Non content d’éliminer le Programme de contestation judiciaire, d’annuler les accords sur les garderies conclus avec les provinces et de sabrer dans le budget et les programmes de Condition féminine Canada, le gouvernement Harper, au travers de son nouveau budget, retire aux femmes dans la fonction publique fédérale le droit de déposer des plaintes en matière d’équité salariale devant la Commission canadienne des droits de la personne.
L’ensemble de la communauté internationale reconnaît que les femmes sont désavantagées sur le plan de l’emploi parce que le marché tend à sous-évaluer leur travail. Cette réalité est imbriquée depuis 1977 dans la
Loi canadienne sur les droits de la personne qui consacre l’égalité de rémunération comme un droit fondamental. L’article 11 de la loi considère comme un acte discriminatoire le fait pour l’employeur de pratiquer la disparité salariale entre ses employés masculins et féminins qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. L’équité salariale est un moyen d’éliminer la discrimination systémique.
Mais la faire appliquer, c’est une autre histoire. Le chemin parcouru en ce sens par le Canada est marqué par une suite de plaintes qui semblent ne déboucher sur rien et qui entraînent de longs et coûteux litiges. La raison est qu’il incombe aux personnes concernées ou à leur agent négociateur de déposer une plainte. La procédure de règlement de la plainte présentée par le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier contre Bell Canada, au nom des milliers de travailleuses qui avaient été sous-payées pendant très longtemps, a duré plus d’une décennie.
En 2000, sous la pression des groupes d’intérêts, le gouvernement libéral a mis sur pied un groupe de travail sur l’équité salariale. Le rapport publié par ce dernier en 2004 contenait une série de recommandations préconisant la mise en place d’un régime d’équité salariale fédéral plus proactif qui, entre autres caractéristiques, s’appliquerait aux membres des groupes racialisés, aux Autochtones et aux personnes handicapées, de même qu’aux travailleurs « en situation de travail atypique » (tels les employés occasionnels et à temps partiel), qui obligerait les employeurs relevant de la compétence fédérale à adopter un programme d’équité salariale et qui établirait de nouveaux mécanismes de surveillance et de responsabilisation. Aucune de ces recommandations n’a été mise en oeuvre par les gouvernements libéral et conservateur.
Nous sommes aujourd’hui en train de perdre encore du terrain. Le projet de loi actuel du gouvernement Harper — intitulé la
Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public et intégré au projet de loi C-10, la
Loi d’exécution du budget — vise la discrimination salariale. S’il est censé faire progresser la parité salariale, il ne fait qu’en miner la raison d’être fondamentale. Le projet de loi n’établit aucun processus de reddition de comptes et de suivi quant aux inégalités salariales, mais permet par contre aux employeurs de déterminer la valeur d’un travail à partir de critères tels que les compétences, responsabilités et qualités requises, introduisant même une dimension de marchandisation. L’inégalité résultant de la rémunération plus élevée des emplois à prédominance masculine échappe désormais à l’examen des autorités sous le prétexte que les écarts entre les sexes découlent tout simplement des forces du marché, ce qui ne constitue donc pas de la discrimination.
En intégrant le projet de loi dans le budget, le gouvernement est parvenu à faire échec aux débats public et parlementaire. À sa grande honte, l’opposition libérale ne s’est aucunement opposée à la mesure, même si le gouvernement Harper l’a invitée à proposer des modifications au budget.
Dans son énoncé économique de novembre dernier qui a failli être fatal aux conservateurs, le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a annoncé que son gouvernement chercherait à mettre fin à ce qu’il a appelé le régime de « double équité salariale » pour empêcher que des plaintes en matière d’équité salariale puissent être déposées en dehors du cadre de la négociation collective. Ainsi, dans toute démarche d’équité salariale, le fardeau de la preuve incomberait non plus aux employeurs, mais aux employés. Les employeurs ne seraient pas tenus de prendre une approche proactive face à la discrimination salariale, mais ils partageraient la responsabilité avec les syndicats, qui sont censés négocier l’équité salariale à la table de négociation.
Comme bon nombre de membres du personnel académique le savent, une fois que l’équité salariale ne devient qu’un autre élément de négociation entre le syndicat et l’employeur, la question s’évapore. L’équité d’emploi a connu le même sort dans la mesure où les syndicats sont souvent contraints de négocier un « avantage équitable » qui, en fait, n’est rien de moins qu’un droit fondamental.
Et puis finalement, la nouvelle loi interdirait à la Commission canadienne des droits de la personne d’instruire les plaintes en matière d’équité salariale des fonctionnaires fédéraux, lesquelles relèveraient dorénavant de la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Il serait interdit aux syndicats « d’encourager ou d’aider » leurs membres à déposer une plainte, sous peine d’encourir une amende maximale de 5 000 $. Il est difficile d’imaginer comment des personnes pourraient, sans l’aide de leurs syndicats, réunir tous les éléments de preuve nécessaires pour faire reconnaître la légitimité de leur plainte.
Bien entendu, cette loi n’affecterait pas directement les membres de l’ACPPU qui travaillent dans les collèges et les universités. Mis à part notre engagement général envers la justice sociale, ce qui nous préoccupe avant tout, c’est que la loi devienne un modèle pour l’ensemble du secteur public et du secteur des entreprises. En entérinant pour ainsi dire les pires pratiques, la nouvelle loi ne pourra que rendre plus difficiles les luttes menées par nos associations. Malheureusement, cette mesure législative honteuse sera considérée comme la norme à laquelle aspireront les employeurs dont le regard est rivé sur les bénéfices nets.
Les membres de l’ACPPU dénoncent depuis longtemps les injustices qui résultent des écarts de salaire au sein du personnel académique. Pour remédier à la discrimination salariale systémique, bon nombre de nos associations ont négocié des corrections d’anomalies dans la structure salariale ou des fonds pour le rajustement des salaires. Ces démarches, malheureusement, prennent beaucoup de temps, ne réussissent pas à combler les écarts et sont, au mieux, des solutions de rechange partielles à une loi ferme.
Reconnaissant l’équité salariale comme une question fondamentale pour les membres de l’ACPPU, le Conseil de notre association a adopté en 2004 une
politique qui définit expressément l’iniquité salariale comme une mesure discriminatoire. La notion d’équité salariale y revêt une signification plus large de sorte qu’elle s’applique également à tous les groupes historiquement désavantagés. L’ACPPU souscrit aux recommandations formulées par le groupe de travail sur l’équité salariale en 2004 et continue d’appeler le gouvernement Harper à les mettre en oeuvre. La nouvelle loi, par contraste, sanctionne bel et bien l’iniquité dans la fonction publique fédérale.