même si elle sera établie à Fredericton, l’université dispensera des cours en ligne à l’intention « des professionnels au travail partout au Canada et à l’étranger ».
Apollo compte à l’évidence modeler Meritus à l’image des principes qui régissent l’Université de Phoenix. L’école a pour mission, selon le communiqué d’Apollo, de « favoriser un apprentissage adéquat et innovateur qui répond aux besoins des diverses populations étudiantes, de leurs employeurs et de leurs communautés ».
« Nos gouvernements devraient s’employer davantage à soutenir financièrement et à renforcer les universités et collèges publics en place plutôt que d’ouvrir la voie à des entreprises privées qui proposent une gramme de programmes très restreinte », a observé M. Turk.
Mais ce qui est alarmant, c’est que les accusations de fraude portées contre Apollo sont presque dérisoires par rapport à la longue liste de critiques et de plaintes dirigées contre l’Université de Phoenix.
Ces dernières années, cet établissement a été amené à régler plusieurs litiges, dont une procédure de réclamation se chiffrant à 6 millions de dollars que le ministère de l’Éducation américain a déposée après que les vérificateurs de l’État eurent statué que le calendrier universitaire ne satisfaisait pas aux exigences de durée minimale ouvrant doit à l’aide financière.
En 2004, l’université a dû verser 9,8 millions de dollars au ministère pour régler les accusations selon lesquelles elle avait enfreint les lois interdisant d’offrir des incitations financières aux représentants universitaires.
Le ministère a également enjoint à l’université de lui verser 650 000 $ parce que celle-ci avait omis de rembourser sans retard le montant des prêts et bourses consentis aux étudiants qui ont abandonné leur formation. D’autre part, une poursuite intentée en 2003 en vertu du Whistleblower/False Claims Act (loi fédérale américaine relative aux dénonciations d’abus et de fraudes) et accusant l’université d’obtenir frauduleusement des milliers de dollars en aide financière passera en justice l’année prochaine.
Suivant la norme retenue par le ministère américain, le taux global d’obtention de diplôme de l’Université de Phoenix, établi à 16 %, comparativement au taux national de 55 %, est l’un des plus faibles aux États-Unis.
Qui plus est, une légion de plaintes d’étudiants actuels et anciens dénoncent l’allégement excessif des charges d’enseignement, les changements continus apportés au corps professoral composé en grande partie d’enseignants à temps partiel, ainsi que les raccourcissements de cursus qui ont conduit des sociétés comme Intel à revoir leurs politiques de remboursement des frais de scolarité des employés inscrits à l’Université de Phoenix et leurs politiques d’embauche des diplômés de cet établissement.
« Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le gouvernement du Nouveau-Brunswick considère l’arrivée de Meritus comme avantageuse pour le système éducatif ou pour le secteur des affaires de la province », s’interroge M. Turk. « À qui exactement profitera cette affaire, si ce n’est aux actionnaires d’Apollo? »
Selon le président d’Apollo, Brian Mueller, un nombre de plus en plus important d’étudiants sont des membres de professions libérales en quête de nouvelles compétences et connaissances, et Meritus est là pour offrir à ce public des « programmes d’études universitaires utiles pour le marché et à des prix concurrentiels ».
Il ajoute que cette province a été choisie en raison de son climat réglementaire et commercial favorable.
« De toute évidence, le gouvernement du Nouveau-Brunswick et Apollo Group se réjouissent tous les deux de la mise en place de la Meritus University, non pas parce qu’elle offre un programme d’études complet, mais parce que c’est un bon moyen de dispenser des cours à bon marché », fait valoir M. Turk.
« À long terme, toutefois, on ne peut maintenir en place un système d’éducation postsecondaire de premier rang sans tenir compte des besoins de tous les étudiants et les professeurs dans le contexte de l’ensemble de la communauté. Et Meritus n’y parvient pas. »