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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

octobre 2010

Les scientifiques fédéraux soumis à la loi du bâillon

Selon des documents obtenus par la journaliste Margaret Munro de l’agence Postmedia News grâce à la Loi sur l’accès à l’information, les scientifiques à l’emploi de Ressources naturelles Canada (RNCan) doivent obtenir l’autorisation ministérielle pour parler aux journalistes.

Les nouvelles règles, en vigueur depuis mars dernier, obligent les scientifiques à obtenir l’approbation du cabinet du ministre Christian Paradis avant de s’exprimer publiquement non seulement sur des questions d’actualité et controversées, mais aussi sur des phénomènes remontant jusqu’à la dernière ère glaciaire.

« Nous avons mis en place de nouvelles procédures pour les entrevues avec les médias en vertu desquelles certains types de demandes d’entrevue doivent faire l’objet au préalable d’une autorisation du cabinet du ministre », écrit Judy Samoil, gestionnaire des communications régionales de l’Ouest à RNCan, dans un courriel envoyé à ses collègues le 24 mars.

En conséquence de ces nouvelles règles, le scientifique Scott Dalli­more, qui travaille dans les laboratoires de RNCan, s’est vu interdire de répondre aux questions des médias au sujet d’un article qu’il avait coécrit dans la revue scientifique Nature à propos d’une inondation colossale qui a dévasté le Nord canadien il y a 13 000 ans.

« Il nous faut obtenir le feu vert du cabinet du ministre avant d’autoriser cette entrevue », écrit Patricia Robson, gestionnaire des relations avec les médias du minis­tère, dans un courriel adressé à un journaliste qui souhaitait interviewer M. Dallimore.

En fin de compte, les journalistes ont dû interviewer les coauteurs de l’étude établis à l’extérieur du Canada.

« Si l’on vous empêche de prendre connaissance d’un article scientifique retraçant un phénomène historique aussi intéressant et inoffensif qu’une inondation survenue lors de la dernière glaciation, imaginez ce qui se passerait si vous tentiez de prendre contact avec des scientifiques détenant des informations sur le cadmium et le mercure dans la rivière Athabasca? », a déclaré à Postmedia News le climatologue Andrew Weaver de l’Université de Victoria, en parlant de la controverse entourant les contaminants en aval des sables bitumineux de l’Alberta.

Environnement Canada et Santé Canada contrôlent eux aussi l’accès des médias aux scientifiques fédéraux et coordonnent les entre­vues qui sont autorisées, allant même jusqu’à préparer des « infocapsules » pour les chercheurs.

C’est d’ailleurs à de telles lignes de conduite, indique M. Weaver, qu’ont dû s’en tenir les scientifiques qui ont coécrit avec lui des études climatiques fondées sur des re­cherches subventionnées grâce à ses bourses universitaires.

« Il ne fait aucun doute qu’une campagne orchestrée au niveau fédéral a été mise sur pied pour faire en sorte que les scientifiques du gouvernement ne puissent pas communiquer au public les résultats de leurs travaux », a-t-il dit à Postmedia News.

Selon lui, les règles imposées semblent tout droit sortie d’une œuvre de George Orwell, et le public — c’est-à-dire les contribu­a­bles dont l’argent sert à financer le programme scientifique du gouvernement — a le droit incontes­table d’être informé sur les découvertes et les avancées des cher­ch­eurs fédéraux.

« Bâillonner les scientifiques sus­ceptibles de faire entrave au programme idéologique d’un gouver­nement va davantage de pair avec une dictature qu’avec une démo­cratie », s’indigne le directeur gé­néral de l’ACPPU, James Turk. « Le gouvernement Harper affiche une fois de plus son mépris pour la science et la démocratie. »

Dans un éditorial paru le 15 septembre, le Calgary Herald qualifie les règles mises en place de
« sinistrement totalitaires ».

« Nous comprenons le désir des organisations tant publiques que privées d’appuyer chez leur personnel la sensibilisation aux médias et l’acquisition de compétences médiatiques », peut-on lire dans l’éditorial. « Mais pous­ser la micro­gestion jusqu’à obli­ger les journalistes à soumettre leurs questions à l’avance pour que le spécialiste concerné puisse y répondre par des réponses toutes faites préautorisées par le gouvernement, comme c’était le cas en l’occurrence, re­lève d’une paranoïa aux proportions orwelliennes. »