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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

avril 2010

La position fédérale face à l’éducation des Autochtones n’est guère porteuse d’espoir

Par PENNI STEWART
Au moment où j’écris cette rubri­que, l’avenir de l’Université des Premières nations du Canada est incertain. Le 8 février, le ministre des Affaires indiennes Chuck Strahl a annoncé que le financement de 7,3 millions de dollars du gouvernement fédé­ral pren­drait fin. Il s’agit d’une décision tragi­que pour l’établissement d’enseignement unique et important qu’est l’Université des Premières nations.

Les problèmes au sein de l’université sont apparus en février 2005, lorsque le premier vice-chef de la Fédération des Nations indiennes de la Saskatchewan (FSIN) et président du conseil d’administration de l’université a suspendu trois cadres supérieurs et saisi des documents et des dossiers. Malgré une vague de protestations de la part de la population étudiante, du corps professoral, du personnel et de l’admi­nistration, le conseil a maintenu les mesures prises, qui ont alors pro­vo­qué la démission de la plupart des cadres supérieurs et du tiers environ des membres du corps pro­fessoral de l’université. L’ACPPU et l’association du personnel acadé­mi­que de l’Université de Regina (URFA), qui représente le personnel académique de l’Université des Premières nations, ont exprimé leurs inquiétudes face à la situation.

Confrontée à une aggravation de la crise au printemps de 2005 et à une multiplication des griefs, des procès, des démissions et des baisses d’inscription, la FSIN a chargé un groupe de travail regroupant tous les chefs de la fédération d’enquêter sur cette affaire et de faire des recommandations à ce sujet. La plus importante formulée par le groupe de travail, qui a déposé son rapport en novembre 2005, consistait à remplacer le conseil actuel par un autre plus restreint et moins politicisé. La FSIN a toutefois refusé d’adopter les recommandations, même après qu’un examen provincial eut abouti essentiellement aux mêmes conclusions trois ans plus tard.

En avril 2009, à la suite d’une série de tentatives visant à convaincre la FSIN de mettre en place une structure de gouvernance conforme aux normes et aux principes en vigueur dans les établissements d’Amérique du Nord, le Conseil de l’ACPPU a imposé une sanction de blâme. En janvier 2010, des allégations d’irrégularités financières ont jeté davantage le discrédit sur la direction de l’université.

Cet hiver, cependant, la situation à l’université a montré des signes de changement : en novembre dernier, Guy Lonechild a remporté la course à la présidence de la FSIN. Il a consacré une partie de sa campagne aux problèmes que connaît l’Université des Premières nations.

Au moment où l’as­semblée législative de la FSIN discutait de la possibilité de procéder à des changements au sein du conseil de l’université, M. Lonechild a mis à profit son immense savoir-faire politique pour obtenir un vote en fa­veur d’un changement fondamental. L’assemblée a voté l’abolition du conseil actuel, la formation d’un conseil par intérim structuré selon les recommandations du groupe de travail des chefs, de même que la suspension du président et du vice-président à l’admi­nistration et aux finances.

Il était raisonnable de s’attendre à ce que ces mesures incitent en temps voulu la province à rétablir le financement. Dans ce contexte, l’annonce par le gouvernement fédéral de l’annulation de sa contribution quatre jours après les changements a été reçue avec surprise et une profonde déception. Les mem­­bres des corps étudiant et professoral se sont mobilisés sur le campus, et l’ACPPU a insisté auprès des gouvernements de la Saskat­chewan et du Canada pour qu’ils rétablissent le financement.

Avec cette triste histoire, pour­quoi s’inquiéter de la fermeture éventuelle de l’Université des Premières nations? D’abord, il s’agit du seul établissement universitaire conçu pour les membres des Premières nations au Canada, offrant un milieu culturel spécialement adapté à ces derniers. L’université propose également l’un des programmes les plus approfondis en langues autochtones au pays et un programme d’anglais unique centré sur la littérature des Premières nations. Les programmes de sciences infirmières et de mathématiques autochtones fournissent des res­sources culturelles et une formation accessibles nulle part ailleurs. La présence et l’intégration des Aînés dans tous les aspects de la gouvernance, de la recherche et de l’enseignement contribuent à son caractère particulier et à son importance en tant que ressource culturelle pour la population étudiante autochtone.

