Rempart de la « cité universitaire » depuis vingt ans
Pierre Hébert. Montréal, QC : Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), 2011; 110 pages; ISBN : 978-2-92100-217-2, 20 $ can.
Par Greg Allain
Nous avons très peu d’historiques de nos organisations syndicales au niveau de l’éducation postsecondaire. Au plan universitaire, je n’en connais que trois : le livre de Jacques Rouillard (Apprivoiser le syndicalisme en milieu universitaire : Histoire du Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal, Boréal, 2006), celui de Louise Pettigrew (Une histoire de solidarité syndicale : Les 25 ans du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (1974-1999), SPPUL, 1999), et celui que j’ai signé en 1997 à propos de mon syndicat local (avec C. Brideau, L’ABPPUM : vingt ans d’histoire, 1976-1996).
Nous n’avions pas non plus d’histoire de nos fédérations provinciales (nous ne disposons toujours pas d’histoire de l’ACPPU, même si on peut en retrouver certains éléments ici et là, comme dans le livre de Neil Tudiver, Universities for Sale (1999), jusqu’à ce que le présent ouvrage de Pierre Hébert soit lancé récemment à l’Université de Sherbrooke dans le cadre du dernier Congrès de l’Acfas.
Pourtant, l’histoire peut nous apprendre bien des choses. On dit souvent qu’une juste compréhension du passé fournit une perspective permettant de mieux situer les enjeux présents et d’éclairer les choix que nous devons faire. L’auteur est professeur de littérature à l’Université de Sherbrooke et ancien vice-président de la FQPPU. Il y a quelques années, il avait signé un petit essai percutant intitulé La nouvelle université guerrière ou Le mythe de la caserne (Nota Bene, 2001).
Cette fois-ci, il ne prétend pas écrire une histoire au sens scientifique et académique : il qualifie plutôt son travail de « chronique thématique », de « sextant pour faire le point, pour mesurer le chemin parcouru » (73,7). Il procède par découpages thématiques des grandes idées et des périodes marquantes, tout en illustrant abondamment son propos de documents d’époque (articles, extraits de mémoires, photos), pièces d’archives peu accessibles au grand public.
L’autre élément qui caractérise la démarche de l’auteur, c’est qu’il ne se limite pas à l’histoire de la FQPPU, qui fête cette année son 20e anniversaire, mais il a consacré une partie (égale en espace) à l’historique de la fédération qui a précédé la FQPPU de 1967 à 1991, la Fédération des associations des professeurs d’université du Québec (FAPUQ). Le regard porte donc sur une quarantaine d’années au total, et ceci permet de dégager, comme l’indique le président de la FQPPU, Max Roy, dans sa préface, « une récurrence des enjeux et des dangers » confrontant les deux fédérations, avec les constantes remises en question de la collégialité, de la liberté académique, de la mission de l’université (5).
La FAPUQ est née en 1967, dans la foulée des grandes réformes de l’éducation mises en branle pendant la Révolution tranquille, qui ont profondément transformé les universités québécoises. L’augmentation fulgurante du nombre d’étudiants a entraîné une hausse correspondante du nombre de professeurs : de 1 641 qu’ils étaient en 1962, leurs effectifs passaient à plus du triple en 1974, soit 5 738 (15). La FAPUQ est créée pour représenter à l’échelle provinciale la voix de ces professeurs de plus en plus nombreux : comme sa mise sur pied précède le mouvement de syndicalisation qui commencera en 1971 à l’UQAM et qui se poursuivra jusqu’en 1975, on comprendra que la FAPUQ, du moins à ses débuts, est davantage une organisation de type professionnel que syndical. Elle deviendra cependant une fédération syndicale accréditée en 1979 (17), comptant 5 000 membres.
Après plus d’une décennie que l’auteur qualifie de période d’apprentissage, l’organisme prendra un virage résolument politique au début des années 1980, ce qui s’est entre autres accentué en 1982 avec les coupures de 20 % dans les salaires des employés du secteur public et des professeurs d’université décrétées par le gouvernement provincial (30), coupures qui seront suivies au cours des années d’ensuite par plusieurs vagues de compressions dans le financement des universités, déguisées sous le nom de « Plans de relance… ».
Par ailleurs, il est intéressant de noter que plusieurs des grands enjeux qui se posent à nous au cours des années 2000 étaient déjà présents dans les années 1970 et 1980 (35) : la croissance importante et le pouvoir grandissant des administrateurs-technocrates dans les universités, conduisant à une « hypertrophie gestionnaire » (16, 22, 31); l’instauration d’un modèle de gestion de type industriel (22); l’ingérence de l’État dans les opérations de l’université (16); la valorisation de la recherche appliquée et des partenariats avec l’entreprise privée et le clientélisme étudiant (22) entre autres.
