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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

novembre 2010

Les apprenants autochtones privés de soutien financier

Par Penni Stewart
Partis de Maniwaki (Québec) le 19 septembre dernier, quelque 100 membres de la communauté de Kitigan Zibi Anishinabeg et de sympathisants, accompagnés par Shawn Atleo, chef national de l’Assemblée des Premières Nations, sont arrivés à Ottawa le 23 septembre après avoir parcouru à pied 150 kilomètres. Des centaines d’étudiants, d’enseignants, de parents, d’aînés et de personnes appuyant leur cause, parmi lesquelles se trouvaient des représentants de l’ACPPU, les ont rejoints dans le parc de l’île Vic­toria, à quelques minutes du centre-ville. Le groupe s’est acheminé vers la Colline du Parlement afin de participer au rassemblement et à la manifestation culturelle orga­ni­sés pour attirer l’attention sur la crise persistante qui frappe les Premières nations dans le secteur de l’éducation.

En regardant la foule sur la Colline, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ma présence faisait grimper la moyenne d’âge du groupe d’un an ou deux : environ la moitié de la population autochtone a en effet moins de 25 ans. C’est dire toute l’importance que revêt l’éducation pour cette population.

En ce qui concerne l’éducation des autochtones, du primaire jus­qu’au postsecondaire, une multitude de rapports, de commissions et de données statistiques récents démontrent qu’il y a lieu d’être préoccupés. Trop d’étudiants autoch­tones décrochent avant de ter­mi­ner leur secondaire, voire leur primaire. En 2006, Statistique Canada estimait que 34 % des adultes autochtones âgés de 25 à 64 ans n’étaient pas titulaires d’un diplôme d’études secondaires. Dans son important rapport intitulé Aboriginal Peoples and Postsecondary Education in Canada, Michael Mendelson, chercheur principal à l’Institut Caledon de politique sociale, soutient que la clé pour accroître la parti­cipation des autochtones dans le système d’éducation postsecondaire consiste à augmenter le nombre de personnes qui terminent leur secondaire.

Cependant, même si les autoch­tones qui finissent leurs études secondaires ont autant de probabilité que les autres de faire des études postsecondaires quelconques, ils sont beaucoup moins susceptibles d’entrer à l’université. On estime qu’en 2006, environ 8 % de la population autochtone détenaient un diplôme universitaire, soit à peu près le tiers des 23 % enregistrés chez les non-autochtones. Fait alarmant, cette donnée permet de constater que l’écart s’est creusé depuis le recensement de 2001. Par ailleurs, 19 % des autochtones sont titulaires d’un diplôme d’études collégiales et 14 % ont déclaré avoir une formation professionnelle reconnue. L’Almanach 2010 de l’ACPPU fait état, pour l’année 2009, de 3 % de diplômés de premier cycle s’étant autodéclarés autochtones.

S’il est vrai que les obstacles empêchant les autochtones de faire des études postsecondaires ne sont pas uniquement d’ordre financier, il n’en demeure pas moins que la question financière est au cœur du problème. Depuis 1989, les fonds consacrés à l’éducation des Premières nations et des Inuits ont surtout alimenté le Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire (PAENP), auquel les métis ou étudiants indiens non inscrits ne peuvent pas accéder.

Les fonds du PAENP proviennent du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et sont versés directement aux communautés, qui les distribuent à leurs membres. Malheureusement, ce financement ne tient pas compte des besoins régionaux ni des autres particularités qui peuvent exister. Depuis 1996, l’augmentation des fonds plafonne à 2 % par année, sans que ne soit pris en considération le nombre accru d’étudiants admissibles, l’inflation ou la hausse des droits de scolarité, du coût de la vie et des frais de transport.

Cette limite arbitraire imposée au PAENP a causé bien des déceptions pour beaucoup d’étudiants qui souhaitaient poursuivre leur formation. Selon le rapport de 2004 du vérificateur général, quelque 9 500 étudiants qualifiés, nombre qui a augmenté depuis, se sont vu refuser le soutien qui leur aurait permis de continuer leurs études à cause du manque de financement. En 2007, le rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord signalait que l’insuffisance du soutien financier qu’offre le PAENP est un obstacle persistant d’importance critique qui empêche un grand nombre d’apprenants des Premières Nations d’accéder aux études de niveau postsecondaire.

Les personnes appelées à témoi­gner devant le Comité ont parlé de centaines d’étudiants admissibles à qui un financement a été refusé et de listes d’attente allant jusqu’à cinq ou six ans. L’étude du Comité propose parmi ses recommandations clés d’éliminer le plafond annuel de 2 % et d’augmenter les dé­penses relatives à l’enseignement postsecondaire en fonction des coûts réels associés aux différents volets du programme. L’étude pro­pose en outre « (...) que le Ministère (MAINC) considère comme une priorité l’octroi d’un soutien financier adéquat, dans le cadre du PEP, à chaque apprenant admissible des Premières Nations et inuit et qu’il mette en place un plan pour ré­pondre à cette priorité d’ici la fin de 2007 ».

Dans sa réponse au rapport du Comité, le gouvernement a opposé un décevant refus de financer pleinement les étudiants admissibles. Il a par ailleurs indiqué son intention de revoir le PAENP au cours des deux années suivantes. La commu­nauté des Premières Nations s’inquiète, car cela pourrait signaler l’intention d’aligner le PAENP sur les modalités de financement « normal » en le faisant relever du Programme canadien des prêts aux étudiants. Elle a rejeté avec véhémence un tel changement, qui porterait atteinte aux droits à l’éducation postsecondaire qui lui ont été conférés par traité.

Il m’est impossible, en quelques lignes, de rendre compte des nombreuses questions complexes qui touchent l’éducation postsecondaire des étudiants autochtones, mais je mentionnerai un aspect important qui a été négligé : la collecte de données. La recherche de données adéquates sur les groupes et les communautés qui ont été placés en marge de la société et victimes de racisme au cours de l’histoire du Canada est un exercice frustrant et souvent décevant. Le fait de ne pas recueillir de données pertinentes sur les étudiants autochtones actuels et potentiels signifie que des aspects importants, comme le nombre d’étudiants admissibles à qui du financement a été refusé pour cause d’insuffisance budgétaire, ne sont pas mesurés et ne font l’objet d’aucun suivi. Il signifie en outre que des données cruciales à la planification, notamment celles qui portent sur les progrès accomplis par les étudiants et sur leur emploi, ne sont pas recueillies au ni­veau local.

L’abolition scandaleuse du formulaire long de recensement, auparavant obligatoire, aura un effet dévastateur sur la capacité qu’a la communauté des Premières Nations à se décrire et à suivre son évolution sociale. Et, punition supplémentaire pour les Autochtones, il sera désormais impossible de produire une version de l’Enquête auprès des peuples autochtones, une enquête détaillée spéciale postcensitaire sur les conditions socioéconomiques des autochtones au Canada, qui pourra être comparée aux versions antérieures et dont l’échantillonnage se basait sur le formulaire long de recensement obligatoire. Honte à ceux qui nous gouvernent actuellement.