J’en ai moi-même été témoin l’an passé lorsque le directeur général de l’ACPPU, James Turk, et moi avons rencontré des étudiantes et étudiants autochtones de l’université. Nous avons appris que beaucoup d’entre eux, particulièrement ceux qui ont dû quitter leur communauté, n’auraient pas pu poursuivre des études supérieures si un établissement comme l’Université des Premières nations n’existait pas. Nous avons également compris à quel point il est important pour ces personnes, qu’elles soient ou non des Premières nations, d’apprendre les systèmes et les méthodes de connaissances autochtones et de les explorer au sein d’un milieu sensible à la culture et exempt du racisme vécu par la population autochtone sur d’autres campus. Les membres des corps étudiant et profes­soral ont exprimé leur engagement passionné envers l’établissement et leurs espoirs de voir des changements s’accomplir.

Le financement accordé à l’Université des Premières nations ne représente qu’une mince portion de la totalité des fonds servant à financer l’éducation postsecondaire des Autochtones, mais ce qui importe est le rôle que joue l’université en tant qu’établissement d’enseignement des Premières nations.

Voilà pourquoi ces fonds représen­tent un ajout important à la straté­gie principale de financement, qui comprend les programmes offerts dans les établissements traditionnels.

Depuis la nouvelle annoncée en février et malgré la formation d’un groupe de travail représentant toutes les parties, le gouvernement féd­é­ral a maintenu sa décision de ne plus financer directement l’Université des Premières nations. Certes, ce choix est inquiétant, mais ce n’est qu’un aspect de la grave crise que traverse le financement de l’éduca­tion autochtone.

Au moyen du programme d’aide aux étudiantes et aux étudiants, le gouvernement fédéral verse actu­el­lement 300 millions de dollars en soutien financier annuel aux Auto­chtones admissibles qui poursuivent des études postsecondaires. Depuis 1996, ces fonds sont demeurés li­m­ités à une croissance annuelle de 2 %. Ce taux d’augmentation est inférieur à celui de l’inflation et est déprécié encore davantage par la hausse des droits de scolarité, qui dépasse 2 %. De plus, il n’est pas proportionnel au nombre grandissant de jeunes Autochtones ou de diplômés d’écoles secondaires admissibles aux études postsecondaires ni au faible taux de fréquentation des membres des Premières nations dans les universités. Plus de 12 000 personnes admissibles auraient vu leur inscription aux établissements postsecondaires refusée depuis 2001 en raison de fonds insuffisants.

En retirant le financement accor­dé à l’Université des Premières nations, le gouvernement fédéral ne respecte pas ses obligations en ver­tu des traités, lesquelles consistent à financer entièrement la population étudiante des Premières nations. Le dernier budget fédéral a annoncé la réorganisation du soutien financier actuellement versé aux programmes universitaires et collégiaux des Premières nations et des Inuits, fourni par l’entremise du programme d’aide aux étudiantes et aux étudiants et géré par les conseils de bande.

Le budget ne donne pas plus de détails, mais il est probable que les changements se traduiront par la diminution du pouvoir des conseils de bande sur le financement des études et par la suppression de leur capacité à mettre des conseillères et des conseillers ou d’autres formes de soutien à la disposition du corps étudiant en plus de l’aide financière. Une telle décision à courte vue va à l’encontre non seulement des obligations, mais aussi de la longue et déplorable histoire de l’assimilation forcée. Notre gouvernement devrait mettre fin au sous-financement et agir résolument de façon à combler l’écart qui existe entre l’éducation des Autochtones et celle des autres Canadiennes et Canadiens.