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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mars 2009

Le conflit à York : un appel pressant à la solidarité universitaire

Par Penni Stewart
Le gouvernement de l’Ontario a eu recours à une loi spéciale pour forcer le retour au travail des grévistes de l’Université York et mettre ainsi fin au plus long conflit jamais vécu par des travailleuses et travailleurs d’université en 30 ans. En tant que membre du corps professoral de York, j’aurais du mal à passer sous silence les événe­ments qui ont entouré la grève de 12 semaines, d’autant plus que les conditions qui ont entraîné ce conflit sont présentes dans d’autres établissements ou le seront bientôt.

Le coeur du conflit se situe autour d’un désaccord quant à la nature du travail académique et de l’élargissement de l’écart entre les membres du personnel académi­que à temps plein et les autres ca­tégories de travailleurs d’université. Les professeurs à contrat, chargés de cours et auxiliaires de recherche et d’enseignement, représentés par la section locale 3903 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), ont débrayé le 6 novembre dernier. Les professeurs à contrat, dont bon nombre enseignent à York depuis plus de dix ans, re­v­endiquent notamment la sécurité d’emploi.

Plus de la moitié des cours dispensés à York le sont par des char­gés de cours et des assistants contractuels, et une situation semblable se présente partout ailleurs au pays. Certains membres du SCFP donnent un seul cours à York, mais un grand nombre donnent deux cours ou plus chaque année ou enseignent même dans plus d’un établissement.

De façon générale, ces effectifs touchent une rémunération peu élevée par rapport à celle de leurs collègues à temps plein, ils ont très peu de chances de participer à la gouvernance collégiale et à des tra­vaux de recherche, ils ne peuvent bénéficier qu’en très peu d’occasions de fonds de déplacement pour assister à des congrès, et ils disposent de bureaux insuffisants. Mais ce qu’ils trouvent particuli­ère­ment irritant, c’est de devoir repos­tuler année après année pour le même emploi.

La montée phénoménale de la précarisation du personnel enseign­ant résulte de deux tendances : le développement d’un réseau d’édu­cation postsecondaire de masse et le sous-financement. Depuis les an­nées 1950, le réseau formé à l’ori­gine d’un groupe restreint d’établissements, élitaires par-dessus tout, s’est transformé en un système gé­n­éralisé qui dessert plus de la moitié des diplômés d’écoles secondaires. Le financement public n’a toutefois pas été suffisant pour maintenir la croissance du réseau et la haute qualité des programmes offerts.

Les établissements ont par conséquent été contraints de compter de plus en plus sur des sources de revenu privées, principalement des hausses de droits de scolarité, mais aussi des fonds de recherche et des fonds de dotation. Dans un tel con­texte, une main-d’oeuvre bon mar­ché et flexible qui peut répondre rapidement à la demande du mar­ché, suivant la hausse ou la baisse des nombres d’inscriptions, devient un atout pour chaque établissement. Or cela se fait, bien entendu, au détriment de la sé­cu­rité d’emploi et d’un niveau rai­sonnable des sa­laires et des avantages sociaux.

Mais le sous-financement face à l’accroissement de la participation ne reflète certainement pas toute la réalité. La compression des dé­penses n’a pas eu pour effet de di­minuer les attentes. Ces vingt der­nières années, les membres du per­sonnel académique ont plutôt été forcés de faire plus avec moins afin d’assurer l’accès aux études postsecondaires et de mettre en place des programmes de haute qualité. Nos établissements ont dû évoluer pour s’adapter à cette situation, de­venant en quelque sorte des entreprises et, par la même occasion, transformant les rapports entre pro­fesseurs et étudiants.

Dans une poursuite qu’ils ont in­tentée sur Facebook, des étudiants de York tiennent le raisonnement suivant au sujet de leur éducation : « L’Université York prend notre ar­gent en échange d’un service, c’est-à-dire notre éducation, puis ne mène pas la transaction à terme en permettant à des tiers de prendre notre éducation en otage. »

Au cours de la dernière décennie tout particulièrement, les effets de la demande croissante ont été exacerbés par l’importance de plus en plus marquée que les gouver­ne­ments accordent à la recherche, par la concurrence considérablement plus serrée et plus réfléchie que se livrent les établissements d’ensei­gnement pour obtenir des fonds de recherche, et par ce qui semble être un rapport de forces de plus en plus déséquilibré.

Prises au milieu et placées nettement en position de désavantage se trouvent les « nouvelles » universités des grands centres, qui ont été éta­blies ou qui ont connu une forte ex­pansion depuis la fin des années 1950 de sorte à répondre aux aspirations des baby-boomers. Carleton, Concordia, l’UQAM, Simon Fraser et York sont toutes des universités orientées vers les sciences humaines, et la plupart d’entre elles sont dé­pourvues des avantages financiers et du prestige des facultés de génie, de droit et de médecine, que monopolisent les institutions élitaires situées dans les mêmes villes. Un tel environnement réunit tous les éléments propices au conflit qui a déchiré l’Université York.

L’employeur de cet établissement a proposé de régler la question de la sécurité d’emploi par la création d’un « bassin d’employés affectés principalement à l’enseignement » qui seraient moins rémunérés que leurs collègues à temps plein, qui bénéficieraient de moins d’avantages sociaux, qui n’auraient pas droit aux congés sabbatiques et qui assumeraient une charge d’enseignement plus importante. Ces employés ne seraient pas appelés à participer à la gouvernance collégiale ni à faire des recherches. Le coût de la sécurité d’emploi serait absorbé par la création d’une main-d’oeuvre permanente à deux niveaux, où la minorité privilégiée produirait et mobiliserait le savoir tout en laissant la responsabilité de la plus grande partie de l’enseigne­ment dispensé au premier cycle et au niveau collégial à un large groupe de membres « précaires » du personnel académique qui n’ont pas officiellement la possibilité de ré­aliser des projets de recherche.

Face aux employeurs qui cher­chent à nous diviser, les profes­seurs à temps partiel doivent appuyer leurs collègues contractuels dans leur revendication pour des postes permanents, stables et bien rému­nérés. L’ACPPU a adopté un énoncé de principes en vertu duquel le travail de tous les membres du per­sonnel académique, à temps partiel comme à temps plein, devrait comporter des activités d’enseigne­ment, de recherche et de service. L’ACPPU est d’avis que les syndicats devraient négocier des « postes à rémunération proportionnelle », c’est-à-dire des postes à temps partiel qui sont équivalents en pourcentage à des postes à temps plein.

Dans un récent numéro de L’Actu­alité en négociation, l’ACPPU affirme que « la création de postes auxquels n’est pas rattaché un éven­tail d’activités académiques tendant à la quête et à la diffusion du sa­voir ainsi qu’à l’application de ces connaissances mine la mission même des établissements postsecondaires, qui tient impérativement à l’enquête et à la recherche criti­ques ». C’est une question de simple justice.