Étudiantes et professeures d’université continuent, encore aujourd’hui, à être traitées inéquitablement. Ni la multitude de rapports mettant en lumière les problèmes auxquels ces femmes sont confrontées, ni même les décennies de mesures stratégiques, administratives et réglementaires mises en oeuvre pour y remédier ne sont venues à bout des injustices qui leur sont faites. Nulle part ailleurs, la sous-représentation et la situation inéquitable des femmes n’est plus apparente que dans les domaines des sciences, du génie et des disciplines connexes. Ces questions d’équité et d’autres seront au coeur de la conférence bisannuelle des femmes que l’ACPPU tiendra le mois prochain sous le thème de la
mobilisation à l’ère de la restructuration.
Le taux de fréquentation féminine dans les universités canadiennes n’a cessé de progresser à un rythme soutenu. En 2005, les femmes formaient la majorité (57 %) de la population étudiante universitaire et, fait encore plus frappant, 46 % des candidats au doctorat
1. L’augmentation du taux de fréquentation féminine n’a cependant guère contribué à corriger le déséquilibre évident entre les disciplines. Alors que les femmes constituaient en 2003 la majorité des étudiants inscrits aux programmes de doctorat en sciences sociales et du comportement et en droit (59,7 %), elles représentaient moins du tiers des étudiants en mathématiques, en informatique et en sciences de l’information (27,6 %). En architecture et en génie, les femmes comptaient pour moins de 20 % du corps étudiant et pour seulement 40,6 % des effectifs étudiants en sciences physiques et de la vie dans lesquelles se classe la biologie, discipline largement féminisée
2.
Le déséquilibre entre les disciplines est également manifeste dans la représentation des professeures dans les domaines des mathématiques, des sciences physiques et appliquées et du génie. En 2004, les femmes constituaient 14,6 % du corps professoral à temps plein en mathématiques et en sciences physiques, 11,5 % en génie et en sciences appliquées et 27,6 % en sciences agricoles et biologiques
3.
L’écart entre les sexes se creuse également au fil de l’ascension dans les rangs. Les statistiques révèlent que les femmes, même lorsque le degré d’ancienneté est pris en compte, demeurent sous-représentées aux échelons supérieurs et sont promues moins rapidement que les hommes. Selon une enquête menée en 2005 à l’Université de Calgary, les femmes doivent mettre neuf années de plus que les hommes pour obtenir la titularisation
4. Et dans le rapport d’un groupe de travail de l’Université de la Colombie-Britannique, publié en 2007, on constate que « chez les candidats recrutés comme professeurs adjoints au sein de la faculté des sciences depuis 1991, 46 % des hommes ont atteint le rang de professeur titulaire 13 ans après leur entrée en fonction, contre seulement 14 % des femmes
5 ».
Même si les données sur l’enseignement à temps partiel ne sont pas recueillies systématiquement au Canada, il ressort de différents rapports préparés par des établissements d’enseignement que, dans les facultés de sciences, de génie et de technologie, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de commencer leur carrière dans des postes de chargés de cours à temps partiel de même que d’être embauchées à des postes d’assistants ou à des postes consacrés uniquement à l’enseignement.
Comment expliquer une telle situation? Depuis que le rapport du MIT, publié en 1999, sur la condition des professeures dans les facultés de sciences a créé une onde de choc dans les universités nord-américaines, plus d’une douzaine de rapports ont montré comment le désavantage relatif des femmes et des membres des autres groupes d’équité est enraciné dans les cultures institutionnelles et les facteurs systémiques tels que la « partialité sur le plan de l’évaluation » et les normes qui excluent les femmes. Les milieux de travail peuvent isoler les membres féminins du corps professoral, négliger de leur offrir des programmes d’encadrement adéquats et être résolument hostiles à la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales
6.
Cette partialité à l’égard des femmes a pour effet de sous-évaluer leurs travaux d’érudition. Des études constatent que les femmes réussissent en général moins que les hommes à décrocher des bourses de recherche et que, lorsqu’elles y parviennent, elles se voient attribuer des montants inférieurs. Le faible nombre de femmes parmi les professeurs titularisés influe également sur la probabilité d’obtenir des subventions.
Au cours des trois dernières années, seulement deux des 18 prestigieuses bourses Steacie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ont été décernées à des femmes scientifiques. Il n’existe malheureusement pas de données sur la répartition, selon les groupes d’équité, des bourses postdoctorales ni, d’ailleurs, de la plupart des bourses de recherche. Toutes ces anomalies mettent en évidence le besoin urgent de mettre en place un système de suivi et d’analyse des programmes de bourses de recherche accordées aux membres des groupes d’équité.
Le programme de chaires de recherche du Canada, qui a fait l’objet d’une telle analyse, a été créé en 2000 pour appuyer « l’excellence en recherche ». En 2002, cependant, quelque 15 % seulement des nouvelles chaires avaient été attribuées à des femmes (aucune donnée n’est disponible sur les membres d’autres groupes sous-représentés). Deux ans plus tard, huit professeures ont déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte collective contre les modalités d’attribution des chaires jugées discriminatoires à l’endroit des femmes, des Autochtones, des personnes handicapées et des membres de groupes « racialisés ». La plainte a été réglée en 2006. Aux termes de l’entente conclue, il a été convenu que le secrétariat des chaires de recherche du Canada réformerait le programme de sorte à prévenir toute discrimination dans l’attribution des futures chaires et qu’il engagerait un consultant pour élaborer une méthode devant aider les universités à déterminer les cibles à atteindre en matière de représentation des quatre groupes désignés.
Mais la mise en oeuvre du règlement intervenu il y a deux ans ne cesse d’accuser du retard. En 2006, les femmes ont obtenu 15,8 % des chaires de niveau 1 et 27,3 % des chaires de niveau 2. En 2007, 76 % de l’ensemble des chaires ont été octroyées à des hommes. Il est décourageant de voir qu’une faible partie seulement des dispositions de l’entente a été exécutée jusqu’à présent. La méthode d’attribution, considérée comme inadéquate par les huit professeures parties à la plainte, n’a toujours pas été annoncée aux universités. Celles-ci n’ont donc pas fixé de cibles de représentation, et le programme continue de fonctionner comme auparavant.
Certes, aucune politique ne peut à elle seule corriger ces écarts entre les sexes. Mais compte tenu des recherches mentionnées précédemment et de beaucoup d’autre études, nous savons déjà amplement ce qui doit être accompli et comment cela doit l’être.
Notre conférence d’octobre prochain sera l’occasion par excellence de mettre ces questions de l’avant en vue non seulement d’examiner de plus près les tendances actuelles de restructuration, mais aussi d’élaborer des stratégies qui remédient aux iniquités existantes tout en veillant à ce que l’équité soit indissociable du processus. J’espère bien avoir le plaisir d’y rencontrer bon nombre d’entre vous.
----------------------------------------------------------------
1. Statistique Canada. Profil et projets des titulaires d’un doctorat, Questions d’éducation, 81-004-xif.
2. ACPPU. Équité en matière d’emploi, mars 2008, no 3.
3. ACPPU. Équité en matière d’emploi, mars 2008, no 2.
4. Joldersma, Hermina,
Next Steps: Report of the Gender Equity Project, Université de Calgary, 2005.
5. Rapport d’un groupe de travail :
An Assessment of the Working Climate for Science Faculty at the University of British Columbia, 2007.
6. Wylie, Alison, Janet Jakobsen et Gisela Fosado.
Women, Work and the Academy: Strategies for Responding to ‘Post-Civil Rights Era’ Gender Discrimination, The Barnard Center for Research on Women, New York, 2007.