Les défenseurs de la liberté académique — Le directeur général de l’ACPPU, James Turk, prend la parole devant les délégués à l’assemblée du Conseil, à l’occasion d’une cérémonie spéciale en l’honneur des 16 universitaires qui ont démissionné de leur poste de professeur au United College en 1958.
Il y a 51 ans, seize membres du corps professoral du United College à Winnipeg se sacrifiaient pour défendre la liberté académique d’un collègue qui avait été congédié après avoir écrit une lettre critique à l’égard du recteur de l’établissement.
Le renvoi de l’historien Harry Crowe en 1958 a amené l’ACPPU à se pencher pour la première fois sur la question de la liberté académique, à faire de celle-ci le point central de sa mission et à créer le modèle qu’elle utiliserait désormais pour enquêter sur les cas présumés de violation de la liberté académique.
« Si l’on a beaucoup écrit sur le traitement injuste infligé à Harry Crowe par la direction et le conseil d’administration du United College, les véritables héros de l’histoire sont loin d’avoir été reconnus à leur juste valeur », a dit le directeur général de l’ACPPU, James Turk, aux délégués présents à l’assemblée semestrielle de l’association tenue à la fin novembre. « Ces héros, ce sont les seize collègues de M. Crowe qui ont démissionné par suite de son congédiement. »
Suivant une recommandation du Comité de la liberté académique et de la permanence de l’emploi, les délégués à l’assemblée du Conseil de l’ACPPU ont voté à l’unanimité en faveur de l’attribution du prix commémoratif Milner à ces seize femmes et hommes en reconnaissance de leur courage et de leur solidarité des plus méritoires. Cette récompense a été créée en 1969 pour souligner des contributions remarquables à la cause de la liberté académique; elle a été jusqu’ici décernée à onze personnes.
« La décision de chacun de démissionner est d’autant plus honorable qu’elle a été prise dans le contexte difficile d’une époque où les emplois dans le secteur de l’enseignement postsecondaire n’étaient pas légion et où la garantie de trouver un autre poste ailleurs était mince », précise M. Turk.
Lors de l’assemblée du 28 novembre à Ottawa, l’ACPPU a remis le prix Milner à Hugh Makepeace, Roman March, Marian Martin,
Kay Sigurjonsson et John Warkentin. Richard Stingle n’a pu être présent pour accepter son prix en personne.
Fred Harper, Michael Jaremko, Kenneth McNaught, Elizabeth Morrison, Michael Oliver, Viljo Packer, Gerald Panting, Stewart Reid, Margaret Stobie et Walter Young ont été récompensés à titre posthume. La plupart des lauréats décédés étaient représentés par une conjointe ou un conjoint ou par un de leurs enfants.
Au cours de la cérémonie de remise des prix, M. Turk a lu le témoignage que Beryl Young a écrit dans une lettre à l’ACPPU au sujet de son mari Walter, qui venait alors d’être embauché pour enseigner les sciences politiques au United College.
« Nous revenions d’un séjour de deux ans à Oxford et nous avions avec nous notre premier enfant, âgé de trois mois. Walter allait occuper son premier poste de professeur dans un établissement collégial. C’est le lendemain de notre arrivée à Winnipeg, alors que nous avions conduit depuis Victoria, que la nouvelle a éclaté dans les journaux. Il nous a semblé que nous nous étions fait d’emblée des amis… et aussi des ennemis. Se rangeant aux côtés de ses amis, Walter remettait sa démission une semaine plus tard. Tant pis pour le premier emploi! »
« Walter et moi avons beaucoup appris durant cette année. L’enseignement le plus important que nous avons tiré de cette expérience, c’est qu’un emploi n’est rien d’autre qu’un emploi, alors que vos principes, ils vous habitent toute votre vie durant. Cette expérience nous a assurément aidés à définir nos principes. »
Si bon nombre de celles et ceux qui ont démissionné ont connu des difficultés par la suite, elles et ils ont tous poursuivi d’importantes carrières tant au sein qu’à l’extérieur du milieu de l’enseignement supérieur. Le congédiement de M. Crowe et la démission des 16 membres du corps professoral ont fait les manchettes dans tout le pays, semant la division entre Winnipeg et la communauté universitaire.
Le conseil d’administration du United College est demeuré malgré tout résolu dans sa détermination, convaincu qu’il était d’avoir agi comme il se devait. Dans une lettre adressée à Marian Martin, l’une des démissionnaires, le président du conseil Allan Watson écrit : « Il apparaît que vous n’avez pas pris connaissance de tous les faits pertinents, car autrement je ne crois pas que vous auriez pu vraisemblablement manquer de conclure que les principes de liberté académique ne sont, en l’occurrence, aucunement en cause. »
Le conseil, ajoute-t-il, est composé de trente-huit hommes et d’une femme qui ont gagné l’estime de leurs concitoyens sur une longue période… Ne croyez-vous pas possible que ces citoyens de Winnipeg, respectés et tenus en haute estime, aient pris collectivement la bonne décision et que vous soyez dans l’erreur? »
Le
rapport publié en 1959 par le comité Laskin-Fowke que l’ACPPU avait créé pour enquêter sur le congédiement de M. Crowe répond à la question de M. Watson : « La fonction de professeur n’implique pas que celui-ci doive parler uniquement avec une voix familière à la direction… Harry Crowe a été victime d’une injustice, d’une violation de sa liberté académique et de sa permanence. »