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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

octobre 2010

L’inégalité d’accès des populations étudiantes défavorisées

Par Penni Stewart
Les Canadiens et leurs gouvernements sont unanimes à reconnaître que l’éducation postsecon­daire devrait être accessible à tous les étudiants qualifiés. Mais l’accès quasi universel, est-ce là un objectif réaliste dans le contexte des po­litiques de droits de scolarité pra­ti­quées actuellement dans la plupart des provinces canadiennes? Certains étudiants sont-ils systé­matiquement exclus? Les données portent à croire que les étudiants issus d’une famille à faible revenu sont sous-représentés dans les éta­blissements d’enseignement postsecondaires, tout particu­lièrement dans les universités.

En 2006, 60,8 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans dont les parents avaient déclaré un revenu total annuel de 50 000 $ ou moins avaient poursuivi des études postsecon­daires, comparativement à 73,1 % de ceux dont le revenu parental dépassait 75 000 $ et à 80,9 % de ceux dont un tel revenu atteignait 100 000 $ et plus. Constat non surprenant, le nombre d’étudiants inscrits à l’université ou au collège est également lié au niveau de scolarité des parents.

Pour l’année scolaire 2008-2009, dans l’ensemble du pays, les frais de scolarité moyens variaient entre 2 167 $ au Québec et 5 932 % en Nouvelle-Écosse. Ces frais n’ont pas cessé d’augmenter au cours des deux dernières années et ils ont plus que doublé dans certaines provinces.

Pour les étudiants inscrits à un programme menant à un grade professionnel, la situation est toute autre. Les frais de scolarité à l’école de médecine de l’Uni­ver­sité McMaster s’élevaient à 17 222 $ en 2008-2009, tandis que les frais des étudiants en dentisterie à l’Université de la Saskatchewan ont bondi à 32 000 $.

L’augmentation vertigineuse des coûts a relancé le débat sur la politique à adopter en matière de frais de scolarité et sur l’accès aux études postsecondaires. D’aucuns sont d’avis que les frais devraient pouvoir être augmentés puisque les programmes de prêts et bourses permettent aux étudiants dans le besoin d’accéder aux études su­périeures. Les tenants de cette position mettent en lumière ce qu’ils considèrent comme les « avantages privés » de l’éducation, notamment la possibilité de réaliser des gains futurs plus élevés. Ils font également valoir que les taux élevés d’inscrip­tion montrent à quel point l’argument des difficultés financières est exagéré.

D’autre part, l’ACPPU, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants ainsi que bon nombre d’autres parties estiment que les étudiants paient déjà plus que leur juste part du coût de l’éducation au travers de frais, taxes et impôts.

Alors que se poursuit le débat sur l’envergure des obstacles que posent les frais de scolarité élevés à l’accès aux études postsecondaires, on s’entend pour dire que le taux d’inscription inférieur des étudiants à faible revenu s’apparente aussi à l’origine ethnique, au statut d’immigrant, au statut de famille mono-parentale, au fait de vivre en région rurale et d’être un étudiant de première génération. Les étudiants autochtones, de leur côté, sont confrontés aux obstacles financiers dé­coulant du sous-financement fédéral.

La cause profonde de ces phéno­mènes est la classe sociale — un aspect de la vie canadienne dont on a largement fait abstraction dans les recherches sur l’accessibilité. La préparation aux études supéri­eures et le rendement scolaire au secondaire sont intimement liés à la scolarité et au revenu des parents. Aussi, en raison peut-être de la visibilité de ces deux aspects de la classe sociale, les universitaires et les médias se sont-ils intéressés avant tout aux aspects quotidiens de stratification que sont la race et le sexe, alors que la classe sociale comme telle est rarement prise en compte.

Les écarts observés ces dernières années dans les différentes politi­ques provinciales de droits de scolarité permettent de mesurer l’incidence de la hausse de ces frais sur le nombre total d’inscriptions. Dans son analyse des données de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (1993-2004) qui est parue dans la Revue canadienne d’économique, Michael Coelli a constaté que le taux de fréquentation universitaire des jeunes de 16 à 20 ans issus de familles à faible revenu chutait considérablement à mesure que les droits de scolarité augmentaient, alors que la corréla­tion chez les jeunes issus de familles à revenu moyen et élevé était beaucoup moins marquée.

Bref, dans les provinces où les frais ont augmenté, le taux de fréquentation des étudiants apparte­nant à des familles à faible revenu a baissé, une fois pris en compte les facteurs influant sur le nombre d’inscriptions tels que la scolarité des parents, la langue, l’éloignement de l’université, le sexe et l’appartenance à une minorité visible.

Si les droits de scolarité consti­tuent effectivement un obstacle pour les étudiants à faible revenu, on peut espérer une amélioration de leur situation grâce à des crédits d’impôt au titre, par exemple, du Régime enregistré d’épargne-études (REEE), ou bien grâce au régime de prêts d’études qui vise les étudiants les plus nécessiteux. Mais à l'instar des autres dégrèvements fiscaux, le REEE, qui n’est pas axé sur les besoins, est essentiellement une subvention accordée aux fa­milles à revenu moyen et élevé qui ont les moyens de mettre des épargnes de côté.

Les programmes d’aide aux étudiants, en revanche, sont toujours aussi importants pour favoriser l’accès des étudiants à faible revenu. Malheureusement, ces programmes n’ont pas la capacité de répondre à l’ampleur de l’aide financière dont ont besoin les étudiants. À l’heure actuelle, celle-ci leur est consentie au travers du Programme canadien de prêts aux étudiants et d’un éventail de bourses octroyées par les universités et les collèges.

En 2008, le gouvernement féd­éral a lancé un programme de bourses en vertu duquel les étu­diants issus de famille à faible re­venu qui sont admissibles à un prêt étudiant fédé­ral peuvent tou­cher jusqu’à 250 $ par mois d’études. Cependant, comme la portion de l’aide financière correspondant au prêt excède de beaucoup la valeur de la bourse comme telle, la dette étudiante s’est de ce fait accrue démesurément. L’endettement moyen des étudiants au terme de leurs études de premier cycle se chiffre à 37 000 $.

La perspective de devoir assumer une dette colossale ne manque pas d’apporter son lot d’effets dissuasifs. La nécessité d’emprunter décourage les jeunes à s’inscrire à des programmes d’études postsecondaires, tout comme l’obligation de traîner un fardeau d’endettement écrasant retarde l’obtention de leur diplôme et accroît le risque de ne pas y parvenir. L’endettement est également cité comme la raison pour laquelle les jeunes médecins et avocats ne veulent pas occuper des postes moins rému­nérés dans la fonction publique ou des postes de généralistes.

L’éducation postsecondaire doit être accessible à tous les étudiants qualifiés. Or, il y a fort à craindre aujourd’hui qu’un grand nombre d’étudiants ne soient dissuadés d’entreprendre des études supé­rieures en raison de ressources financi­ères insuffisantes ou de l’appré­hension de s’endetter lourdement. C’est pourquoi la mise en place d’un programme de subventions d’études entièrement fondé sur les besoins des étudiants contribuerait dans une large mesure à régler le problème.

Néanmoins, le problème de l’augmentation des frais de scolarité ne pourra être réglé que si le système d’éducation postsecondaire bénéficie d’un financement public mieux équilibré. Le gouvernement fédé­ral doit s’employer davantage à relever ce défi, sans quoi l’accessibi­lité n’en sera que plus réduite et notre engagement envers l’équité sociale s’en trouvera compromis.