La promotion et la protection de l’intégrité de la recherche universitaire comptent parmi les chevaux de bataille de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU). Ayant depuis longtemps une opinion défavorable à l’égard des mesures en vigueur à ce sujet, l’ACPPU réclame énergiquement des normes nationales. Par ailleurs, un
examen sur l’intégrité de la recherche au Canada mené par un comité d’experts à la demande du Conseil des académies canadiennes (CAC) donne raison à l’ACPPU et propose une vision pour aller de l’avant. Deux aspects, soit l’état du « système » et les mesures à prendre pour favoriser un environnement propice à l’intégrité de la recherche, ont été au cœur de l’étude.
L’émergence de la question de l’intégrité de la recherche comporte un certain nombre de facteurs connexes, en particulier la mobilité accrue des chercheurs, l’intensification de la recherche multinationale et interdisciplinaire, et les cadres de financement des collaborations intersectorielles entre partenaires en recherche publics et privés, qui se sont nettement complexifiés. En outre, un public mieux renseigné sur l’importance de recherches fiables et les dangers potentiels des actes répréhensibles n’est pas étranger à cet appel à de nouvelles normes touchant l’intégrité.
Nous avons eu droit dernièrement à un exemple frappant, celui du médecin et chercheur britannique Andrew Wakefield, qui a été déchu de son titre pour avoir, dans un article paru en 1998 dans la revue
The Lancet, établi un lien entre le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole et l’autisme. Le British General Medical Council l’a trouvé coupable de faute professionnelle pour omission de déclarer un conflit d’intérêts sérieux (l’ex-médecin a tiré profit de la vente d’un vaccin concurrent et de tests diagnostiques), falsification de données, publication d’un article malhonnête et infraction à l’éthique.
Ses « travaux » ont eu des conséquences désastreuses sur les taux de vaccination au Royaume-Uni, entraînant une augmentation du nombre de cas de rougeole.
L’affaire Wakefield ne donne qu’une idée sommaire des assauts plus larges à l’intégrité qu’entraîne la commercialisation croissante de la recherche. Au Canada, le cas des médecins Nancy Olivieri et David Healy met en relief le genre de pressions systémiques qu’engendre la commercialisation, notamment les exigences des commanditaires de retarder la publication des résultats, la divulgation sélective de données, la surveillance par l’industrie des résultats de recherche avant la publication et l’insistance sur une confidentialité déraisonnable des résultats, voire leur non-divulgation.
En 2009, un article du
New York Times révélait qu’une société pharmaceutique avait retenu les services d’une firme de communications médicales pour rédiger des articles scientifiques que « signeraient » ensuite des médecins, la plupart ayant peu participé aux travaux de recherche en question. Depuis, d’autres cas de prête-noms, où il a été délibérément omis de reconnaître publiquement le rôle joué par une société pharmaceutique dans le financement ou la commandite, ont été mis au jour, laissant voir que cette pratique est répandue.
Outre les occasions de financement, les partenariats internationaux entre les communautés de la recherche et de l’industrie ont gagné en importance pour les établissements d’enseignement postsecondaire, et la culture de la recherche dans toutes les disciplines a fait une place accrue à l’individualisme et à l’entrepreneuriat. Ce milieu concurrentiel presse sans cesse les chercheurs de publier, sans compter que la permanence et la promotion font l’objet de nouvelles normes qui auraient été impensables il y a dix ans. Le nombre d’articles publiés pour lesquels une rétraction est émise a augmenté, ce qui laisse croire que la malhonnêteté de plus en plus constatée en recherche universitaire serait une conséquence des grandes pressions exercées sur le milieu.
Au chapitre de la surveillance de la recherche, comment se compare le Canada par rapport à d’autres pays? Une étude du Comité canadien de l’intégrité de la recherche, vaste alliance de 17 administrations publiques et ONG, dont l’ACPPU, laisse voir de sérieuses défaillances. Le rapport de 2009 de l’organisme, intitulé
État des politiques sur l’intégrité et l’inconduite en recherche au Canada, décrit un ensemble de politiques institutionnelles disparates coordonné par une politique générale sur l’intégrité des organismes subventionnaires (Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), couramment appelés les trois conseils).
Comme il n’existe pas de normes nationales sur l’intégrité, les établissements se sont dotés de politiques qui varient grandement. Faute d’une définition consensuelle de l’intégrité ou de l’inconduite en recherche, le système est devenu opaque. Les établissements doivent recevoir des plaintes avant d’intervenir en cas d’inconduite et peu d’éléments attestent qu’une sensibilisation est menée de façon active à ce sujet. De plus, un dénonciateur ne bénéficiera pas de la même protection d’un établissement à l’autre. Par ailleurs, les trois conseils surveillent uniquement les établissements de recherche universitaire et médicale menant des travaux qu’ils financent, et les organismes subventionnaires n’ont pas les moyens de vérifier les constatations d’enquêtes que réalisent les établissements. Enfin, le secteur privé et d’autres organismes du secteur public sont hors de portée de l’actuelle structure réglementaire.
Le comité d’experts du CAC, qui en est arrivé à des conclusions assez semblables dans son rapport de 134 pages, propose de mettre sur pied une entité indépendante, le Conseil canadien pour l’intégrité de la recherche (CCIR). Cet organisme de coordination donnerait de façon confidentielle des conseils aux particuliers et aux établissements, recueillerait et diffuserait de l’information en plus de promouvoir les pratiques exemplaires et des normes.
Selon le rapport, « (la) participation de l’ensemble du milieu de la recherche serait essentielle à la crédibilité et à la légitimité du CCIR », car ce dernier « serait en mesure d’encourager les chercheurs et les organismes non financés par les trois conseils à participer à un système pancanadien d’intégrité en recherche ». Toutefois, le document prévoit que l’application de sanctions incomberait toujours aux principaux organismes subventionnaires publics fédéraux de la recherche.
L’ACPPU préconise depuis longtemps une norme commune nationale tenant compte des pratiques exemplaires internationales en matière d’intégrité en recherche; visant tous les travaux menés au Canada, y compris par le secteur privé; rendant obligatoires des programmes de sensibilisation et de formation ayant pour but de prévenir l’inconduite; et imposant aux organismes qui réalisent des travaux de recherche l’obligation absolue de protéger les chercheurs qui attirent l’attention sur l’inconduite de collègues ou de bailleurs de fonds ou qui s’y opposent.
L’ACPPU tient également à ce que toutes les enquêtes visant des établissements à propos d’allégations d’inconduite dans le domaine de la recherche suivent les règles strictes de l’équité procédurale. Les examens exhaustifs du Comité canadien de l’intégrité de la recherche et du CAR constituent une étape importante vers l’atteinte de cet objectif.