Une
enquête-reportage réalisée par deux journalistes du
Globe and Mail, Mark MacKinnon et Rod Mickleburgh, soulève des inquiétudes sur les liens que les universités canadiennes entretiennent avec les agences de recrutement d’étudiants étrangers.
Les journalistes y racontent l’histoire de Vic, un étudiant chinois de 19 ans dont la famille a versé 20 000 $ en frais de scolarité au Aoji Education Group, une agence de recrutement d’étudiants basée à Beijing. En contrepartie de cette somme, Vic et ses parents croyaient qu’il pourrait poursuivre des études en science économique dans une université canadienne.
Au lieu de cela, Vic a dans un premier temps passé huit mois à suivre une formation linguistique en anglais dans un campus fermé d’Aoji, près de l’aéroport international de Beijing, puis un semestre à suivre des cours d’anglais sans crédit à l’Université de la vallée du Fraser (UFV) à Abbotsford, en Colombie-Britannique.
Après son court séjour à l’UFV, il est rentré chez lui, honteux et découragé, ayant bénéficié de peu de formation linguistique sans avoir obtenu le moindre crédit universitaire.
« Ils nous ont dit que nous étudierions dans une université une fois arrivés au Canada, mais il ne s’agissait en fait que de cours d’anglais », a-t-il raconté au
Globe and Mail. « Nous étions complètement abattus. »
Des milliers d’étudiants chinois sont inscrits chaque année à des collèges et des universités au Canada par l’intermédiaire d’agences de recrutement qui ne demandent qu’à tirer avantage d’étudiants désireux d’acquérir des diplômes d’études supérieures à l’étranger et attirés par les universités à court d’argent qui comptent de plus en plus sur les droits de scolarité élevés imposés aux étudiants étrangers.
L’UFV a finalement rompu ses liens avec le groupe Aoji pour des raisons de différend gardées secrètes, mais ce dernier continue toujours de recruter pour la société australienne Navitas Ltd., qui a créé des collèges à but lucratif desservant les étudiants étrangers en partenariat avec l’Université Simon Fraser et l’Université du Manitoba. L’an dernier, Aoji a recruté 70 étudiants pour ces collèges privés.
William Ko, directeur financier du Collège international Fraser — une initiative lancée avec l’Université Simon Fraser —, a refusé de parler aux journalistes du
Globe and Mail à propos de la relation de l’établissement avec Aoji, déclarant qu’aucune information ne serait communiquée à ce sujet.
L’entente passée avec Simon Fraser, qui vient d’être renouvelée, a été le premier partenariat conclu par Navitas au Canada.
Au Manitoba, les membres du corps professoral et les étudiants déploient tous les efforts nécessaires pour empêcher la reconduction du contrat avec Navitas à son expiration.
« La présence de Navitas sur notre campus nous inquiète évidemment parce que le personnel du Collège international du Manitoba effectue le travail dont se chargent déjà nos membres et les membres du SCFP 3090 », indique le président de l’association du personnel académique de l’Université du Manitoba, Cameron Morrill.
« Il est aussi clair que Navitas perçoit tout simplement les étudiants étrangers comme une source de profit et qu’elle mise sur la réputation de notre université et ses installations financées par l’État, tels les salles de classe, laboratoires et bibliothèques, pour réaliser ce profit. »
« Les sociétés privées jouent essentiellement le rôle d’intermédiaires qui touchent une commission en achetant le nom de marque, les installations et autres ressources de l’université en guise de crédibilité et d’avantage concurrentiel », affirme le directeur général associé de l’ACPPU, David Robinson. « De leur côté, les universités réalisent des profits en vendant leur image de marque à des entreprises comme Navitas en échange des droits de scolarité perçus auprès d’étudiants qui ne seraient pas admissibles autrement. »
Le ministre canadien de l’Immigration, Jason Kenney, semble partager au moins certaines de ces préoccupations.
« Il existe un flot de charognards cherchant à exploiter les gens qui aspirent à visiter le Canada, à y immigrer ou à venir y étudier », a-t-il mis en garde les étudiants lors d’une récente visite en Chine.
Les étudiants et les professeurs de l’Université de Windsor sont parvenus récemment à faire échec au projet de collège privé qu’un autre fournisseur multinational de services d’éducation à but lucratif, Study Group International, voulait implanter sur leur campus.
Navitas tente maintenant de convaincre l’Université Carleton de former un partenariat du même genre avec elle. La direction de l’établissement a chargé un groupe de travail d’examiner la proposition sans consulter aucunement l’association du personnel académique (CUASA).
« Nous éprouvons certaines inquiétudes à l’égard de ce type de partenariat public-privé et nous ne ménagerons pas nos efforts pour stopper cette opération en faisant bien comprendre à nos membres les pièges qu’elle comporte tant pour les étudiants et le corps professoral que pour l’université elle-même », a dit Patrizia Gentile, chargée des affaires internes de la CUASA.
Study Group International, Navitas et leurs concurrents internationaux INTO et Kaplan se livrent depuis des années une lutte acharnée pour conclure des partenariats avec des établissements d’enseignement du monde entier, et se heurtent la plupart du temps à l’opposition des travailleurs et des étudiants.
L’ACPPU, tout comme d’autres syndicats représentant les professionnels de l’éducation, a adhéré au
Réseau Éducation et Solidarité, qui partage des ressources destinées à lutter contre les menaces posées par les fournisseurs de programmes d’études universitaires.