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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

juin 2009

L’attitude hostile du gouvernement face à la science

Par Penni Stewart
Depuis six mois, l’ACPPU mène en première ligne une campagne de sensibilisation aux nombreux aspects névralgiques du programme de recherche fédéral. Le problème vient en partie de l’insuffisance du financement. Dans son récent budget, le gouvernement de Stephen Harper non seule­ment n’a pas octroyé de nouveaux fonds de recherche aux trois conseils subventionnaires, mais il est allé jusqu’à réduire leur financement. Le Centre national de recher­ches du Canada a également subi des compressions budgétaires et Génome Canada n’a reçu aucune subvention pour cette année.

Le sous-financement de la recherche met en péril la santé de la communauté scientifique et accentue le risque de perdre des universitaires au profit des États-Unis, où le budget de recherche-développement est considérablement renforcé depuis la formation du nouveau gouvernement chez nos voisins du sud. De son côté, le gouvernement Harper, comme il ne cesse de le répéter, a affecté de nouveaux fonds à l’infrastructure de recherche. Il aime bien les nouveaux appareillages, tout comme ses bénéficiaires d’ailleurs — jusqu’à ce que ceux-ci ne disposent plus des fonds nécessaires pour poursuivre leurs recherches.

Il s’ensuit que d’importants projets et installations de recherche sont laissés en plan, privés du soutien opérationnel indispensable aux chercheurs en place. Dans le cas de l’Étude du plateau continental polaire (EPCP), par exemple, il a fallu supprimer l’aide aux chercheurs affectés dans les régions iso­lées de l’Arctique canadien en raison de la hausse des frais de transport, alors qu’une subvention d’infrastructure de 11 millions de dollars ser­vira à doubler la capacité de l’installation de l’EPCP à Resolute.

Lors de la récente assemblée du conseil de l’ACPPU, les professeurs Ryan McKay de l’Université de l’Alberta et Richard Peltier de l’Université de Toronto ont décrit la mêlée que suscite l’attribution des subventions de fonctionnement dans un système où des changements sont opérés dans le financement d’une année à l’autre et où des programmes de subventions sont éliminés régulièrement. D’où la sous-utilisation des installations et l’abandon de projets de recherche porteurs. Dans trop de cas, les fonds destinés à financer les « coûts indirects » de la recherche universitaire ne sont pas acheminés aux cher-cheurs, leurs difficultés s’en trouvant ainsi exacerbées.

Les priorités de recherche sont un autre point qui fait problème. Le professeur Peltier a expliqué comment la décision du gouvernement de réorienter les fonds vers des programmes ciblés a eu pour consé­quence de laisser en plan des projets productifs en cours dans des domaines qui ne sont plus considérés comme prioritaires. Il y a certes lieu de reconnaître le rôle légitime du gouvernement dans l’établissement des priorités nationales, mais ce gouvernement ferait preuve d’un plus grand discernement en sollicitant l’apport de la communauté scientifique et en mettant en place un processus d’examen par les pairs. On parle ainsi, bien entendu, du gouvernement qui a éliminé le poste de conseiller national des sciences en 2008.

À cette même assemblée du conseil de l’ACPPU, la politicologue Marjorie Griffin Cohen de l’Université Simon Fraser a parlé des effets dévastateurs du sous-financement de la recherche sur les sciences humaines. Le niveau de financement par habitant du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) a diminué sensiblement par rapport à celui des autres conseils subventionnaires, et le budget de janvier affecte les nouveaux fonds prévus pour ces organismes à des domaines dont sont exclus la majorité des chercheurs universitaires qui oeuvrent dans les différentes disciplines des sciences humaines. Ils se retrouvent donc perdants sur toute la ligne.

En 2007, les nouvelles sommes accordées au CRSH avaient été restreintes à la recherche dans les domaines de la gestion, des affaires et de la finance, et en 2008, à l’incidence des changements environnementaux et au développement économique des collectivités du Nord.

Bien qu’il ne soit pas disposé à soutenir nos chercheurs, le gouvernement a créé de nouveaux prix sous la forme de vingt chaires d’excellence en recherche dont les titulaires et leur équipe recevront chacun 10 millions de dollars sur sept ans afin de mettre sur pied des programmes dans les domaines des sciences et des technologies de l’environnement, des ressources naturelles et de l’éner­gie, des sciences de la santé et des sciences de la vie ainsi que des technologies de l’information et des communications.

Le programme des chaires d’excellence est conçu pour attirer au Canada des chercheurs de calibre mondial. Le comité de sélection des gagnants n’est composé d’aucun professeur d’une université canadienne, et les comités chargés d’examiner les mises en candidature ne comp­tent que quelques universitaires canadiens.

Selon le journal Ottawa Citizen, le président du comité de sélection, Derek Burney, a déclaré ne pas s’at­tendre à ce que le financement accordé soit versé à des chercheurs qui travaillent déjà au Canada.

Ce qui nous amène à soulever plusieurs questions : Le fait de payer des « personnalités scientifiques in­ternationales » constitue-t-il une uti­l­isation judicieuse de l’argent des contribuables, quand on sait qu’un grand nombre d’éminents chercheurs canadiens et une nouvelle gén­ération de chercheurs dans ce pays ont une grande difficulté à trouver du financement? Pourquoi notre gouvernement ne peut-il subvenir davantage aux besoins de la communauté canadienne actuelle de cher­cheurs? Certaines preuves tendent-elles à dé­montrer que le recours à des célébrités étrangères contribue davantage à l’avancement de la science au Canada que si l’on dotait des ressources adéquates nos jeunes chercheurs et ceux qui ont déjà entre­pris des travaux remarquables?

Il y a un autre aspect troublant dans la position du gouvernement conservateur face à la science : la suppression des études scientifiques susceptibles de nuire à l’industrie ou de restreindre le développement.

L’an dernier, Santé Canada a refusé de communiquer les conclusions d’un rapport sur le risque de cancer associé à l’amiante chrysolite. Ce rapport n’a pu être rendu public qu’à la suite de la présentation d’une demande d’accès à l’information. Dans un autre cas plus récent, environnement Canada a ajouté au rapport d’un groupe d’experts sur l’habitat du caribou des bois une préface non signée qui décrédibilise les conclusions scientifi­ques de l’étude. La stratégie la plus efficace consiste tout sim­plement à empêcher la réalisation de certaines études, comme en témoigne la récente décision du gouver­nement d’exempter d’un examen environnemental les nouveaux projets de relance de l’infrastructure.

Ce qui est ironique, c’est que le gouvernement Harper semble perpétuer les politiques de l’administration Bush en matière scientifi­que au moment même où les Américains rejettent cette approche et doublent le budget fédéral de la recherche fondamentale.

L’alignement de notre gouverne­ment sur le programme de l’admi­nistration Bush se poursuit jusque dans la façon dont il réagit aux situations déplorables de deux cito­yens canadiens : Omar Khadr, le seul ressortissant d’un pays occidental encore détenu à Guanta­namo Bay, et Abousfian Abdelrazik, un Montréalais dont le sort reste incertain à l’ambassade du Canada au Soudan.

Lors de la dernière assemblée du conseil de l’ACPPU, les délé­gués présents ont adopté une résolution appelant le gouvernement conservateur à mettre fin à cette débâcle et à ramener Abousfian Abdelrazik au Canada. Les mêmes dispositions devraient être prises pour Omar Khadr. Par son insensibilité apparente et par son allé­geance à la politique de Bush vouée à l’échec, le gouvernement se couvre de honte et embarrasse notre nation entière.