L'Université Trent a pris le mois dernier une initiative qui est tout à son honneur, se réjouit mon collègue de cet établissement, David Newhouse. En effet, après des années de discussion et de réflexion, le sénat de cette université a adopté le nouvel énoncé de vision qui suit : « Nous offrons un environnement qui favorise le respect des connaissances autochtones et qui reconnaît ce savoir comme un mode valable de compréhension du monde. »
Trent poursuit ainsi son imposante oeuvre de pionnier et de chef de file dans le domaine de l’éducation autochtone qu’elle a amorcée en 1969 avec la création du tout premier programme d’études amérindiennes et inuites au Canada. Cette année tumultueuse dans l’histoire des Premières nations a été marquée par la publication du livre blanc du gouvernement Trudeau sur les Premières nations, qui recommandait d’abroger les droits issus des traités, d’abolir la Loi sur les Indiens et d’entreprendre un programme d’assimilation. Le document a provoqué un coup de tonnerre au sein des collectivités des Premières nations où l’expression de la résistance s’est manifestée notamment sous la forme de l’ouvrage Unjust Society rédigé par le leader autochtone Harold Cardinal — une riposte à laquelle on attribue le mérite d’avoir renversé la position du gouvernement. La revendication du contrôle de l’éducation par les Premières nations s’est élevée peu d’années après la parution du livre de M. Cardinal.
Le programme de l’Université Trent est devenu en 1972 le « Department of Native Studies » et
dernièrement le « Department of Indigenous Studies ». L’université a depuis créé les premiers programmes de baccalauréat général et de baccalauréat spécialisé en études autochtones, le premier programme de maîtrise, le premier programme d’études environnementales autochtones et, tout récemment, le premier programme de doctorat en études autochtones.
Trent est à l’avant-garde dans le domaine de l’éducation autochtone non seulement en raison de ses différents programmes menant à un grade, mais aussi du fait que son cursus est centré sur le savoir autochtone. Pour le professeur Newhouse, chaire des études autochtones, ce savoir porte sur les théories de l’univers et son fonctionnement, la nature des êtres humains et autres, la nature de la société et de l’ordre politique, la nature du monde et les façons de s’y adapter, la motivation humaine et une foule d’autres aspects de la vie.
Le savoir autochtone ne s’acquiert pas suivant la pratique académique habituelle. Cela ne s’apprend pas dans les livres. L’apprentissage des connaissances autochtones passe nécessairement par une immersion culturelle. Et c’est la raison pour laquelle l’Université Trent a intégré à son corps professoral des Aînés qui servent de trait d’union entre les collectivités autochtones et les étudiants tant autochtones que non autochtones. En tant qu’historiens
de la communauté, ils transmettent les traditions orales autochtones dans la salle de classe.
Au premier cycle comme aux cycles supérieurs, les étudiants ont l’occasion d’apprendre des Aînés en dehors de la salle de classe. Au niveau du doctorat, ils ont la possibilité de travailler pendant une session sous la supervision d’un Aîné. Et plusieurs éminents érudits du savoir autochtone ont été nommés à des postes du corps professoral en fonction de leurs compétences culturelles.
Le programme d’études autochtones de Trent se démarque également par le fait que les critères et les procédures de nomination et d’octroi de la permanence et des promotions concordent parfaitement avec les connaissances et les méthodes autochtones. Pour le personnel académique intéressé par les questions d’équité et d’inclusion partout au pays, Trent est depuis longtemps le modèle à suivre sur le plan de la permanence et des promotions.
À Trent, les candidats à la permanence en études autochtones peuvent satisfaire aux exigences en la matière à titre d’universitaire au sens classique du terme, d’universitaire expert en connaissances autochtones traditionnelles (c’est le cas de bon nombre d’Aînés) ou d’universitaire possédant la double érudition. Le savoir traditionnel est considéré comme l’ensemble des connaissances acquises hors du cadre universitaire, et les titres et qualifications peuvent s’acquérir autrement que par des diplômes d’études supérieures ou des communications publiées dans des revues savantes.
Pour évaluer la compétence savante des personnes chargées de dispenser le savoir autochtone traditionnel, il faut avoir une compréhension globale des réalisations et activités des érudits du savoir autochtone, telles que la participation aux cérémonies. De manière significative, on reconnaît que ces érudits doivent être évalués par des pairs qui peuvent être des membres de la « collectivité culturelle concernée » ainsi que des membres du département.
Il y a deux ans, la direction de l’Université Trent a fait savoir qu’elle ne soutiendrait plus la nomination d’Aînés à des postes menant à la permanence. La question n’a toujours pas été réglée malgré les préoccupations exprimées par les membres du personnel académique et leur association. Le programme d’études autochtones subirait un sérieux revers s’il était décidé de ne plus procéder à de telles nominations. Octroyer la permanence à des Aînés, c’est reconnaître le rôle intégral qu’ils jouent à titre de créateurs et de transmetteurs de connaissances. C’est aussi institutionnaliser le rôle des Aînés, consolider leur place au sein du milieu académique, assurer la pérennité du programme et la continuité pour les étudiants.
Plus tôt cette année, le directeur général de l’ACPPU James Turk et moi, avec le professeur Newhouse et la présidente de l’association du personnel académique de Trent, Susan Wurtele, avons rencontré le nouveau recteur de l’Université Trent, Steven Franklin, pour lui rappeler toute l’importance que revêt le programme d’études autochtones de cet établissement pour l’éducation des Autochtones au Canada.
Nous lui avons demandé instamment de faire en sorte que Trent puisse maintenir sa position d’avant-garde en matière de programmes d’éducation autochtone en réaffirmant l’engagement de l’université à nommer des candidats à des postes menant à la permanence en fonction de leurs connaissances autochtones traditionnelles. L’intégration véritable des érudits et des chercheurs autochtones au corps universitaire est un enjeu qui concerne tous les membres de la communauté académique. C’est pourquoi le nouvel énoncé de vision de Trent est source d’inspiration.