Mais les prises de position critiques de la FAPUQ n’auront pas empêché la création, au début des années 1980, d’une autre fédération de professeurs, l’Intersyndicale des professeurs d’universités québécoises (IPUQ). D’abord un comité de la FAPUQ se voulant un lieu d’échanges avec les syndicats n’appartenant pas à la FAPUQ, elle devient peu après une entité autonome vouée à une meilleure concertation entre les syndicats universitaires (36). Se voulant à l’origine un regroupement volontaire et informel, elle se structure davantage à partir de 1986, se donnant un secrétariat permanent, élargissant son champ d’action, offrant même des cours en matière de négociation, et intervenant plus sur des questions politiques (45). Elle est carrément alors devenue une organisation rivale de la FAPUQ. Cette dernière se trouve aux prises avec des divisions internes : certaines associations locales lui reprochent ses cotisations trop élevées, sa lourdeur et son inefficacité. Pourtant, la centralisation économiste des pouvoirs aux mains des patrons (l’État et les recteurs) réclame la présence d’une fédération syndicale forte : des voix se font entendre pour le changement dans l’unité. Des échos qui portent fruit, puisqu’en mai 1991, la FAPUQ et l’IPUQ laissent la place à une nouvelle fédération, la FQPPU (ce qui donne lieu, selon l’auteur, à l’équation : FAPUQ + IPUQ = FQPPU).
Hébert divise les vingt ans d’existence de la FQPPU en trois périodes. La première va de 1991 à 2003 et conduit à l’établissement d’une pensée fédérative sur la place du syndicalisme universitaire face à l’État et aux bureaucraties institutionelles. À compter de 1993, d’ailleurs, le gouvernement du Québec multiplie les interventions à l’égard du secteur public et des universités : coupures de postes de 10 % (en quelques années, ce seront 1 000 postes de perdus) (51), compressions budgétaires, gels salariaux : pour le Parti Québécois au pouvoir, il faut à tout prix atteindre le déficit zéro en l’an 2000.
Ce sont les années du fameux « Faire plus avec moins » (55). Sans parler des mesures étatiques pour encadrer la recherche dans le sens de la commercialisation des résultats. La FQPPU prend position dans ces diverses tourmentes, et parallèlement commence sa tradition d’organiser des colloques sur des sujets de pointe, comme le financement de la recherche, les nouvelles technologies et la carrière et les conditions de vie des professeurs (60).
La deuxième période est courte mais dramatique : de 2003 à 2005, c’est la crise, suivie de la décroissance. Coup sur coup, ses deux plus importants membres quittent la fédération, soit les syndicats de professeurs de l’Université de Montréal et de l’Université Laval. On questionne la valeur et le rapport coût-bénéfice des services offerts par la FQPPU (dont à l’époque un service coûteux d’appui juridique), et on lui reproche sa bureaucratisation et son manque de transparence. On veut une fédération plus visible, représentative de ses syndicats membres.
Suite à ces plaintes, la fédération procède à un allègement important de ses structures (66) et entame, avec un membership diminué de près du tiers, la phase la plus récente de son histoire, qui va de 2005 à aujourd’hui. La FQPPU monte des dossiers sur des questions clés, comme le harcèlement psychologique, la place faite aux femmes, les difficiles conditions d’entrée dans la carrière, le financement des universités, la gouvernance (74). Ses interventions sont plus politiques, plus ciblées et plus crédibles, s’appuyant sur des études solides. Elle s’oppose vivement à toutes les tentatives (et elles sont nombreuses!) de dénaturation de l’université, conçue par elle d’abord et avant tout comme un service public. Les prises de position se succèdent, et la tradition des colloques tenus annuellement ou plus souvent ouvre des espaces de débats publics sur l’université québécoise.
L’ouvrage se termine sur le constat de l’utilité, voire l’absolue nécessité, d’une fédération provinciale. Les universités, naguère contrôlées par l’Église, sont menacées depuis des décennies d’être contrôlées par l’État. Comme l’indique l’auteur, « nous sommes peut-être à la croisée des chemins où nous aurons à choisir entre une université culturelle comme acteur de premier plan dans la ‘polis’, ou une université marchande, outil du fonctionnement économique » (75).
Ce parcours archéologique autour des deux fédérations québécoises intéressera tous les collègues oeuvrant dans l’éducation postsecondaire. Il permet de dégager des constantes, comme les affiliations canadiennes (avec l’ACPPU) et au-delà (avec l’Internationale de l’éducation) des deux organismes, comme les appels répétés, depuis le début des années 1980, pour la tenue d’États généraux. Faute de collaborations externes, la présente FQPPU compte organiser ses propres États généraux d’ici la fin de 2011. Bref, une histoire mouvementée, « inséparable de l’histoire de l’université québécoise moderne » (35), et inséparable de l’histoire récente du Québec.
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Greg Allain, professeur de sociologie à l’Université de Moncton, a occupé divers postes au Comité de direction de l’ACPPU depuis 2000, dont celui de président, de 2006 à 2008. Il est actuellement membre ordinaire représentant les francophones.