Back to top

Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mars 2011

Organismes-conseils : Une réforme de structure improvisée

Le système québécois de la recherche s’est mis en place au cours de plusieurs décennies et rien n’indique que les structures actuelles, dont certaines ont à peine dix ans, soient déficientes

Par Yves Gingras

La Commission des finances publiques étudie présentement le projet de loi 130 intitulé Loi abolissant le ministère des Services gouvernementaux et la Société québécoise de récupération et de recyclage et mettant en œuvre le Plan d’action 2010-2014 du gouvernement pour la réduction et le contrôle des dépenses en abolissant et en restructurant certains organismes et certains fonds. Il s’agit donc d’un projet omnibus qui, à la hâte et pêle-mêle, abolit le Conseil permanent de la Jeunesse, le Conseil des aînés, et autres organismes-conseils tout en restructurant les trois Fonds de recherche du Québec.

Peu susceptible de faire la une des journaux, ce projet de loi « coup de balai » n’en est pas moins important en ce qu’il constitue une refonte en profondeur, et sans aucun débat public, d’un ensemble d’organismes qui répondaient à des besoins réels de consultation et de prospective dans plusieurs secteurs. Il modifie plus de 50 lois et en abroge plus de 15!

Il est impossible ici d’aborder tous les autres secteurs affectés par le projet de loi, et je me limiterai à analyser la partie qui porte sur la recherche scientifique.

Trois fonds fusionnés

Le projet de loi fusionne les trois Fonds de recherche actuels (FQRNT, FQRSC et FRSQ) en un seul (Recherche Québec). Ce nouveau Fonds sera aussi chapeauté d’un « Scientifique en chef » relevant directement du ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. On connaît encore mal ses fonctions précises, et on peut douter qu’un tel fonctionnaire de haut niveau puisse à la fois gérer les activités de fonds fusionnés et couvrant trois secteurs disciplinaires tout en étant aussi « Scientifique en chef » pour le Québec. Cette fusion est de pure forme et ne correspond à aucun besoin réel de « gouvernance » améliorée.

Certains semblent croire qu’une telle fusion pourra favoriser « l’interdisciplinarité », alors que ces pratiques n’ont rien à voir avec les structures administratives et relèvent plutôt de la dynamique même de la recherche. Cet argument n’est en fait qu’un prétexte pour justifier une décision purement politique et nullement fondée sur une véritable réflexion sur les besoins spécifiques du système québécois de la recherche, qui avait d’ailleurs été restructuré il y a seulement dix ans.

Un autre changement important, officialisé dans le projet de loi 130 et qui avait été annoncé dès le discours du budget 2010, est l’abolition du Conseil de la science et de la technologie (CSTQ), organisme ayant près de 30 ans d’expertise. Ce Conseil serait remplacé par un simple « comité stratégique » relevant directement du ministère. Il s’agit là en fait d’un important recul, car un tel comité interne (aussi « stratégique » soit-il) n’a aucune distance critique et aucune vue à long terme comme c’était le cas du CSTQ, qui était indépendant des ministères.

Rapport Gobeil ressuscité

En fait, ce projet de loi constitue une nouvelle tentative de la part du Conseil du trésor de mettre en pratique le contenu d’un rapport préparé en 1986 sous le gouvernement de Robert Bourassa qui, en pleine vague de dérégulation néolibérale, avait proposé de faire disparaître tous les organismes-conseils le moindrement indépendants du gouvernement.

On se rappellera en effet que le fameux rapport du Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales, sous la présidence de Paul Gobeil, alors président du Conseil du trésor, proposait un fort désengagement de l’État. Heureusement, devant une forte résistance, le gouvernement d’alors avait reculé.

En abolissant le Conseil des sciences et de la technologie, le gouvernement du Québec se prive d’une institution privilégiée pour réfléchir de façon continue, experte et non partisane aux questions de science, de technologie, d’innovation et de leurs effets sociaux, économiques et culturels. Vingt-cinq ans après le rapport Gobeil, on peut encore dire: aucune justification n’est donnée pour abolir ces organismes, et ce, malgré la rhétorique de « saine gestion » qui aurait au contraire commandé une analyse précise des effets de telles mesures.

Marche arrière nécessaire

Le sort des anciennes structures n’étant pas encore scellé, il faut espérer que le gouvernement aura la sagesse d’entendre les critiques et de ne pas s’engager dans des réformes de structure qui sentent l’improvisation.

Il est encore temps de faire marche arrière et de conserver le Conseil de la science et de la technologie, organisme qui, par ses nombreux comités bénévoles, fait entendre la voix de la communauté scientifique sur des dossiers importants pour l’avenir des rapports entre science, économie et société au Québec. Le système québécois de la recherche s’est mis en place au cours de plusieurs décennies, et rien n’indique que les structures actuelles, dont certaines ont à peine dix ans, soient déficientes.

On peut comprendre que le Conseil du trésor veuille épargner quelques dollars en faisant disparaître des organismes peu visibles dans la population, mais leur absence risque en fait de coûter plus cher à moyen terme en raison d’un manque de réflexion qui pourra entraîner des décisions peu réfléchies et donc non optimales.

Car sans un tel regard non partisan et éclairé sur l’avenir probable, le gouvernement sera condamné à conduire à courte vue même lorsqu’il a les deux mains sur le volant . . .

---------------------------------------------------------------
Yves Gingras est professeur et titulaire de la Chaire de recherche en histoire et sociologie des sciences à l’Université du Québec à Montréal.

Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’ACPPU.

Reproduit avec permission, cet article à paru dans Le Devoir le 24 janvier 2011.

Tribune libre
L’ACPPU invite les lecteurs à soumettre des articles de 800 à 1 500 mots qui portent sur des questions d’actualité liées directement à l’enseignement postsecondaire. Les articles ne doivent traiter ni de dossiers de griefs particuliers ni de questions d’intérêt strictement local. Ils ne doivent pas comporter des allégations non fondées ni des propos diffamants, calomniateurs ou offensants envers des personnes ou des groupes. Les articles doivent être empreints d’une objectivité totale et aborder des sujets de nature politique plutôt que personnelle. Un commentaire est avant tout l’expression d’une opinion et non pas le « récit d’une vie ». Il convient normalement de le formuler à la première personne. Les articles peuvent être soumis en français ou en anglais, mais ils ne seront pas traduits. L'ACPPU se réserve le droit de choisir les articles qui seront publiés. La rédaction ne communiquera avec les auteurs de commentaires que si elle décide de publier leurs articles. Les commentaires doivent être adressées à Liza Duhaime.